La traversée des Dolomites (IV)
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Du Prato Piazza (1991m) au Biella (2327m)
Hier su soir, après une super douche, ce qui est un privilège rare en refuge, et un très bon repas, ce qui est par contre la règle semble-t-il ici, nous nous avons regardé le soleil décliner sur les crêtes pendant que quelques sons de cloches se faisaient plus lointains et plus espacés. Hommes et bêtes nous sommes couchés tôt sans demander notre reste.
A celles et ceux qui souffrent d’insomnies, on peut d’ailleurs conseiller une randonnée en montagne. 5 à 6h de marche c’est idéal pour le sommeil…
Nous nous réveillons sans difficulté entre 6 et 7h et sommes rapidement à pied d’œuvre.
Nous démarrons en traversant un immense alpage, celui-là même devant lequel hier au soir, nous dégustions lentement et consciencieusement notre traitement tyrolien. Nous sommes parmi les premiers à partir. Dans le silence et l’air frais du matin, une brise nocturne que le soleil n’a pas encore réchauffée, s’attarde. De la terre monte un parfum d’herbe mouillée et seul le son assourdi de notre pas trouble doucement la quiétude des herbages encore endormis. Après quelques centaines de mètres nous nous retournons. Sur le sentier une petite file de randonneurs s’étire et se détache sur le vert clair ensoleillé de la prairie.
Derrière eux, le refuge, qui va bientôt disparaître de notre vue, doit être bien vide à présent. Seuls à l’intérieur doivent s’y activer celles et ceux qui nous ont servi le petit déjeuner et préparent pour les suivants une nouvelle journée d’accueil sans guère de temps de pause.
Le chemin monte doucement à travers le pâturage. De temps en temps il faut laisser la priorité à une vache mais c’est à peu près les seuls problèmes de circulation que nous rencontrons.
Avec cette randonnée nous allons connaître une succession de paysages différents : alpages d’abord, passages minéraux et secs dans une atmosphère de haute montagne ensuite et pour finir traversée d’espaces au relief tourmenté où se mêlent l’herbe et la pierre.
Nous sommes encore dans les alpages quand nous sommes rattrapés par les deux couples de québécois qui font le même circuit que nous et que nous retrouvons chaque soir. Le hasard n’y est pas pour grand-chose. Ils ont choisi comme nous une formule nommée par Allibert, voyagiste auquel nous avions déjà fait appel par le passé en particulier pour le Népal, rando en liberté. Formule bien pratique, surtout à l’étranger, qui propose un circuit sans accompagnant avec un itinéraire, les cartes qui vont avec et les réservations de refuge en refuge.
Avec leur accent caractéristique et si agréable à entendre, l’un d’eux nous apprend une expression d’encouragement venue du Québec et du base-ball et qui se claque en tapant la main de celui ou celle qu’on encourage : « Tap’ dans la mite », formule à laquelle nous répondons évidemment dans le même mouvement « dans les Dolomites ! ». La mite est le gant utilisé par les joueurs de base-ball. Ce sera notre rituel pour nous encourager dans les montées, les descentes, sur le plat, avant un repas de montagne et avant les bières bien sûr.
A la montée dans les alpages succède un long chemin en balcon au travers des rochers et de la moraine. Les gris et ocres traversés contrastent avec les verts de la vallée qui s’étale sous nos yeux en contrebas.
Au-dessus de nous, se dressent des statues de pierre que l’on dirait sculptées pour reproduire un tableau d’art abstrait. La roche est dentelée, ciselée, percée de trous borgnes, découpée selon une esthétique propre au sculpteur, sans doute un tyrolien tourmenté qui avait du mal à dormir.
Par endroits la pente abrupte devient presque falaise et le chemin étroit laisse juste la place à un pied. Ces passages aériens sont alors équipés de câbles ou chaines qui forment des mains courantes propres à rassurer les pas hésitants ou les randonneurs sujets au vertige.
Dans ces pentes de pierre quelques fleurs jaunes résistent et réussissent, on se demande comment, à pousser stoïquement au milieu de la moraine.
Le chemin en balcon se terminant, nous retrouvons la verdure et même de petits pins qui semblent ne pas craindre les plus de 2200m d’altitude où nous évoluons.
Nous retrouvons les vaches, toujours aussi peu respectueuses du code de la route de montagne et même certaines qui refusent de bouger de la place qu’elles ont prise au milieu de chemin.
Ne voulant pas nous disputer avec elles ni appeler la polizia, nous les contournons.
Le passage dans la verdure aura été de courte durée. La montée au col se fait tantôt sur la moraine, tantôt sur les névés. Ces derniers sont bien plus agréables que les blocs de pierre impossibles à aplanir et qui jouent aux montagnes russes avec une ascension qui sans eux, serait tout en douceur…ou presque.
Le col est là.
Juste en dessous le refuge Biella nous attend.
Nous allons pouvoir y manger et poursuivre notre traitement avec nos amis québécois qui ont apparemment eux aussi un grand besoin de minéraux.
L’après-midi s’écoule calmement avec de longs moments assis sur un banc à contempler les vallées et les montagnes. On détaille un pic, on observe la trace de sentiers qui s’enfoncent le long des pentes, on suit le vol d’un oiseau qui plane entre deux pointes : c’est tout un travail de ne rien faire…
Plus tard, après un nouveau repas pantagruélique où je découvre, en autres, une saucisse italienne en forme d’escalope de veau (si, si !), l’occasion nous est donnée d’échanger, dans le soir qui descend, avec Isabelle [1] une des deux québécoises.
Sa découverte de mon « métier » de permanent syndical m’oblige à distinguer le syndicalisme de lutte de la CGT française du syndicalisme institutionnel nord-américain en général et québécois en particulier.
La discussion se développe sur le mouvement du carré rouge, ce mouvement québécois de protestation, parti des étudiants et qui s’est élargi au monde du travail en particulier pour poser des questions de société que le syndicalisme institutionnel ne pose plus…et depuis longtemps.
Comme très souvent en montagne, la pluie s’invite dans nos échanges, écourtant ainsi nos considérations sur les mouvements sociaux de part et d’autres de l’Atlantique Nord.
Des éclairs strient le ciel au-dessus de la montagne en face. Trop loin pour nous faire bénéficier pleinement du spectacle son et lumière d’un orage de montagne, assez près pour nous obliger à rentrer sous la pluie qui se renforce.
Les refuges de montagne sont semblables à des ruches. Toute la journée, des abeilles sortent et rentrent. Souvent elles rentrent porteuses d’un sac à dos et en ressortent délestées. Sur le coup de midi, les abeilles rentrent les mains vides et ressortent les mains pleines d’assiettes de pâtes, de portions de gâteaux, de chopes de bière…Dans la ruche, à part pour de courts moments d’accalmie, l’activité est intense. Le long des escaliers de bois qui mènent aux chambres, se croisent toute la journée des abeilles en pantoufles (on doit laisser ses chaussures de marche à l’entrée dans des rayonnages vides le matin et qui ne cessent de se remplir au fil du jour). Elles ont une serviette de bain autour du cou, d’autres sont en tenue caractéristique des « via ferrateurs » : casque, baudrier et longes, d’autres enfin n’ont rien. Simplement elles descendent ou montent l’escalier sonore qui résonne lourdement pour rajouter un peu de bruissement au vrombissement ambiant.
Quand nous rentrons, la salle commune est pleine de gens qui, dans un concert bariolé de langues que nous ne comprenons pas et aux accents variés, vont jouer aux cartes, parler joyeusement autour d’un verre, se raconter leurs voyages précédents.
Jusque dans les chambres à l’étage on entend le bourdonnement des voix qui peu à peu va s’assourdir jusqu’à disparaître complètement. Ne restera plus alors que le silence de la nuit…troublé par le ronflements de randonneurs en pleine activité de récupération.
[1] les prénoms ont été changés
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