La traversée des Dolomites (III)
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Du Locatelli (2405m) au Prato Piazza (1991m)
La descente nous fait quitter à regret le spectacle dantesque de l’univers empierré des 3 cimes et nous rapproche de la verdure et des arbres.
A cette saison les pentes brillent de mille fleurs, gigantesques palettes vertes d’où émergent du rouge, du jaune, du bleu, dans toutes les nuances possibles. Nous ne connaissons guère leur nom, nous laissons ça aux scientifiques et aux accompagnateurs en montagne. Nous regardons tout simplement…
Val Rinbon, val Rientzal, val di Ladro nous ne cessons de descendre – ce qui n’est pas forcément reposant – des vallées sauvages où seuls de petits torrents de montagne, parfois même de simples rus, troublent doucement le silence.
Après exactement 1000m de dénivelé où nos bâtons de marche se sont avérés bien utiles, nous atteignons, à 1406m, le cœur du val di Ladro. Ici règnent en maitres d’immenses résineux à l’ombre desquels bêtes et hommes viennent se rafraîchir. La vallée est balafrée par une large route de montagne. Une courte pause et nous la traversons, puis, en amont d’un pont jeté sur une rivière, nous prenons en face pour entamer la remontée. Il est 1Oh et le soleil tape déjà bien. Les arbres trop clairsemés ne nous protègent guère de la chaleur des rayons et les 800 mètres de remontée nous font dégouliner.
Depuis notre départ de San Candido, en dehors des câbles qui sécurisent parfois des passages aériens, sur le chemin, à espaces réguliers, des aménagements se font voir. Tantôt des branches sont coupées, des pierres dégagées, tantôt ce sont des poteaux de soutènement ou des passerelles, tantôt encore des bûches forment des marches presque régulières. Très souvent, accolées à ces dernières et juste avant elles une grosse pierre est plantée dans la terre pour servir de degrés intermédiaire. Combien d’hommes et de femmes ont travaillé ici, comme dans les montagnes des quatre coins du globe, pour tracer, améliorer, sécuriser les chemins que nous empruntons ?
Il me revient en mémoire les mots du vieil Antonio, rapportés par le sous commandant Marcos :
« comment as-tu trouvé le chemin ?
Je ne l’ai pas trouvé, je l’ai fait, comme se font tous les chemins… »
Justement nous croisons 3 hommes qui, en pleine chaleur, tronçonnent, percent, meulent, bois et tiges de métal pour notre confort et notre sécurité.
Il y a aussi celles et ceux qui balisent, ici avec soin en rouge et blanc comme dans un nombre croissant de pays européens selon une norme qui tend à s’uniformiser. Repère précieux quand le sentier devient incertain.
Même la randonnée la plus sauvage, avant d’être un plaisir, est le fruit du travail humain : cartographes, traceurs de sentiers, gardiens de refuges…sans parler de l’équipement qui nous accompagne…
Cela fait un moment qu’au paysage minéral des 3 cîmes, avec ses pierres, ses névés, ses moraines, ont succédé des pentes verdoyantes et largement boisées, où le vert sombre des arbres se détache nettement du vert clair des prairies.
Vers le milieu de la montée nous pique-niquons devant une courte galerie, creusée dans le rocher pour faire passer les randonneurs d’un versant à l’autre de la montagne. Un petit moment de digestion contemplative à l’ombre des rochers et face au grand espace de la vallée.
Nous traversons le tunnel.
Encore quelques mètres et une rivière que la carte nous avait indiquée, nous tend les bras. On remplit nos gourdes qui en avaient bien besoin, grâce à une pompe filtrante qui nous garantit, en tous cas on veut bien le croire, que si l’eau a été souillée plus haut, elle est maintenant bien filtrée. L’objet, qui pèse à peine 300gr, nous permet surtout de partir le matin avec moins d’eau – et donc moins de poids – dans des sacs que nous trouvons déjà bien lourds.
On reprend notre montée à travers le val Chiara et on voit arriver la selle du mont Specie (un col avec une maison en ruine), située à 2200m, avec satisfaction. En haut le paysage s’étend à perte de vue : ici des alpages, un peu plus bas des forêts, au loin des montagnes qui forment un cercle sur l’horizon découpant le bleu du ciel que viennent juste tacher de blanc quelques nuages aux formes changeantes.
Nous replongeons vers le refuge Prato Piazza que nous atteignons en milieu d’après-midi.
La bière, devenue obligatoire pour nous depuis que dans une émission à la radio un scientifique que l’on devrait décorer a expliqué que cette boisson permettait, après une randonnée, de reminéraliser les corps qui avaient beaucoup transpiré, cette boisson donc est vraiment la bienvenue. On parle ici des bières du Tyrol, servies dans des chopes de 40cl.
En la dégustant on sent bien la reminéralisation se faire…
Le traitement nous parait si efficace que la 2e chope est encore plus bienfaitrice dans un paysage inondé de soleil, devant un refuge entouré d’immenses alpages qui ne cessent de tintinnabuler aux mouvements de centaines de vaches multicolores pendant qu’au loin, une couronne de montagnes dentelées, variant de l’ocre rouge au blanc éclatant en passant par toutes les nuances de verts et de gris, veille, immobile et en silence, sur le jour qui décline.
Il y a vraiment des instants suspendus où « le bonheur est dans le pré… »
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