Garder le contenu et changer l’emballage
Avec la victoire de Nicolas Sarkozy le 6 mai, le capitalisme a obtenu une revanche sur le non du 29 mai 2005 au référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE). C’est une sévère défaite pour les partisans du non de "gauche" qui n’ont pas su prolonger la bataille du référendum et sont tombés dans le piège de l’élection présidentielle qui évacuait les débats sur les problèmes fondamentaux.
Aujourd’hui, le capitalisme veut profiter de sa victoire pour annuler le non des Français et remettre les pendules à l’heure de la Constitution européenne. Premier obstacle à éviter, la consultation du peuple. Ces dernières années, le Danemark et l’Irlande n’ont pas hésité à organiser un second référendum pour corriger les résultats jugés négatifs du premier. Malgré la réussite de leur manÅ“uvre, Nicolas Sarkozy ne veut pas prendre le risque d’un nouveau référendum et il est décidé à n’engager qu’une ratification parlementaire sur un nouveau Traité. Le terrain étant en apparence dégagé sur le plan français, il s’agit de manÅ“uvrer au niveau européen pour faire passer l’essentiel du contenu du projet de Constitution, notamment auprès des peuples et des nations qui l’ont rejeté ou critiqué.
C’est l’objectif essentiel du Conseil européen des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne des 21 et 22 juin à Bruxelles. La présidence allemande veut y faire adopter des orientations pour un nouveau projet qui serait adopté avant fin 2008 et ratifié avant les élections européennes de 2009. D’ores et déjà, un consensus semble se dégager sur l’abandon du terme "constitution" dont la connotation fédéraliste effraie, au-delà même des partisans du non. Jo Leinen, président socialiste de la commission des affaires institutionnelles du Parlement européen, a proposé un "Traité fondamental".
Une intense campagne de communication, pour ne pas dire de propagande, est menée pour ébranler les peuples et les gouvernements les plus réticents. Cette campagne se développe tous azimuts et à plusieurs niveaux. Nicolas Sarkozy court à travers toute l’Europe pour défendre son projet de "Traité simplifié" qu’il présente comme une rupture par rapport à l’ancien projet rejeté en France et aux Pays-Bas. Mais, à y regarder de près, sa proposition s’inscrit dans le prolongement du projet de Constitution en reprenant ses fondements essentiels et ses dogmes libéraux comme "l’économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée".
Parallèlement, les partisans les plus acharnés de la Constitution mènent l’offensive pour que celle-ci ne soit pas retouchée dans son contenu. Dès sa prise de fonction, la présidente allemande du Conseil européen, Angela Merkel, s’est prononcée pour le maintien de la "substance" du Traité constitutionnel. Le Portugal, qui va présider l’Union européenne au second semestre 2007, est sur la même longueur d’onde. Son ministre des Affaires étrangères, Luis Amado, a précisé le 15 mai à Bruxelles que la base du nouveau texte "ne doit pas être réinventée" et qu’il doit demeurer le point de départ pour un nouvel accord.
La Commission européenne, dont le président José Manuel Barroso a vu dans l’élection présidentielle en France la victoire du oui, est bien entendu aux premiers rangs et fait monter au créneau les divers mouvements et associations qu’elle subventionne directement ou indirectement pour promouvoir l’esprit et la lettre de la Constitution. Voici comment l’agence de presse "Europolitique" du 14 mai rend compte des débats nationaux lancés par la Commission et les gouvernements pour "rapprocher l’Europe des citoyens" : "Les 27 citoyens venus le 10 mai au Parlement européen ont remis le rapport résumant les débats nationaux qui se sont tenus dans 27 Etats membres sur le thème "Quelle Europe voulons-nous ?". Ces personnes font partie des 1800 Européens à avoir participé à l’opération "Consultation des citoyens européens" organisée par une trentaine d’organisations non lucratives financées par la Commission (1,9 million d’euros) et des fondations européennes (1,2 million d’euros)".
Quant à la Confédération européenne des syndicats (dont le comité de direction vient d’accueillir Bernard Thibault),malgré les réserves ou l’opposition franche de nombreux travailleurs, elle a défendu à son 11e Congrès la Constitution européenne dans sa totalité, sous prétexte qu’elle contient une charte des droits fondamentaux dont la campagne référendaire en France avait montré les insuffisances et les dangers puisqu’elle ouvrait la voie à des reculs par rapport aux législations nationales. Au cours de sa session plénière du 30 mai, le Comité économique et social européen a demandé que le Traité constitutionnel "demeure le fondement des négociations". De leur côté, le PS français et le SPD allemand ont adopté le 3 mai une déclaration qui refuse "une régression en-deçà de l’ambition que représente le Traité constitutionnel".
C’est une fois de plus au Parlement européen que les partisans du Traité constitutionnel sont les plus acharnés. Le rapport sur "la feuille de route pour la poursuite du processus constitutionnel de l’Union", préparé par MM. Baron Crespo, socialiste espagnol, et Brok, démocrate-chrétien allemand, martèle que la majorité de la population, à travers la ratification dans 18 Etats membres, a approuvé le Traité. Quant au non français et néerlandais, il estime que "les réserves exprimées étaient liées au contexte plutôt qu’au contenu" ! Réitérant son total soutien au Traité, il souligne qu’il "serait difficile, pour ne pas dire impossible, de convenir de propositions qui seraient, soit radicalement différentes de celles de 2004, soit meilleures que celles-ci". Pour conclure, il "réaffirme son engagement à parvenir à un aboutissement du processus constitutionnel (...) qui se fonde sur le contenu du Traité constitutionnel, le cas échéant sous une présentation différente". Un changement de look en quelque sorte ! Cette démarche rejoint celle de la présidence allemande qui demandait aux Chefs d’Etat et de gouvernement en vue du Conseil européen : "Que pensez-vous de la proposition de changer la terminologie sans changer la substance juridique ?".
L’objectif de cette intense campagne de communication est de permettre à la présidence allemande de dégager un accord pour changer uniquement l’emballage sans modifier fondamentalement le contenu. Une sorte de clone du Traité constitutionnel ! Mais les peuples n’ont pas dit leur dernier mot. En France, même si les partisans du non ont subi une défaite le 6 mai, ils n’accepteront pas si facilement de tourner la page et d’être dépossédés de leur avenir. N’en déplaise au gouvernement et au patronat, ils devront compter avec les Français qui ont voté non le 29 mai 2005 pour dénoncer la nature de classe de l’intégration européenne et demander le respect de la souveraineté populaire. Ils ne manqueront pas une occasion de raviver la flamme du 29 mai. Aux Pays-Bas, d’après un récent sondage, 65% des habitants veulent se prononcer par référendum si un nouveau Traité leur est proposé. Le Premier ministre Jan Peter Balkenende a dû reconnaître que "la population redoute l’abandon du droit de veto" qui, avec l’extension du vote à la majorité, est au cÅ“ur de la réforme institutionnelle. Il a même souhaité un renforcement du rôle des parlements nationaux qui sont devenus dans de nombreux domaines de simples chambres d’enregistrement des décisions communautaires.
Dans d’autres pays, la prise de position de la Confédération européenne des syndicats (CES) n’empêche pas des organisations syndicales de continuer à s’opposer au Traité constitutionnel et à ses clones. 27 partis progressistes et communistes ont adopté une déclaration à l’occasion du 50e anniversaire du Traité de Rome (sans le PCF mais avec les partis communistes du Portugal, de Grèce, de Chypre, d’Espagne, de la République tchèque...) appelant à lutter contre l’Union européenne "véritable directoire des puissances néolibérales et militaristes" et à promouvoir des "contreprojets répondant aux besoins et à l’intérêt des peuples". C’est un encouragement à poursuivre les luttes et à les faire converger sur le plan européen pour faire entendre la voix des travailleurs et des peuples afin de prolonger le non du 29 mai et lui donner la force d’une perspective anticapitaliste.