Interview de Jean Claude Lefort
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Nous avons déjà parlé de l’initiative du député communiste Jean Claude Lefort au sujet des crimes commis par l’armée d’Israël au Liban. Ici Jean Claude Lefort revient sur les raisons de son engagement, son analyse de la situation actuelle et nos moyens d’intervention.
Rouge Midi : JC Lefort d’où vous vient cet intérêt profond pour les questions du moyen orient ?
JC L : En tant que communiste, puis comme député communiste membre de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, je me suis toujours intéressé aux relations internationales. La situation au Moyen-Orient, avec ses crises et conflits à répétition constitue un terreau dévastateur sur lequel se greffent des conflits pouvant potentiellement provoquer l’embrasement de la planète.
Avec au cœur de cette situation, la profonde injustice faite au peuple palestinien !
R-M : Vous vous êtes rendu sur le terrain à maintes reprises. Comment avez-vous vécu ces contacts ?
JCL Je me suis effectivement rendu régulièrement dans la région. Ces dernières années, j’ai assisté aux audiences du tribunal de Tel-Aviv où était jugé Marwan Barghouti. Je profite pour rappeler que ce dirigeant palestinien, arrêté illégalement à Ramallah (1), a été déporté sur le territoire israélien pour être « jugé » et condamné à 5 fois la prison à vie.
Ma découverte de la réalité quotidienne fut un véritable choc ! En tant qu’individu, être confronté à une telle réalité ne peut que faire prendre conscience plus encore de l’injustice. Et du même coup cela incite à devenir plus actif pour mettre un terme à la souffrance extrême d’un peuple dénué de ses droits fondamentaux.
Alors que les Accords signés, les Résolutions des Nations Unies disent tout ce qu’il faut pour mettre un terme à la situation, avec l’existence de deux Etats vivants côte à côte en paix et en sécurité, l’état palestinien n’existe toujours pas. L’une des pires aspects est sans doute que tout cela est justifié par de fallacieux prétextes faisant des palestiniens les responsables de leurs drame. Quelle lâcheté internationale !
Voilà pourquoi je m’investis tellement sur cette question, je pense aux Palestiniens, à ces enfants, à ces femmes, à ces être humains réduits à l’état de sous-hommes, sans droits. Je pense aux souffrances de toutes les mères de la région ! C’est insupportable ! Il faut y mettre un terme !
R-M : Vous avez été particulièrement impliqué durant l’été pendant la guerre contre le Liban
JC L : Avec la guerre contre le Liban, nous sommes exactement dans le même contexte. Les USA veulent « remodeler le Moyen-orient » et cette guerre a été présentée par Bush et Rice comme le début de ce remodelage. Et on a vu ces images terribles de ce qui a d’abord été présenté comme une opération de légitime défense de l’armée israélienne : le Hezbollah étant présenté comme le prétexte d’une opération préparée de longue date et qui ciblait la destruction du Liban tout entier.
En tant que parlementaire, je me suis rendu à Beyrouth au début de la guerre pour exprimer notre solidarité à l’ensemble du peuple libanais et affirmer notre volonté de paix. J’y suis retourné un peu plus tard pour me rendre dans le Sud particulièrement visé par les bombardements. Une désastre total !
C’est alors que j’ai réalisé qu’on ne pouvait plus se satisfaire des traditionnelles déclarations politiques : qu’il fallait imaginer une initiative marquante pour dire « stop » aux agressions de l’état israélien qui livrait une guerre aveugle aux femmes, enfants et bébés, détruisant toutes les infrastructures et déclenchant une catastrophe écologique maritime.
R-M : Vous avez lancé une action citoyenne avec l’idée de revenir au droit international
JCL : L’idée de cette pétition internationale est née précisément après le bombardement ignoble de Cana. Cependant son texte indique que ne sont pas exclus les éventuels autres crimes de guerre qui pourraient être révélés ultérieurement. Aujourd’hui d’autres crimes sont avérés (bombardements de convois de civils clairement identifiés, d’ambulances du Croissant Rouge, utilisation des bombes à phosphore, largage à l’aveugle de 1.200.000 millions de bombes à fragmentations, expérimentation sur les civils de nouvelles armes.....) De plus, les autorités israéliennes refusent toujours de donner la carte des mines posées avant le retrait militaire israélien du Sud Liban.
Adossée au droit international, cette pétition s’adresse aux opinions publiques, aux citoyens attachés à ces valeurs qui n’acceptent plus le silence complice des Etats. Elle vise à traduire les responsables politiques et militaires israéliens devant la Cour pénale internationale pour « crimes de guerre ».
Nous avons rapidement été submergés par le flot de signatures qui ont commencé à arriver par courrier, et cela malgré le peu de publicité faite à cette initiative par les média traditionnels. Nous avons ensuite créé un site (http://solidariteliban.free.fr) où l’appel est repris en une dizaine de langues. Il reçoit des milliers de signatures en provenance de 80 pays aujourd’hui. Et nous sommes convaincus qu’avec la diffusion de cet appel sur Internet des dizaines de milliers d’autres vont arriver
R-M : Pourquoi cette forme d’action auprès de la Cour Pénale Internationale ?
JC L : La question est simple : elle est politique et non strictement juridique. En effet, une victime peut porter plainte devant la CPI (2) . Mais il s’agit bien ici de faire autre chose : il s’agit de mondialiser, d’internationaliser l’action et les solidarités. C’est donc le nombre mais aussi celui des pays d’où viennent les signatures qui seront efficaces. Cette chaîne humaine en construction peut porter loin. Pour le Liban d’abord, mais plus généralement, elle indique le besoin d’action citoyenne internationale basée sur l’exigence du respect du droit et de la justice.
Elle est simple à réaliser : un simple clic suffit. Et si nous y parvenons alors cela fera jurisprudence pour d’autres, je pense en particulier à Gaza et à la Cisjordanie d’abord, mais à bien d’autres parties du monde aussi
C’est pourquoi je ne peux qu’inviter chacun à collecter ces signatures sur Internet (en cherchant toutes les connections possibles en France et à l’étranger, en utilisant le support papier (pour ceux qui n’ont pas Internet) puis en intégrant les signatures dans le site, en utilisant tous les réseaux possibles. Chacun et chacune à de l’imagination à revendre quand il s’agit d’une cause juste à défendre et un objectif concret majeur - supérieur peut-on dire en l’espèce - à atteindre. Ca vaut le coup de s’y mettre tous ! Alors allons-y !
R-M : Aujourd’hui, que diriez vous de la position de la France. En tant que député quelles actions entreprenez vous auprès des plus hautes autorités de l’Etat ?
JC L : La France a « ondulé » tout au long de cette affaire libanaise, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle a recherché par-dessus tout un accord avec les USA qui naturellement n’étaient pas pressés à ce que la guerre cesse. Elle a eu des positions plus que discutables. Le Liban n’a pas été la répétition de la position française sur l’Iraq et pourtant l’affaire était fondamentalement de même nature.
Et ce n’est pas tout car il y a quelques jours le Ministre des Affaires Etrangères s’est rallié à la construction du mur en Palestine ! Un mur récemment condamné par un Avis de la Cour internationale de justice. Il y a aussi la construction par deux entreprises françaises du tramway de la colonisation de Jérusalem (3)- une colonisation elle aussi condamnée par l’ONU.
Alors que la France a l’obligation de faire respecter les conventions internationales qu’elle a signées, elle laisse faire les entreprises françaises arguant qu’il s’agit de contrats privés !
Ces entreprises peuvent-elles être au dessus des lois, du droit international simplement parce quelles gagnent de l’argent ? Cet argent est de l’argent très sale. Un argent imprégné de sang !
Du sang des victimes - de toutes les victimes - de la guerre israélo-palestinienne.
Il y a donc à faire pour que la France reste la France et prenne des initiatives au lieu de se tenir dans un rôle de spectateur du ballet diplomatique que joue Madame Rice au Proche-Orient. Aujourd’hui notre pays dérive sérieusement et un ministre tel que Sarkozy n’y est pas pour rien. Il n’est malheureusement pas le seul il est vrai...
Tout cela n’est pas conforme à l’idée que je me fais du rôle de la France dans le monde. C’est pourquoi j’ai proposé au ministre des Affaires étrangères la nomination d’un Monsieur ou d’une Madame Proche-Orient rendant lisible et systématique l’action de la France sur cette question. Il ne m’a pas répondu positivement...
Lorsque les Etats et leurs dirigeants sont incapables d’agir, ou qu’ils refusent de le faire « paralysés » pour mille raisons, lorsque la diplomatie gouvernementale est en panne il n’est qu’une voie ! Place à la diplomatie populaire !
A nous d’écrire le présent, de préparer l’avenir.
A nous citoyens de France, citoyens du monde d’exiger la Justice et le Droit !
1- Ramallah est située en zone A au terme des accord d’Oslo, c’est-à-dire sous autorité exclusivement palestinienne.
2-Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu des renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ; dans ce cas il doit obtenir une autorisation de la Chambre préliminaire pour ouvrir cette enquête. Et cela même si les Etats concernés ne sont pas parties à la Cour Pénale Internationale. Il existe d’autres possibilités de saisir la CPI
3-Et qui bafoue la position française de « Corpus Separatum » en accord avec le Plan de Partage de la Palestine voté par les Nations Unies en 1947.
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Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (extraits)
Article 5 Crimes relevant de la compétence de la Cour
Elle « est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l’égard des crimes suivants :
a) Le crimes de génocide ;
b) Les crimes contre l’humanité ;
c) Les crimes de guerre ;
d) Le crime d’agression »
Article 8 Crimes de Guerre
b) Les autres violences graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, à savoir, l’un quelconque des actes ci après :
i) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en
tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement part aux
hostilités ;
ii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens de caractère
civil, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des objectifs militaires ;
iii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les
installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre
d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la
Charte des Nations Unies, pour autant qu’ils aient droit à la protection que le
droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de
caractère civil ;
iv) Le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera
incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des
blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou
des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui
seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage
militaire concret et direct attendu ;
v) Le fait d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes,
villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas
des objectifs militaires ;
viii) Le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa
population civile, dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le
transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie
de la population de ce territoire ;
ix) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments
consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action
caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades
ou des blessés sont rassemblés, à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires
Article 13 : Exercice de la compétence (de la Cour Pénale Internationale).
La Cour peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime visé à l’article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l’article 15
Article 15 : Le Procureur.
Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour (article 5)
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