Le grand retournement
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Gérard Mordillat aime bien faire référence à Jean Cocteau, qui qualifiait son œuvre d’objet « difficile à ramasser ». L’œuvre de Jean Cocteau est transversale, elle mêle écriture, poésie, théâtre, cinéma et dessin.
« Le grand retournement », film de Gérard Mordillat, projeté en avant-première le 26 octobre au CRDP de Marseille, à l’initiative des « Rencontres Déconnomiques » d’Aix-en-Provence, est aussi un « objet difficile à ramasser » : du cinéma, c’est sûr mais aussi de l’économie, de la poésie (le texte est en alexandrins) et une bonne dose (nécessaire) d’humour. On dirait du Molière, écrit à Athènes en 2012 et prononcé dans ce qu’il reste d’une usine restructurée puis délocalisée...
Le film est une adaptation de la pièce de Frédéric Lordon « D’un retournement l’autre, comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes, et en alexandrins » (Seuil) ». Frédéric Lordon est [1]un économiste iconoclaste et donc rarissime sur les plateaux de télévision. Gérard Mordillat [2] n’est guère plus visible dans les grand médias, hormis une adaptation télévisée de son roman « Les vivants et les morts » sur France 2, reprise plus tard sur Arte. Mordillat est écrivain et cinéaste, il aime interroger le monde ouvrier, ses combats, ses souffrances et leurs effets sur les individus. La rencontre des deux ne pouvait être qu’explosive.
Du Molière écrit à Athènes en 2012
« Le grand retournement » est un raccourci de la crise : quatre banquiers, un président de la République et ses conseillers, une « grande journaliste ». La journaliste est du côté de la banque car « la presse est libre et incorruptible », le président de la République aussi, ses conseillers sont partagés mais quand ils ne filent pas droit, ils sont virés.
L’histoire, vous la connaissez : les turpitudes des banquiers les ont mis à genoux. Ils en appellent à l’Etat, qu’ils accusent d’ordinaire de tous les maux. Pour les sauver, le président plonge le pays dans l’endettement, le met à la merci des « marchés » donc des banquiers… jusqu’à ce que le peuple s’en mêle.
L’analyse est rigoureuse et pourtant le film se regarde avec le sourire. Les dialogues, souvent drôles, évitent le ton dramatique ou donneur de leçon. Les personnages sont des caricatures qui ressemblent à la réalité. Le cadre - une usine désaffectée - renforce la distanciation mais il évoque en même temps les conséquences réelles du complot des banquiers.
Les acteurs, qui portent le film, sont pour beaucoup des anciens de la Comédie Française. Rompus à la déclamation des alexandrins, ils en facilitent la compréhension et en révèlent l’esprit.
Un film à voir et à faire voir
« Le grand retournement » sort en janvier sur les écrans. Pour trouver son public, compte tenu des conditions de distribution de films de cette nature, il aura besoin d’un bon coup de main des citoyens qui aiment le cinéma d’auteur et les projections dont on sort plus intelligent qu’on est entré. A l’exemple des Nouveaux chiens de garde, il devra bénéficier de l’organisation de projections/débats, qui compensent l’absence de publicité dans les médias classiques. C’est ce qu’avaient compris les organisateurs de la projection au CRDP, le Cercle des Déconnomistes d’Aix en Provence. [3]. Merci à eux.
Danièle Jeammet
[1] Sur son blog http://www.fredericlordon.fr/ on peut lire : directeur de recherche au CNRS, chercheur au CESSP (université Paris La Sorbonne)… travaille au développement d’une économie spinoziste. Ses travaux portent également sur le capitalisme actionnarial, des marchés financiers, de leurs crises. On peut le lire aussi régulièrement dans le Monde Diplomatique http://www.monde-diplomatique.fr/ et sur le blog du Monde Diplomatique spécialement dédié à la crise http://blog.mondediplo.net/-La-pompe-a-phynance-.
A voir sur dailymotion : Leur dette notre démocratie, conférence internationales organisée par Attac et Mediapart : http://www.dailymotion.com/video/xnrsv2_leur-dette-notre-democratie-frederic-lordon_news
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