Le maïs, d’une rive à l’autre (I)
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La prochaine étape des mots du progrès m’entraîne dans la planète maïs où la plante sert d’alibi à une guerre du progrès. Cette guerre est menée sur notre territoire et le champ de bataille ne passe pas inaperçu ! Il laisse sans voix, sur des centaines de kilomètres où il n’y a rien d’autre à voir qu’une image monotone hérissée de tours d’arrosage sans cesse en mouvement.
Pourtant au début, si ce ne fut pas vraiment un progrès, ce fut une expérience, un apprentissage qui subjugua certainement les Aquitains à l’affût d’un peu de nouveauté dans un monde trop parcouru. Par chance, ils se trouvaient à proximité des ports où arrivaient les bateaux de sa majesté le roi d’Espagne, de retour du Nouveau Monde. Par chance encore, des fleuves navigables remontaient dans les vallées fertiles les nouvelles du monde et les produits inconnus qui bouleversaient les habitudes. Ainsi en fut-il du maïs.
La Renaissance succéda à la féodalité partout en Europe et bien sûr dans une Aquitaine durement punie au milieu du 15e siècle, comme vu précédemment. Avec elle, un gigantesque progrès : la découverte (accidentelle) de l’Amérique. Ce n’était qu’un début. Il y eut des tâtonnements. On voulait prendre un raccourci pour aller aux Indes, et comme toujours avec les raccourcis, on fait des découvertes qui vous entraînent là où vous n’aviez jamais imaginé aller.
Dans ce nouveau monde, que de merveilles. On fit le plein du caddy comme à Noël au supermarché. Et revenu dans la vieille Europe, on ne tarda pas à relancer le commerce. Je ne sais pas les mots qui furent employés (facile à deviner car le temps ne fait rien à l’affaire) pour promouvoir « l’indoun [1] » ou « blé d’Inde » : peu à peu les plaines se couvrirent de cette plante, lointaine cousine des céréales indo-européennes connues. On apprit à le cuisiner, des recettes ne sont pas perdues mais je ne ferai pas un cours de cuisine ici car j’ai beaucoup de mal avec cette farine de maïs. N’empêche, il fit rapidement partie de la panoplie de la maison, il avait vocation alimentaire, tant pour les bêtes que les animaux.
De Temps Immémoriaux…
On oublia bientôt qu’on était allé la chercher très loin, de l’autre côté de l’océan et, à la Révolution, les nouveaux maîtres, déjà férus de statistiques, obtinrent des réponses singulières des maires des villages qui signalèrent qu’à leur connaissance, le « maïs » était là « de tems immémorial ». C’était leur intime conviction et ils ne fournirent aucun document à l’appui. En fait, cela faisait à peine deux siècles (plus ou moins) car on trouve sa trace dans des actes notariés anciens (courant du 17e siècle).
Le maïs vécut des jours tranquilles pendant à peu près 350 à 400 ans, les paysans poussant la charrue avec ardeur mettant tous leurs espoirs dans une prochaine récolte qui serait enfin à la hauteur de leurs besoins, de leurs projets. Mais le travail ne suffit pas toujours. Il fallait compter aussi avec le climat pas toujours très favorable. On connaît de redoutables crues dans ces vallées fertiles qui détruisaient les récoltes, ajoutant encore aux famines qui sévissaient. Il donna lieu pendant longtemps à une vie sociale faite d’entraide, de transmission de savoirs et de culture orale lors des travaux, des veillées… Le maïs eut son impact social et longtemps, il y eut chez les vieux paysans la même nostalgie pour les « despourguères » que pour les « battères » et les « brougnères » également disparues.
Avec 8% du territoire national, l’Aquitaine produit pratiquement 20% du maïs français sur à peu près 350.000 hectares de superficie agricole. Autrement dit, le chiffre d’affaire qu’il représente le hisse au rang de poids lourd dans l’économie régionale. Une majorité d’exploitations agricoles vit encore sur cette production, gouffre vorace d’énergie, d’eau … et d’aides de la PAC, grosse pollueuse aux produits chimiques et grande illusionniste aux énergies nouvelles. Mais surtout, accusée de plonger dans le non-sens de la biogénétique pour un asservissement plus complet de l’ensemble de la chaîne de production. La mondialisation c’est aussi cet écrasement de la biodiversité. Le maïs, omniprésent à perte de vue lorsqu’on entre tout particulièrement dans les Landes, traîne avec lui l’odeur nauséabonde de la culture industrielle qui a pris la place de l’univers paysan et de ses productions alimentaires de proximité pour le plus grand profit des géants semenciers et agrochimiques venus d’outre-atlantique. Pour un peu, on se prendrait pour des paysans indiens luttant dans le fond de leur forêt contre ces promoteurs d’un progrès qui ne fait que les éliminer. Ici, ce fut plus subtil. On usa des mots du progrès, on s’appuya sur les egos en mettant en avant le prestige de l’innovation, on fit miroiter les bénéfices et surtout la pérennité de l’exploitation pour la transmettre aux nouvelles générations. Mais les Indiens d’ici continuent de disparaître, dans l’indifférence générale, avec toujours l’argument « d’avoir fait un choix », parfois, comme disait le poète [2] dans les années 60, pour « le formica et le ciné ».
Le bon exemple des Landes
Le maïs en tout cas semble offrir des possibilités de manipulation génétique – au même titre que d’autres plantes industrielles – et il est donc considéré comme une matière première que l’on peut destiner à diverses utilisations selon la programmation qu’on en aura faite.
Pour l’Aquitaine, les chiffres actuels donnent gagnant le département des Landes (38% de la superficie du grand champ de maïs aquitain), les Pyrénées atlantiques (27%), le Lot-et-Garonne (15%), la Dordogne et la Gironde, à égalité (10%). Les Landes sont donc le bon exemple à mettre en lumière pour comprendre le processus de « maïsification » du territoire.
À la Libération en 1944, on recense pas moins de 30.000 exploitations agricoles qui vivent sur de petites structures à dominante polyculture et élevage, avec une main-d’œuvre familiale importante pour un partage des tâches indispensable à la survie de tous. Fonctionnement quasi-autarcique et rudes conditions de vie, aggravées par le statut très majoritaire du métayage qui oblige à partager la récolte avec le propriétaire, statut que les paysans ont de plus en plus de mal à supporter autant par l’ampleur du partage que par le sentiment d’humiliation ressenti car il faut rajouter à ce partage les corvées, les redevances et l’investigation suspicieuse du propriétaire ou pire, de son régisseur, « lou meste d’haa », qui met à rude épreuve les nerfs des métayers. La loi du 13 avril 1946 va leur permettre de transformer ce statut en fermage. Une avancée, un vrai progrès social. Mais cette loi ne va pas donner aux paysans les moyens de poursuivre sur la même voie. Elle les laisse dans l’incertitude du lendemain car dans le même temps, les technocrates de l’époque s’occupent d’envisager la planification de la production agricole et aucune mesure politique n’est prise pour envisager la sauvegarde du monde paysan. On voit bien là une question cruciale, celle des mentalités qui ont déjà abandonné la dimension sociale pour une dimension économique. C’est le début de la fin pour le monde paysan, il ne s’en relèvera pas. En 1955, on est passé de 30.000 à 26.421 exploitations landaises (et la superficie moyenne commence à augmenter : 8.7ha). En 1970, on est 17.057. En 1988, plus que 10.031 (et 22.5ha de superficie agricole moyenne). En 2007, il restait 6000 exploitations, mais on peut imaginer que le processus d’extinction ne s’arrêtera pas là malgré toutes les déclarations optimistes de ceux qui voient même progresser le revenu paysan ! Quelquefois, il suffit d’y croire.
Où il est question d’Américains, de négoce et… de pauvres poules
Dès le départ, avec le plan Marshall de la fin des années 40 vint le « maïs américain » de l’après-guerre (on pourra voir utilement le film documentaire de Sylvie Licard : Papy s’en va t’aux champs où les protagonistes de l’époque livrent très complaisamment leur progressisme volontariste). Il arriva avec ses promesses de « révolution » agraire, sauf pour la volaille : « leus garis n’en volen pas » ! entendait-on chez les vieux paysans méfiants qui n’entendaient pas les mots du progrès. Ce fut un feu d’artifices. Artifices, car artificiellement – et avec un enthousiasme des plus naïfs, entretenu par des structures para-agricoles et financières pas si naïves – on développa une culture qui ne tint aucune promesse sociale pour laisser la place à un autre type d’agriculture. Le mot de « paysan » devint péjoratif, il renvoyait à des images obsolètes alors qu’il fallait sacrifier d’urgence aux nouveaux dieux du progrès qui allait avec le maïs, notamment la mécanisation où l’affrontement idéologique n’eut lieu que sur la provenance des engins : outre-atlantique pour les uns, républiques de l’Est pour les autres !
Par contre, le négoce (aujourd’hui, on dit « filière » pour faire croire à une solidarité active entre les participants mais il s’agit bien toujours de la même chose, les uns tirant leur profit de la peine des autres) va y trouver son compte : semences, engrais, produits phytosanitaires, machinisme agricole, transport, etc. Je ne ferai pas un long développement là-dessus, c’est un constat incontestable. Nous sommes aujourd’hui à un moment étrange où cette culture n’a (presque) plus de signification paysanne et ce sont des « maïsculteurs » qui font pousser ce maïs devenu un monstre tentaculaire dévoreur de ressources naturelles.
Mais ne nous y trompons pas. Malgré leur statut « d’indépendants » qui fait bien des envieux, ce ne sont pas les paysans qui ont choisi, la programmation de leur choix a été faite bien en amont par la conjugaison de politiques globales et territoriales et la rapacité de ces géants de l’industrie agrochimique qui n’ont que faire de préserver l’environnement naturel et un niveau de qualité de vie aux populations. De plus, le cloisonnement des individus qui fait naître des incompréhensions et des antagonismes, ne va pas aider à retrouver cet équilibre fondamental entre paysages, urbanité et agriculture. Nous avons 60 ans à reconsidérer pour envisager de mettre fin à une exploitation absurde de l’espace, et j’entends le mot « exploitation » en tant que « pillage ».
[1] Cette appellation a toujours cours dans quelques communes landaises
[2] Jean Ferrat, La Montagne
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