LARITÉ EN BATAILLE ET L’OUVRAGE DE MARTÍN BLANDINO (Première partie)

jeudi 9 octobre 2008
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Toute la presse internationale parle de l’ouragan économique qui s’abat sur le monde. Beaucoup le présentent comme un phénomène nouveau. Pas pour nous : c’était prévisible. Je préfère donc aborder aujourd’hui une autre question actuelle très intéressante aussi pour notre peuple.

Quand j’ai écrit mes Réflexions sur Cangamba, je n’avais pas lu le magnifique ouvrage du journaliste et chercheur dont je donne le nom dans le titre, je n’avais vu que le film Kangamba qui a soulevé en moi tant de souvenirs émouvants. Je ne cessais d’évoquer la phrase : Ceux qui sont tombés à Cangamba ne sont pas morts en vain !

C’était exactement le même propos qui inspirait le message que j’avais adressé le 12 août 1983 au chef de notre mission militaire en Angola.

A l’aube, l’ennemi s’était retiré du champ de bataille. Comptant plus de 3 000 hommes armés et conseillé par les racistes sud-africains, il avait attaqué jour et nuit, depuis le 2 août, les tranchées qu’occupaient environ 600 Angolais de la 32e brigade des FAPLA et 84 internationalistes cubains, plus un renfort de 102 hommes dépêchés depuis la région militaire de Luena. Angolais et Cubains s’étaient battus sans répit, privés d’eau et d’aliments ; ils avaient eu 78 morts et 204 blessés, dont 18 et 27 respectivement étaient des Cubains. Au moment où il avait décidé de se retirer, l’ennemi avait perdu la quasi-totalité de ses armes et munitions et essuyé de lourdes pertes. Les deux meilleures brigades de l’UNITA avaient été mises hors de combat.

L’ouvrage de Jorge Martín Blandino, de 2007, a vu le jour quand, pour des raisons de santé, je n’étais plus en première ligne. Il est le fruit d’une longue recherche et d’entretiens avec de nombreux protagonistes des faits, de la consultation de trente-quatre livres sur ce thème, dont certains écrits par des « officiers sud-africains de l’époque de l’apartheid » ou par des gens qui, trompés, collaborèrent avec l’UNITA.

L’auteur écrit dans un des chapitres les plus intéressants :

Ce soir-là, alors que les horloges marquent 14 heures à La Havane et 19 heures à Luanda, nouvelle conversation téléphonique avec la Mission militaire cubaine en Angola. […] A peine le coup de fil conclu, envoi immédiat de la dépêche qui formalise les instructions fournies, lesquelles réaffirment la décision adoptée : évacuer de toute urgence tous les Cubains de Cangamba, tenter de convaincre les Angolais de faire pareil, poursuivre les explorations aux abords du village et surveiller les mouvements de troupes ennemies dans la province de Moxico.

[…] Entre temps, à Luanda, à 9 heures du matin, le président José Eduardo dos Santos convoque l’ambassadeur cubain, Puente Ferro, et le chef d’état-major de la Mission militaire cubaine en Angola, le colonel Amels Escalante, à une réunion. Les deux Cubains s’étonnent de constater la présence du chef de la Mission militaire soviétique, le général Konstantin [Y. Kourotchkine]. Le ministre angolais de la Défense et le chef de l’état-major général des FAPLA, le colonel N’Dalu, arrivent presque aussitôt.

L’ambassadeur est le premier à entrer dans le bureau du président dos Santos à qui il remet officiellement le message que lui a adressé le commandant en chef. Entre ensuite le colonel Escalante, qui lui explique en détail l’évaluation faite par la plus haute direction cubaine de la situation militaire, laquelle justifie la décision d’évacuer les internationalistes de Cangamba, propose de faire de même sans retard avec les combattants des FAPLA et de stopper l’opération en marche dans la province de Moxico.

Le président dit qu’il est d’accord avec Fidel et demande de faire entrer le général Konstantin [Y. Kourotchkine]. .Après une brève introduction du président Dos Santos, le colonel Escalante reprend les arguments susmentionnés. Le chef de la mission militaire soviétique demande la parole et émet une opinion qui surprend et fâche les Cubains. Il affirme que, comme homme politique, il pourrait au mieux accepter l’idée, mais que, comme militaire, il n’est pas d’accord de stopper l’opération, car, à son avis, les conditions sont créées pour exploiter le succès en introduisant par exemple de nouvelles forces, dont la brigade de débarquement et d’assaut qui vient d’arriver de Cuba. […]

Le colonel Escalante lui rappelle combien il a été difficile de faire parvenir des approvisionnements durant les dures journées de l’attaque ennemie contre la localité. Le militaire soviétique lui rappelle l’arrivée récente d’un avion IL-76 chargé de missiles C-5, ce à quoi le Cubain rétorque qu’il avait fallu d’abord les faire venir de Cuba, car ils n’étaient pas sur place au moment voulu. Devant le tour pris par la réunion, dos Santos décide de la conclure et de renvoyer à plus tard une décision définitive.

Quelques heures après, le général Konstantin [Y. Kourotchkine] se présente à la Mission militaire cubaine. Il s’excuse pour la façon dont il a exprimé ses vues lors de la réunion avec le président et reconnaît qu’avant d’émettre une opinion de ce genre, il aurait dû étudier en profondeur la situation réelle.

L’explication de l’historien est très claire : il s’était créée une situation embarrassante dont les implications étaient vraiment sérieuses de tous points de vue. Les risques étaient réels, et l’état-major cubain avait dû faire preuve de beaucoup de fermeté et de sang-froid.

Quand on prend différents moments du livre, on s’explique le fond du problème :

« Colonel N’Dalu

« Il n’y a pas d’unité de pensée, et quand ce problème existe, alors les uns pensent comme ci et les autres comme ça. On parle beaucoup de la « souveraineté », mais il n’est pas facile de contrôler un si grand territoire, car nous n’avons pas assez de troupes. Ce n’est pas seulement Cangamba, il y a bien d’autres positions où nous disons que nous y sommes, simplement pour le dire, mais qui n’ont pas d’importance du point de vue stratégique, et nous pouvons renvoyer d’autres offensives à plus tard. Nous discutons entre nous à l’état-major, et avec le ministre de la Défense, et il n’y a pas d’unité de critères. Ce qui explique pourquoi à certains moments, les décisions prennent du retard, parce qu’il faut convaincre les gens, car si une unité se retire et qu’il se passe quelque chose, les autres disent : "C’est la faute de ceux qui ont demandé de se retirer" ; si elle reste et qu’il se passe quelque chose : "C’est la faute à ceux qui ont dit que les troupes devaient rester." En fait, nous devons défendre les zones les plus peuplées, à plus grand intérêt économique et social, et laisser pour plus tard les territoires dont le contrôle, qu’il soit à nous ou à l’UNITA, ne modifie pas l’équilibre. Eux, ils disent qu’ils contrôlent, mais en fait ils ne sont pas sur place ; ce qu’ils savent, en revanche, c’est que nous n’y sommes pas non plus. »

L’auteur reproduit des documents officiels de notre ministère des Forces armées révolutionnaires (MINFAR) :

« Le commandant en chef, après une brève réflexion, demande de transmettre les arguments suivants au chef de la Mission militaire cubaine : il se demande quel sens ça peut avoir maintenant de rester à Cangamba. Il s’est avéré qu’il n’y pas d’assez d’hélicoptères et d’avions de combat et de transport en Angola, ainsi que de logistique correspondante, pour pouvoir appuyer une opération de grande envergure à une distance si énorme entre les bases aériennes et le petit village. Il est encore plus complexe, comme on l’a vu dans la pratique, de garantir l’avancée terrestre de troupes de renfort, situées elles aussi à des centaines de kilomètres sur des chemins infernaux et infestés d’ennemis. S’il a été extraordinairement difficile de déplacer des détachements blindés à la saison sèche, comment songer à un mouvement d’une telle ampleur alors que la saison des pluies est proche.

« "On a remporté un grand succès […] et il ne serait pas raisonnable d’aspirer à plus en ce moment…" [Le commandant en chef] réfléchit sur les jours amers passés durant l’encerclement et le danger d’annihilation du petit groupe d’internationalistes, et il alerte au sujet de la nécessité d’être réalistes et de ne pas se laisser entraîner par l’euphorie qui accompagne toujours le triomphe. "Nous ne pouvons laisser la victoire se convertir en revers."

« Le chef de la Mission militaire cubaine est d’accord, et décision est prise d’évacuer rapidement les internationalistes cubains affectés à Cangamba. Le commandant en chef rédige aussitôt un message personnel au président angolais, José Eduardo dos Santos, dans lequel, partant des mêmes raisonnements que partage le général de division Cintra Frías [mais contestés par le général soviétique], il juge nécessaire que les FAPLA évacuent elles aussi les villages de Cangamba et de Tempué, et impérieux de renforcer la défense de Luena, de Lucusse et de Kuito Bie. Compte tenu de la situation, il lui communique sa décision de retirer tous les Cubains de Cangamba dans de brefs délais. Il lui suggère aussi de retarder jusqu’à la prochaine saison sèche toute action offensive dans la région de Moxico et de concentrer les efforts pour le moment sur la lutte contre l’ennemi dans l’immense territoire qui sépare Luanda de la ligne que défendent les troupes internationalistes cubaines au Sud du pays, une zone que l’UNITA considère comme son IIe front stratégique.

« …le colonel Amels Escalante communique au chef de l’état-major général des FAPLA et au chef de la Mission militaire soviétique en Angola la décision du commandant en chef de stopper l’opération que mènent les troupes internationalistes cubaines, compte tenu des difficultés de déplacement des colonnes, des problèmes de logistique, surtout pour l’aviation, et de la proximité de la saison des pluies. Peu après, l’ambassadeur Puete Ferro et le colonel Escalante se réunissent avec le ministre de la Défense pour lui transmettre la même information. »

Le colonel Amels Escalante avait l’espoir que le colonel N’Dalu, chef de l’état-major des FAPLA, comprendrait la nécessité de se retirer de Cangamba.

Le général d’armée angolais, Kundi Payhama, un combattant aux mérites exceptionnels, a témoigné à l’auteur :

Il y avait de la fraternité, il y avait de l’amitié, et tout ce qui se faisait ici se faisait dans un sens différent. L’amitié, l’affection, le sacrifice, le dévouement des compagnons cubains, qui ont versé ici leur sueur et leur sang, n’ont pas de prix. Qu’on dise que nous sommes des frères de fait et éternellement. Il n’y a rien, mais alors rien en ce monde qui justifie que quelque chose ternisse l’amitié entre l’Angola et Cuba.

A suivre dans le Granma de lundi.

Fidel Castro Ruz

Le 9 octobre 2008

17 h 46



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