Chris Matlhako du Parti communiste sud-africain

lundi 21 septembre 2009
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Une interview réalisée par nos amis belges.

En 1994, après une très longue lutte, l’ANC, le Congrès national africain, renvoyait dans les livres d’histoire le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. Auparavant, le noir n’était même pas assez bon pour cirer les chaussures des blancs. Aujourd’hui, cela fait 15 ans que l’ANC est au pouvoir.
Chez nous, l’Afrique du Sud est souvent perçue négativement dans les infos, avec sa criminalité élevée, le sida et les conditions de vie misérables dans les townships. Dépassons cette première impression avec l’interview de Chris Matlhako, responsable international du Parti communiste sud-africain (SACP). Il était invité à la dernière université d’été de l’Institut d’études marxistes (INEM). Le SACP, qui compte presque 100.000 membres, travaille en liaison étroite avec l’ANC.

Mathlako n’enjolive pas la situation : « Aujourd’hui, en Afrique du Sud, la richesse est répartie selon la recette de l’Irish Coffee : une très mince couche de poudre noire au sommet, juste en dessous, un épaisse couche de crème blanche et tout au fond, la grande masse noire. Et, ces dernières années, le chômage a rattrapé son niveau de la fin de l’apartheid. »

Comment se fait-il que quinze ans après la fin de l’apartheid, il n’y a toujours pas d’amélioration sensible des conditions de vie de la majorité noire ?

Chris Matlhako. Le 27 avril 1994, l’apartheid et le racisme étaient définitivement supprimés Tous les gens, même les noirs, sont allés voter. Le premier gouvernement de l’ANC a réalisé beaucoup de choses. Il y a eu par exemple un million de nouveaux logements sociaux et des raccordements à l’électricité partout dans les campagnes.

« La richesse en Afrique du Sud est répartie selon la recette de l’Irish Coffee »

Qu’est-ce qui a foiré, alors ?

Chris Matlhako. Le SACP a appelé ça une « demi-victoire » : les relations de pouvoir économiques n’ont pas changé. Les conglomérats De Beers et Anglo American restaient les tout-puissants acteurs dans l’or, le diamant et les matières premières. Les profiteurs du régime de l’apartheid le sont restés après... Blanchis de l’apartheid, ils pouvaient désormais s’implanter dans le reste de l’Afrique, là où plus tôt, ils n’étaient pas les bienvenus. Lorsque l’ANC a repris le pouvoir, l’idéologie ultralibérale était imposée au monde entier via le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale, avec des privatisations et libéralisations forcées. Celui qui n’avait pas de revenu devait vendre sa maison. Celui qui ne pouvait plus payer son électricité, n’était plus raccordé aux lignes que le gouvernement ANC avait fait poser partout dans les campagnes.

L’ANC n’a pas pu sortir de là ?

Chris Matlhako. À partir de 1996, le programme de l’ANC s’est transformé en ce que nous avons appelé le « projet de classe de 1996 ». On a mené, avec une très courte vue, une politique de Black Economic Empowerment. Dans la pratique, des noirs étaient cooptés dans les conseils d’administration. Ils sont devenus très riches, et ont oublié la large masse et le programme de l’ANC...
Sous le président Mbeki de l’ANC, on a opté, selon les recettes du FMI et de la Banque mondiale, pour une politique économique orientée sur l’exportation de matières premières et de produits semi-finis. Cela a fait le jeu de la dépendance vis-à-vis de l’étranger et des multinationales, avec des bénéfices qui vont aux actionnaires de Londres ou de New York.

L’ANC a gagné les dernières élections d’avril 2009 avec beaucoup d’avance. Quelles sont les attentes ?

Chris Matlhako. Il ne faut pas croire qu’avec Zuma tout va changer du jour au lendemain pour les pauvres et les travailleurs de l’Afrique du Sud. Mais il rompt avec le passé. Lors de la 52e conférence de l’ANC, en 2007, Mbeki a été écarté comme président de l’ANC et remplacé par Zuma. Avec lui, la confédération syndicale COSATU et le SACP se sont à nouveau renforcés au sein du comité exécutif national de l’ANC.
La politique du nouveau gouvernement se situe sous le signe d’un changement structurel de l’économie afin de mettre un terme à l’emprise des grandes multinationales sur notre société. Les grandes entreprises vont devoir produire selon les besoins fixés dans notre plan national, avec des profits qui iront à la création de nouveaux emplois. Dans les zones rurales, nous voulons créer de l’espace pour la petite industrie de transformation.
D’autre part, le gouvernement prévoit des travaux d’infrastructure. L’exécution de ces travaux doit aller à des entreprises qui créent de l’emploi en Afrique du Sud. Et, au lieu d’importer des matériaux de construction et des technologies, nous devons les produire le plus possible localement.

On parle souvent de la violence et la criminalité en l’Afrique du Sud. Quels sont les plans, à ce propos ?

Chris Matlhako. C’est la seconde priorité. Pour le SACP, il s’agit de lutter contre la corruption sociale et administrative, de protéger les usagers des transports publics durant les trajets vers le boulot. Il n’y a pas de violence raciste contre des étrangers, comme on le dit parfois, mais bien des situations sociales très difficiles : pauvreté, concurrence entre les travailleurs, des Congolais ou des Zimbabwéens en fuite qui ont des jobs à des salaires scandaleusement bas. Les entreprises exploitent cette situation.

Depuis 1994, lorsque l’ANC est arrivé au pouvoir, il est question de réforme agraire. Mais jusqu’à présent, c’est resté lettre morte.

Chris Matlhako. La réforme va venir au cours de cette période gouvernementale. Elle concerne la redistribution des terres et la façon d’aménager les zones rurales. En 1913, une loi avait été approuvée qui donnait 80 % des terres agricoles à la minorité blanche. La population vivait dans les zones restantes et cherchait du travail dans les mines et dans les villes des blancs. On créait des villes dortoirs autour des régions industrielles. Ce sont les townships (les ghettos en bordure des villes, NdlR), comme Soweto. Les gens sans travail devaient retourner vers les bouts de terre devenus stériles, dans les campagnes, les Bantoustans. L’écrasante majorité de la population noire vit toujours comme une population immigrée dans son propre pays...

Pourquoi, malgré plus de dix ans de politique néolibérale, le SACP a-t-il maintenu une alliance avec l’ANC ?

Chris Matlhako. Depuis huit décennies, nous nous cramponnons à la stratégie de la révolution nationale démocratique. Sous l’influence de l’Internationale communiste, notre parti a adopté en 1929 ce qu’on a appelé la Native Republic Thesis. Celle-ci disait que, dans la réalité coloniale de l’Afrique du Sud, une politique socialiste était impossible sans la fondation préalable d’une république des droits civiques et démocratiques pour la majorité noire.
Une partie de cette thèse concernait l’ANC, qui était à l’époque un mouvement nationaliste plutôt modeste. Notre parti conservait son indépendance, mais faisait tout pour que cette ANC se développe en une grande organisation de masse – reposant sur les syndicats, les organisations paysannes et les travailleurs – qui pourrait mobiliser toute la population noire dans la lutte contre la bourgeoisie blanche et le colonialisme.

Êtes-vous à même de peser suffisamment fort sur la politique de l’ANC ?

Chris Matlhako. Notre participation à l’ANC, depuis 1929, a permis que l’ANC devienne ce large mouvement de libération qui a fait tomber l’apartheid. Le SACP et la COSATU ont joué le rôle déterminant dans la nomination de Zuma à la tête de l’ANC. La pression du SACP a permis une rupture avec 15 années de politique néolibérale. Ainsi, avec la COSATU, nous avons pu sauver l’ANC des mains de ceux qui voulaient en faire leur instrument politique. Les faits ont prouvé que c’était la bonne stratégie, car une grande partie de la nouvelle bourgeoisie noire s’est exclue de l’ANC pour fonder son propre parti, la COPE. Et l’ANC a quand même récolté 65,9 % des voix (contre 7,4 % pour la COPE, NdlR).

Fait remarquable, au contraire de la plupart des partis communistes, le SACP est surtout fort dans les régions rurales.

Chris Matlhako. Avant, nous étions plus présents dans l’industrie et les townships, où habitent les travailleurs noirs. Depuis 1998, nous sommes actifs aussi dans les zones rurales, où le SACP est souvent le seul point d’interpellation politique pour les gens. Sous le nom « Octobre rouge », nous avons mené de grandes campagnes orientées sur des améliorations réelles des conditions de vie : campagnes pour la création de commissions rurales qui luttent pour la réforme agraire, campagnes contre les licenciements et les mauvaises conditions de travail dans les grandes exploitations agricoles…
Une campagne qui a fait parler d’elle avait pour but d’accorder à chacun le droit d’ouvrir un compte en banque. Pour vous, cela semble évident mais pas en Afrique du Sud. Les banques exigeaient un versement minimum à l’ouverture d’un compte : impossible pour l’écrasante majorité des gens. Grâce à cette campagne, 21 millions de familles ont pu ouvrir un compte et les travailleurs dans les townships peuvent désormais transférer facilement de l’argent à leurs familles restées dans les campagnes.
Après dix ans d’extension et de recrutement, deux tiers de nos 100.000 membres viennent de ces régions. C’est grâce à cette solide implantation que, lors des dernières élections, nous avons contribué pour une bonne part à la victoire de l’ANC.



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