Robins des Bois à Soweto
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Il n’y a pas qu’en France que les Robins des bois de l’électricité passent à l’action pour garantir aux plus démunis l’accès à l’énergie. A Soweto aussi...
Levy Nhlapo est perché sur une boîte en plastique devant une maison de la zone 2 du quartier de Diepkloof [à Soweto]. Il est en train de débrancher les câbles d’arrivée du compteur électrique d’Eskom [compagnie publique d’électricité sud-africaine] installé sur le mur extérieur. Des étincelles jaillissent quand il les relie directement à deux fils qui entrent dans la maison. Le circuit est à nouveau sous tension. Quelques minutes plus tard, la lumière revient dans la maison et dans les sept huttes voisines. Aucune somme d’argent n’a changé de mains, mais le courant est rétabli pour les heureux habitants de la maison, tandis qu’Eskom est victime d’une fraude de plus.
L’opération fait partie du travail de Nhlapo – qui se présente comme un “technicien bénévole” – au sein du Comité de crise de Soweto pour l’électricité (SECC). Cette association militante radicale vient en aide aux habitants de Soweto à qui l’on a coupé l’eau ou l’électricité parce qu’ils ne payaient pas leurs factures. Autrement dit, le mot “technicien” désigne ici quelqu’un qui a appris à pirater les compteurs.
Ailleurs à genoux devant un paquet de fils électriques, Walter Khumalo reconnecte illégalement les compteurs dans le célèbre township sud-africain de Soweto. En pleine guerre contre la compagnie publique d’électricité Eskom, il sait qu’il enfreint la loi.
Tout à coup, quatre hommes surgissent et se jettent sur lui avant de l’embarquer dans leur voiture siglée Eskom. L’électricien sera finalement relâché deux heures plus tard.
Cet "enlèvement" ne surprend pas le SECC dont fait partie Walter. Régulièrement confronté à ce genre de situation et menacé, ce groupe ne veut pas céder. Il dit lutter pour garantir un accès à l’électricité dans ce township au sud de Johannesburg au nom de la Constitution sud-africaine.
"On rend à la communauté ce dont elle a besoin. Le gouvernement a promis de l’électricité, des services de base gratuits pour tous (...) Nous appliquons la politique qu’ils ont échoué à mettre en place sur le terrain pour les communautés", justifie Bobo Majhoba, à la tête du groupe des jeunes du SECC.
Pour Eskom, il en va tout autrement :
« Etre sans emploi et avoir des difficultés ne vous donnent pas le droit de faire des choses illégales. C’est comme si on disait que si on n’a pas de travail, on peut voler un portefeuille. On ne peut pas faire cela », s’indigne Bandile Jack, un responsable d’Eskom chargé de clientèle dans cette zone.
Il faut dire que Eskom qui a déjà augmenté ses tarifs de 27,5% en 2008 et 31,3% en 2009. veut aujourd’hui tripler ses prix sur les trois ans à venir, ce qui a provoqué la colère des habitants de Soweto. Et on les comprend !
Pas étonnant que dans ce contexte la SECC ait promis de continuer le combat.
Au grand dam d’Eskom qui déclare que seuls 20% des foyers du township paient leur facture ce qui entrainerait que plus de la moitié de ses pertes annuelles pour non-paiement des factures en zone résidentielle se fasse ici.
Fondé en 2000, le SECC estime que l’électricité devrait être gratuite pour tous et c’est dans cette perspective qu’il se livre à des actions de guérilla en faveur des habitants qui ne peuvent pas payer leurs factures. Ces Robins des Bois des temps modernes, qui volent l’électricité au “riche” producteur pour la fournir aux “pauvres”, agissent bien sûr illégalement, mais, jusqu’ici, aucun d’entre eux n’a été poursuivi en justice.
Environ 43% des Sud-Africains vivent avec moins de deux dollars par jour et près de 40% de la population active est au chômage. Dans un pays qui entre en récession pour la 1re fois depuis 17 ans, cela risque de ne pas s’améliorer...
Le Comité, qui a son propre bureau et est financé en partie par des aides, est persuadé que ce qu’il fait n’est pas seulement juste mais indispensable. “Il ne se passe pas de jour sans qu’on reçoive une dizaine d’appels de gens à qui l’on a coupé l’électricité”, indique le porte-parole du SECC, Thabo Molefe. “Le fait que nous ayons un bureau prouve que nos services sont nécessaires.” Le SECC tient même régulièrement des réunions avec Eskom, même si le distributeur n’est jamais parvenu à le convaincre d’encourager les débiteurs à payer.
Le Comité est financé par les cotisations des membres – 5 rands par an [1] – et par des aides d’ONG comme la Fondation Rosa Luxemburg de Johannesburg ou la britannique War on Want [2].
Quand un habitant se présente, souvent avec une facture exorbitante, Nhlapo s’empare de ses pinces et se met en route. “Nous leur rendons ce qui leur est dû : une vie meilleure”, explique ce bénévole qui croit corps et âme à la cause de son mouvement. Tout en se rendant sur le lieu de sa prochaine intervention, il raconte qu’il lui est déjà arrivé de rebrancher le cabinet d’un médecin, des crèches, des églises et de petits commerces.
Pour l’instant la compagnie Eskom se dit prête à poursuivre le dialogue. Elle n’a pas le choix. “Nous sommes engagés dans un processus d’échange et d’information réciproque, qui nous permet d’aller plus loin”, explique Norah Mmusi, directrice de la communication chez Eskom. “Toutes les solutions sont étudiées.”
Le SECC s’exprime de façon plus directe. “Nous poursuivrons notre action jusqu’à ce que Jésus revienne, lance Nhlapo. Nous ne resterons pas les bras croisés à attendre son retour.”
D’après William Davies (AFP) et Karabo Keepile (Mail et Guardian)
Transmis par Linsay
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