Les Comores : une nation fracturée
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Il ne suffit pas de s’indigner face à l’opération Darmanin, c’est toute la politique impérialiste de la France qu’il faut combattre…
Une opération nauséabonde…
La presse se fait l’écho ces jours-ci d’une vague de protestations concernant l’opération lancée par Darmanin de « nettoyage » de l’île de Mayotte qui doit se traduire par des milliers de destructions de logements souvent précaires et l’expulsion de l’île de 10 000 personnes.
De la LDH au SAF, en passant par les syndicats (CGT, FSU, Solidaires), les partis de la NUPES (LFI, PCF), l’émotion et la condamnation sont grandes et nous les partageons. La condamnation est même internationale et c’est tant mieux. Tant mieux parce que c’est une opération qui est non seulement grave pour les habitants actuels de l’île, mais aussi pour les droits humains en général et constitue de plus un précédent pour la France, une forme de coup d’essai en quelque sorte pour ce gouvernement qui veut encore renforcer les lois anti-immigration sur tout le territoire. Si l’opération « réussit », aux yeux du gouvernement s’entend, ce serait très grave sur le plan idéologique et légitimerait les idées les plus noires de l’extrême droite. Le nom même de « Wuambushu » (reprise en mahorais) est porteur de cette idéologie. Reprise veut bien dire reprise du territoire à des « étrangers » qui nous l’ont volé. On est en plein dans les thèses de Zemmour et de son « grand remplacement ». Rien n’empêchera ensuite le gouvernement de lancer sur le même style, un « represo » pour aider les provençaux à reprendre « leur » terre à tous ces sans papiers venus la leur « prendre ».
Cette opération est donc à dénoncer et à combattre avec la plus grande vigueur tout en n’ignorant pas que sur l’île même des habitants y sont favorables sans que l’on sache vraiment s’ils sont majoritaires. On peut bien sûr accuser alors ces mahorais d’être sans cœur, voire xénophobes et de tenir des propos inacceptables, ce qui est d’ailleurs le cas pour certains d’entre eux témoin cet élu, et même vice-président du département, se demandant s’il fallait tuer quelques comoriens !! Mais on peut aussi se demander comment on en est arrivé là, où situer les responsabilités et quelle solution mettre en œuvre aujourd’hui. Pour qui affirme se battre pour le bien de l’humanité, il est de son rôle de tenter de répondre à ces questions et à tout le moins de ne pas les fuir ou les ignorer.
…face à une situation devenue invivable…
Ce qui est sûr c’est que la situation est devenue invivable aujourd’hui dans l’île pour une grande partie de la population, en particulier la plus pauvre. Non pas à cause de « l’immigration illégale » comme le dit Darmanin mais à cause du manque de moyens des services publics et des choix économiques faits par la France.
Alors que la densité démographique de Mayotte est inférieure à une ville comme Paris ou d’autres départements de la région parisienne, l’île n’a pas du tout des services publics comparables. Ainsi dans nombre d’écoles les élèves sont obligés de se relayer pour assister au cours par manque d’enseignants, les bidonvilles deviennent la norme de construction des logements manquants au point que 4 logements sur 10 sont en tôle ou en végétal, le taux de chômage en forte augmentation y est de 34%, les salaires, y compris le SMIC sont inférieurs à ceux de la métropole et, comme le pointe l’INSEEles jeunes mahorais qui veulent faire des études ou trouver du travail sont contraints de quitter l’île au point que la proportion des gens nés sur l’île ne cesse de décroitre au profit de celle des gens nés ailleurs, principalement dans une des 3 autres îles des Comores.
Car là est le nœud du problème ! Mayotte n’est pas « envahie » par une immigration venue de Suisse, des Etats-Unis (cela serait du tourisme !!!) ou même du Mozambique voisin mais elle connait un solde migratoire à peine positif dû à l’apport des populations des autres îles de l’archipel des Comores. Ce ne sont pas des étrangers au sens propre du terme même si l’administration française les considère comme tels depuis 1976. En effet, la nation comorienne, au sens où nous l’entendons depuis Marx, c’est-à-dire un ensemble d’individus ayant en commun un territoire, une langue, une culture, des liens socio-économiques et un sentiment d’appartenance est la réalité de l’archipel des Comores et de ses 4 îles : Njazidja (Grande-Comore), Mohéli, Anjouan et Mayotte depuis plus de 1500 ans. Et même si ce sentiment d’appartenance a été altéré dans ces dernières décennies en particulier pour une partie de la population mahoraise à cause de la politique française, la nation comorienne est une réalité historique depuis le 6e siècle au moins.
A partir du 19e siècle il y eut la colonisation à plusieurs visages, les intérêts des grandes puissances dans le transport maritime et la séparation des îles au gré des conflits locaux et des accords qui permirent à la France, d’acheter à un sultan soucieux de ses seuls intérêts, une des 4 îles (et ses habitants !) : Mayotte.
Par la suite ce fut le « protectorat français », drôle de protection qui fut en fait une mise sous tutelle des 3 autres îles par l’entremise de l’île vendue. Cette situation dura quelques décennies et puis il y eut la vague des indépendances. En toute logique les Comores auraient dû en faire partie mais c’était sans compter sur la volonté du colonisateur de garder la main sur le canal du Mozambique et l’océan indien.
En 1974 un référendum fut organisé.
Sur les 4 îles, si les 3 premières votèrent à plus de 90% pour l’indépendance, Mayotte vota, elle, à 60% pour son rattachement à la France. [1] Fort de ce vote et s’appuyant sur une légitimité acquise selon lui par l’achat de l’île avant le protectorat, le gouvernement français de l’époque organisa 2 ans plus tard en 1976, un second référendum sur la seule île de Mayotte en faisant fi des résolutions de l’ONU stipulant que Les Comores étaient un archipel de 4 îles et qu’aucune d’entre elles ne pouvait être séparée des autres….
Il y aura 20 résolutions de l’ONU allant dans ce sens et la France n’en tiendra aucun compte.
Evidemment, dans le débat précédant ce 2e référendum, que pouvait offrir le tout nouveau gouvernement des Comores aux mahorais face à la puissance de la 5e puissance mondiale de l’époque ? Quelle perspective de développement et de bien-être ? Dans ces conditions le référendum était à armes bien trop inégales, les illusions mahoraises bien trop grandes et la volonté de la population de rester française fut confirmée encore plus largement que 2 ans plus tôt.
Le jeune état comorien pouvait d’autant moins lutter que, s’il avait obtenu une indépendance de papier, il était dépendant par sa monnaie, le Franc Comorien arrimé au franc français de l’époque et toujours en vigueur aujourd’hui selon un régime analogue au Franc CFA imposé à 14 autres anciennes colonies africaines de la France. [2]
…aggravée par la politique française depuis 50 ans.
Il faut croire que pour la France, la contrainte monétaire ne suffisait pas. Le gouvernement comorien élu qui essayait en s’appuyant entre autres sur une réforme agraire de partage des terres, de bâtir un régime socialiste à la comorienne ne lui convenait pas. Elle envoya alors un mercenaire, Bob Denard, aux ordres de l’Elysée pour renverser le président élu et l’assassiner avec l’aide de l’Afrique du Sud de l’apartheid !
Depuis 1976 des régimes se succèdent sous l’œil vigilant de la France qui ne veut pas prendre de risque de voir ses intérêts et sa position stratégique dans la région menacée par un gouvernement qui s’opposerait à sa politique. Le résultat c’est que Les Comores réduites à 3 îles, loin de se développer, sont le 21e pays le plus pauvre du monde et ont de ce fait un solde migratoire très négatif qui fait qu’aujourd’hui il y a autant de comoriens à l’étranger qu’aux Comores. Marseille, avec 150 000 personnes, est la 1re ville comorienne du monde.
Parmi les destinations, il est évidemment plus aisé à un Comorien fuyant la misère de se rendre en quelques heures en kwassa-kwassa [3] à Mayotte qu’en métropole. Et l’île « française » est d’autant plus attirante que ce sont les mêmes familles qui peuplent les 4 îles. Malgré les visas devenus obligatoires depuis Balladur en 1994 et les dangers de la traversée de 70km qui séparent Anjouan de Mayotte, traversée qui a coûté la vie à plus de 12 000 personnes depuis l’instauration de ces visas, faisant de ce passage le plus grand cimetière marin du monde, ce sont des milliers de Comoriens qui débarquent chaque année à Mayotte dans l’espoir d’y retrouver une partie de leur famille devenue « française » voire un jour de pouvoir rejoindre la grande puissance européenne où l’on vit tellement mieux que dans l’archipel.
Evidemment quand ils arrivent à traverser, ils ne sont pas forcément bien accueillis par des habitants qui vivent dans la misère malgré les promesses faites au moment des référendums successifs promettant, y compris lors du dernier portant sur la départementalisation, le « bonheur d’être français ».
En résumé la partition du pays n’a rien apporté de bon à la population que ce soit celle de l’île devenue département français qu’à celle des 3 autres îles soumises monétairement, économiquement et politiquement aux intérêts du capitalisme métropolitain.
Quelles solutions envisager ?
Bien sûr nous l’avons dit il faut dénoncer l’opération Darmanin pour toutes les raisons indiquées en début d’article mais cela ne suffit pas. Une organisation qui se dit attachée au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, au droit international, doit dénoncer haut et fort l’impérialisme de la France. Ne pas le faire conduit, comme le fait la déclaration intersyndicale, parler des « étrangers » de Mayotte alors qu’il s’agit de Comoriens. C’est admettre la politique du fait accompli du colonisateur et que le droit international soit foulé aux pieds. Il est à noter aussi que pas un des partis de la NUPES ne relève cela et chacun reste dans le flou [4] sur ce qui est à proposer en termes de droits et de souveraineté. Il n’y a guère que le GISTI, le mouvement de la paix et SURVIE pour rappeler les résolutions de l’ONU et dire que Les Comores sont constituées de 4 îles.
C’est à mon avis la position que nous devons défendre en tant que communistes.
Alors bien sûr face à cette argumentation il en sera pour dire que la volonté des mahorais doit être acceptée et donc que l’île doit rester française.
A ceux-là on peut répondre par quelques éléments :
D’abord on ne peut pas accepter que le droit international soit bafoué par la France
Ensuite, sauf à considérer qu’il n’existe pas de nation comorienne on ne peut pas accepter sa partition par un marché de dupes à l’issue duquel les mahorais sont loin d’avoir obtenu ce qui leur était promis.
La France doit abandonner le Franc Comorien et cesser de se comporter avec ce pays comme une puissance tutélaire mais au contraire respecter sa souveraineté.
La France doit reconnaître ses torts et, sous l’égide de l’ONU, mettre en place un processus de réparation des dommages causés aux populations de l’archipel depuis près de 150 ans.
Elle doit s’engager dans le sens d’échanges mutuellement avantageux et, Les Comores voyant leur avenir s’éclaircir, les visas supprimés, les conditions de vie s’améliorer durablement grâce à un réel partage des richesses et une véritable aide au développement [5] on verra alors si les mahorais auront encore envie de se couper de leur nation pour se rattacher à une terre située à des milliers de kilomètres qui n’a ni la même histoire, ni la même langue, ni la même culture et n’a jamais considéré leur île que parce qu’elle avait une position importante du point de vue géopolitique.
A Mayotte comme à Moroni, il n’est de choix véritable que s’il est libre de toute pression.
[1] Il y aurait beaucoup à dire sur les conditions d’obtention d’une majorité dans ce vote voir entre autres l’article de Afrique XXI cité plus bas
[2] Pour plus d’éléments historiques voir Mayotte chronique d’une colonisation consentie.
[3] petit canot à moteur
[5] le seul hôpital construit aux Comores récemment l’a été par la Chine
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