Louis Viannet
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C’est avec surprise que j’ai appris la mort de Louis que je ne savais pas malade et que je ne voyais pas si « vieux ». La vie s’écoule sans que l’on y pense et brusquement un événement nous rappelle que le temps passe…
Bien sûr comme tout un chacun, mes premières pensées ont été à l’homme que j’ai connu et dont j’avais apprécié les qualités d’écoute. Au dirigeant aussi.
Je me le rappelle venir à La Ciotat dans l’hiver 1988/89 dans un chantier naval silencieux et fantomatique depuis que le pouvoir avait décidé de le fermer.
Le 6 octobre 1988 l’occupation avait bien été décidée pour refuser le massacre mais rapidement le nombre d’occupants avait décliné et dans ce rassemblement de soutien nous étions guère. J’entends encore Louis, en toute franchise et fraternité, nous fustiger au micro parce que nous n’étions pas assez nombreux…
Je me rappelle plus tard qu’il m’était facile, quand j’étais à Montreuil au siège de la CGT et alors que je débutais mes responsabilités nationales au comité chômeurs, de monter le matin tôt dans son bureau au dernier étage, pour aller le voir à l’improviste et parler d’un problème qui me tenait à cœur. Louis savait se rendre disponible.
Je me rappelle aussi sa volonté de « redimensionner » comme il disait l’action de la CGT en direction des chômeurs. « La CGT ne doit plus être le syndicat des seuls travailleurs à statuts » disait-il…Volonté qui a grandement aidé en 1997 à ce que la 5e conférence nationale des chômeurs à laquelle il participa fasse effectivement connaître à l’action de la CGT un bond qualitatif et quantitatif dans l’organisation des chômeurs et précaires.
La presse, qui évoque le rôle joué par la CGT alors dirigée par Louis en 1995 contre le plan JUPPE, parait en revanche en mal de rédacteurs cherchant à analyser des faits qui appartiennent désormais à l’histoire et attribue souvent à Louis un rôle qu’il n’a pas eu quand elle ne se contente pas purement et simplement de recopier une dépêche AFP bien approximative eu égard à la réalité.
Louis n’a pas été « l’homme du renouveau » de la CGT [1] ni celui qui a rompu le « lien organique de la CGT avec le PCF » [2]. Une fois de plus concernant le syndicalisme, la presse fait la preuve de sa méconnaissance voire son opposition, quand ce n’est pas les deux à la fois.
VIANNET, la CGT et le PCF.
A l’inverse de ce que nos adversaires répètent au mépris de toute réalité, depuis 1906 et la célèbre charte d’Amiens, il n’y a jamais eu de lien « organique » entre la CGT et un autre parti politique contrairement ce qui se passe dans d’autres pays, en particulier dans les pays anglo-saxons, où l’adhésion à un syndicat entraine de facto l’adhésion à un parti.
Il y a eu il est vrai en France des convergences PCF/CGT tout au long de l’histoire et parfois celles-ci ont pu apparaître comme un alignement ou comme une mise à mal de la notion d’indépendance du syndicat vis-à-vis du parti. Pourtant à étudier l’histoire sociale française de près, les exemples ne manquent pas de circonstances où la position de la CGT a été différente de celle du PCF, voire l’a faite évoluer : la théorie qui veut faire croire que la CGT n’a été que « la courroie de transmission du PCF » ne tient pas à l’épreuve des faits.
Il y a une période de l’histoire récente où la CGT a mise à mal ses principes d’indépendance, c’est celle du programme commun que la CGT choisit de soutenir au détriment de son propre programme et surtout de sa vocation de répondre aux besoins des travailleurs. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 et les déceptions qui accompagnèrent la période 1978 – 1983 la CGT mesura son erreur de stratégie.
S’il y a un tournant dans la stratégie de la CGT, c’est en 1983 qu’il eut lieu sous l’impulsion du secrétaire général de la CGT de l’époque, Henri KRASUCKI qui signa une série d’articles au titre sans équivoque : « Cultivons notre jardin syndical » . Au congrès qui a suivi la CGT décida de tourner le dos à ce que nous appelions « la démarche programmatique » pour en revenir à une défense pied à pied des salariés en partant de leurs besoins au quotidien tout en visant bien sûr le changement de société. Ce fut le retour à ce que la charte d’Amiens de 1906 appelait « la double besogne ». C’est dans cette période que le même Krasucki parla de ceux « qui se croyaient en mission » pour dénoncer l’attitude de toutes celles et ceux qui voulaient importer dans la CGT des débats qu’ils ou elles avaient eu ailleurs.
Louis arriva au poste de secrétaire général en 1992, donc après que l’inversion de stratégie et la réaffirmation de l’indépendance de la CGT ait eu lieu. Son rôle est à analyser dans un autre domaine.
Louis VIANNET et le syndicalisme « rassemblé »
En 1989, 3 ans avant l’arrivée de Louis au poste de secrétaire général, eut lieu la chute du mur de Berlin. A partir de cette date il y eut dans le camp de celles et ceux qui voulaient changer le monde comme un sentiment de défaite mondiale ce que résuma alors à l’époque Rocard dans une tribune en disant en gros : il faut s’y faire le capitalisme a gagné. La théorie de la fin de l’histoire [3] traversait nos rangs.
Louis, voyant, ce qu’il analysait au plan international comme un effondrement de la FSM et au plan national la faiblesse de la CGT et son relatif isolement sur ses conceptions exprima alors, mais il ne fut bien sûr pas seul dans la direction de la CGT, la nécessité de mettre en avant la thèse du « syndicalisme rassemblé ».
Ce qu’il y avait de nouveau dans cette stratégie ce n’était pas l’affirmation de l’importance de l’unité des travailleurs pour gagner, ce que la CGT avait toujours défendu dans son histoire [4], mais l’idée que l’on ne pouvait pas gagner tous seuls et que donc la CGT ne pouvait engager de bataille seule mais tenter par tous les moyens de se rassembler, quitte à abandonner des pans entiers de son programme revendicatif pour arriver à des accords de sommet avec d’autres au premier rang desquels se situait la CFDT.
En toute logique, ce « rassemblement » à tout prix et en préalable à toute action avec des organisations qui pensent que le capitalisme a gagné ne peut conduire qu’à des batailles qui relèvent de l’aménagement de celui-ci ou à l’accompagnement de réformes pour qu’elles soient le moins douloureuses possibles. On est loin de la fameuse phrase de Krasucki : « La régression sociale ne se négocie pas ».
Cette stratégie, ne permit pas à la CGT de progresser en effectifs ni même ne s’avéra gagnante dans les conflits qui suivirent (en particulier ceux de 2003 et 2010) pourtant démarrés dans l’unité avec la CFDT. Elle contribua au contraire à provoquer des dissensions dans ses rangs et des déceptions dans le monde du travail qui reprocha souvent depuis à la CGT son manque de détermination ou l’abandon de sa volonté transformatrice.
Quant à la FSM [5] que la CGT quitta en 1995 et son adhésion en 1999 à la CES [6] les choses sont bien moins simplistes (voire caricaturales) que telles qu’énoncées par la presse ni l’œuvre du seul Louis VIANNET.
La CGT voulait rejoindre la CES dès 1974 ce qui ne voulait pas dire alors pour elle abandon de son identité mais volonté de dialogue avec tous les syndicats européens sans exclusive mais la CES exigeait de la CGT qu’elle quitte la FSM ce qu’elle refusa.
Si la CGT quitta en 1995 une FSM très affaiblie, qui n’avait jamais été la confédération des syndicats « pro-communistes » (sic !) [7] c’est parce qu’elle était en désaccord avec ce qu’elle était devenue. Les débats sur cette question, qui traversaient à l’époque nombre de centrales syndicales en Europe et dans le monde, dataient d’avant l’arrivée de Louis au secrétariat général. La question n’était guère simple pour les délégués au congrès qui votèrent cette décision.
C’est sûr que par la suite, dans un contexte où il y avait des membres de la direction de la CGT, et non des moindres, qui ne croyaient plus au changement de société et déniaient même à la CGT le droit de se battre pour celui-ci, les deux événements prirent une dimension qui accélérèrent une évolution de la CGT l’éloignant encore plus de la double besogne de 1906.
L’adhésion de la CGT à la CES se fit dans des conditions fixées entre autres par la CFDT et que Louis, comme le bureau confédéral de l’époque acceptèrent en particulier une réorientation des activités internationales de la CGT…
L’histoire montre que tout est mouvement. Cela est aussi vrai pour la CGT où nombre d’organisations remettent en cause ces temps-ci le bien-fondé de l’affiliation à la CES et à la CSI toutes deux bien absentes de tout soutien au mouvement social français et qui regardent avec de plus en plus de sympathie une FSM en plein renouveau, forte de près de 100 millions d’affiliés et présente sur le terrain des luttes et de la solidarité internationales.
Au-delà des désaccords, des tâtonnements et des changements de cap de l’organisation CGT, il reste que Louis fut un militant disponible, homme de conviction qu’il convient de saluer et de reconnaître dans tout ce qu’il a apporté au mouvement syndical français.
[1] Les Echos 22 10 2017
[2] Libération 22 10 2017
[3] Du livre « La Fin de l’histoire et le Dernier Homme » du politologue américain Francis Fukuyama publié en 1992. Fukuyama affirme que la fin de la Guerre froide marque la victoire idéologique de la « démocratie » et du libéralisme sur les autres idéologies politiques. Selon Fukuyama la « démocratie libérale » (encore un oxymore !), ne constituerait pas seulement l’horizon indépassable de notre temps mais se réaliserait effectivement.
Le livre développe la thèse d’un article intitulé The End of History ? (La Fin de l’Histoire ?) et publié en 1989 dans la revue The National Interest.
[4] cf le livre « Syndicalisme et unité » de Krasucki
[5] Fédération Syndicale Mondiale co-fondée en 1945 par la CGT
[6] Confédération Européenne des Syndicats créée en 1973
[7] une affirmation reprise dans la presse et qui fait rire toutes celles et ceux qui connaissent la réalité du syndicalisme international
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