Qu’est-ce que la Banque Centrale Européenne (BCE) ?
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A l’occasion de la semaine d’actions contre la dette et les institutions financières internationales se déroulant du 9 au 15 octobre 2017, le CADTM revient sur les principaux mécanismes et institutions au centre du « système-dette ».
Créée en 1998 et installée à Francfort-sur-le-Main en Allemagne, la Banque centrale européenne (BCE) est l’institution responsable de la mise en œuvre de la politique monétaire dans les pays ayant adopté pour monnaie commune l’euro [1]. Les banques centrales nationales des pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matière monétaire. Prévue par le traité de Maastricht de 1992 [2], elle assure, sur papier, les missions classiques d’une banque centrale :
elle bat monnaie, c’est-à-dire qu’elle fabrique les pièces et les billets (qui ne représentent que 9 % [3] de la monnaie en circulation) et s’assure de leur diffusion ;
elle promeut le « bon fonctionnement » des systèmes de paiement, c’est-à-dire qu’elle s’assure que les règles et les systèmes qui organisent les virements, les paiements par chèques etc. sont fonctionnels ;
elle assure les réserves officielles de change, c’est-à-dire qu’elle va vendre ou acheter des devises étrangères (dollars, yuan, etc.) sur les marchés, ce qui va avoir une influence sur le cours de l’euro ;
mais aussi et surtout elle définit et met en œuvre la politique monétaire de la zone euro. Une politique monétaire consiste principalement à influencer l’activité économique (la stimuler ou la ralentir) en jouant sur la quantité de monnaie en circulation. Bien qu’une grande partie de la création monétaire soit aujourd’hui le fait des banques commerciales, la banque centrale tente de contrôler la quantité de monnaie en circulation par différentes techniques. Le moyen le plus connu pour y parvenir est de jouer sur le taux directeur (nom donné au taux d’intérêt fixé par une banque centrale). Par exemple, en fixant ce dernier très bas, une banque centrale espère stimuler les crédits des banques commerciales et ainsi augmenter la masse monétaire en circulation. Si cette technique des taux directeurs reste la plus connue du grand public, les banques centrales ont créé d’autres types d’opérations susceptibles d’influencer la quantité de monnaie en circulation telle que les opérations de marché ouvert (open-market) [4]
L’obsession de l’inflation
Initialement, l’Allemagne n’était pas favorable à la création d’une monnaie unique, contrairement à la France qui y voyait une condition sine qua non à la réunification allemande suite à la chute du mur de Berlin. La France (et la Grande-Bretagne) envisageait l’euro comme un moyen de limiter la puissance économique retrouvée de l’Allemagne. Berlin se pliera à la monnaie unique, à la condition que la future BCE soit créée à l’image de la Bundesbank allemande.
L’héritage le plus fondamental de cette imitation, c’est tout simplement l’objectif numéro 1 de la BCE : « maintenir la stabilité des prix » [5]. La lutte contre l’inflation se retrouve donc être l’alpha et l’oméga de la politique monétaire européenne au détriment d’autres objectifs, comme la lutte pour le plein emploi qui est, certes repris dans les statuts de l’institution, mais subordonné à l’objectif principal.
Or il est essentiel de rappeler que, si une forte inflation peut constituer un véritable problème pour l’économie et pour la majorité de la population lorsqu’elle devient incontrôlable et que les salaires ne sont pas indexés, elle constitue aussi et surtout un problème pour les détenteurs de capitaux. L’inflation fait en effet perdre de la valeur à leur patrimoine : la perte de valeur de la monnaie fait tout simplement fondre le tas d’or sur lequel ils sont assis. Il n’est donc pas étonnant que les courants idéologiques pro-capitalistes qui ont petit à petit gagné en influence dans l’après seconde guerre mondiale (en particulier le néolibéralisme anglo-saxon et l’ordolibéralisme germanique) aient placé la question de la lutte contre l’inflation comme une priorité de la politique monétaire.
« Il y a lieu d’adopter la stabilité du niveau des prix, comme à la fois but de la politique monétaire, guide et critère de réussite »
Milton Friedman, dans Prix et théorie économique (1963)
« La constitution monétaire de la Banque centrale européenne [BCE] s’ancre fermement dans les principes de l’ordolibéralisme »
Conférence de M. Mario Draghi à Jérusalem, 18 juin 2013
Une Banque centrale indépendante ?
Pour mener à bien les tâches qui lui incombent, les décisions liées aux orientations de la BCE sont prises au sein de 3 instances :
Le Directoire : Il s’occupe de la gestion quotidienne de l’Institution. Il est composé de 6 membres (le président de la BCE, le vice-président et 4 autres « spécialistes reconnus ») qui sont désignés par les chefs d’État ou de gouvernement des pays de la zone euro pour un mandat de 8 ans. Ils et elles sont censés représenter les intérêts de l’ensemble des pays de la zone euro.
Le Conseil des gouverneurs : Il définit la politique monétaire de la zone euro et fixe les taux d’intérêt auxquels les banques commerciales vont pouvoir emprunter à la BCE. Il comprend les 6 membres du Directoire et les gouverneurs des 19 banques centrales de la zone euro. Celles-ci sont les actionnaires de la BCE [6]
.
Le Conseil général : Il contribue aux travaux de consultation et de coordination de la BCE et assiste les nouveaux pays qui souhaitent adopter l’euro. Il est composé du président et du vice-président de la BCE, ainsi que des gouverneurs des banques centrales nationales des 28 États membres de l’Union européenne.
Il est essentiel de souligner qu’aucun élu ne siège dans ces différentes instances de décisions ! Dès sa création, la BCE a été voulue totalement indépendante du pouvoir politique : « L’indépendance de la BCE est propice au maintien de la stabilité des prix, ainsi que le montrent de très nombreuses études théoriques et données empiriques sur l’indépendance de la banque centrale » [7], peut-on ainsi lire sur son site. En accord avec cette logique, les dirigeants de chacun des États de l’Union européenne ont accepté d’abandonner tout contrôle sur cette institution clé : « Dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés [...] ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. » [8]
En proclamant l’indépendance de la BCE, les dirigeants européens ont réalisé un véritable tour de force. Ils sont parvenus à présenter la politique monétaire aux peuples européens comme une matière technique qui devrait être gérée par des experts. La gestion d’une monnaie relève pourtant de choix hautement politiques ! D’ailleurs cette indépendance n’est qu’une habile mise en scène pour laisser croire qu’il n’est pas possible de questionner les choix faits par la BCE. En réalité, l’institution est tout à fait perméable aux exigences des grandes banques et des institutions financières dans leur ensemble, ainsi qu’à celles des dirigeants européens qui organisent la soumission des peuples grâce aux politiques néolibérales.
Un simple coup d’œil au curriculum vitae de son dirigeant suffit à prouver cette évidente perméabilité : Mario Draghi est président de la BCE depuis 2011. Auparavant, il a exercé diverses fonctions au sein de la Banque mondiale et de la Banque centrale d’Italie. De 2002 à 2005 il était vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs et s’y occupait de la gestion des dettes souveraines lorsque la banque participa aux manipulations des comptes publics de la Grèce. Son siège au « groupe des 30 », un lobby de grandes banques internationales privées (tel que JPMorgan Chase, UBS, Banco Santander et... Goldman Sachs) pose également un sérieux problème en terme de conflits d’intérêts…
Une banque centrale au service des intérêts privés
Historiquement, une des missions des banques centrales consistait à financer l’État ou les États de sa zone monétaire : c’est ce qu’on appelle faire tourner la planche à billets. Or, à partir des années 70-80 cette pratique va être de plus en plus contestée par les tenants du néolibéralisme qui la juge dangereuse car génératrice d’inflation, et qui estiment que les banques privées sont plus à même d’assurer cette tâche. C’est ainsi que, de par ses statuts, la Banque centrale européenne s’est tout simplement interdit de financer directement les États [9]
. Par conséquent, la zone Euro s’est volontairement placée au service des marchés financiers, ce qui a engendré des coûts de financement très importants pour les États ainsi que de plantureux bénéfices et beaucoup de pouvoir d’influence pour les banques privées.
Et la crise des subprimes ne va absolument pas remettre en cause cette logique, bien au contraire. Là où on aurait pu espérer une reprise en main de la BCE au service de l’intérêt général, ses dirigeants vont multiplier les opérations pour maintenir à flot les institutions financières pourtant responsables de la crise : notamment en leur rachetant les titres de dettes publiques risquées qu’elles avaient en leur possession et en leur apportant de l’argent frais à très bas coût via le Quantitative Easing. De plus, en s’associant à la Commission européenne et au FMI dans le cadre de la Troika, la BCE ne va pas hésiter à exercer chantage et déstabilisation économique afin de s’assurer que les pays sous sa tutelle se plient au carcan austéritaire.
Emilie Paumard le 11/10/2017
Transmis par Linsay
En cas de difficulté à lire la vidéo cliquer sur
https://youtu.be/ZE8xBzcLYRs
[1] Onze pays ont créé la zone euro en 1999. Aujourd’hui elle se compose de 19 pays : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Grèce, Slovénie, Chypre, Malte, la Slovaquie, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
[2] Ces missions ont été reprises dans le traité sur le fonctionnement de l’UE (communément appelé Traité de Lisbonne) signé en 2007.
[3] Voir les statistiques des agrégats monétaires publiées par la BCE : http://sdw.ecb.europa.eu/reports.do...
[4] Les opérations dites « d’open market » consiste à l’achat de titres financier (titres de dettes publiques, titres sur des obligations d’entreprises privées…) par la Banque centrale sur le marché secondaire, c’est à dire le marché de l’occasion de la dette
[5] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, article 282.
[6] A noter que les pays non-membres de la zone euro mais membres de l’UE sont également actionnaires de la BCE à hauteur d’environ 30 %.
[8] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, article 130.
[9] Voir article 123 du TFUE dit « traité de Lisbonne »
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