« L’inévitable sortie de l’euro » : pour un Grexit de gauche...
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On pourra reprocher à l’auteur l’expression Grexit de « gauche » au contenu flou,
on pourra se rappeler qu’Unité Populaire, cette scission de Syriza dont se réclame l’auteur de l’article a les faveurs de l’ancien ministre des finances M. Varoufakis * le même qui vantait il y a peu les mérites de M. Macron**,
on pourra surtout reprocher le mauvais procès fait au KKE qui, contrairement à ce qui est écrit, ne renvoie pas la sortie de l’euro aux calendes grecques, mais l’assortit de conditions et d’un programme résolument anticapitaliste afin que cette sortie signifie un réel changement de société (mais ce mauvais procès c’est sans doute la loi du jeu de la concurrence politique...) reste l’essentiel.
L’essentiel c’est qu’à son tour, tout comme le KKE, Unité populaire (cette scission de Syriza) se prononce pour la sortie de l’euro...
Sortir ou non de l’Euro ? Ce n’est plus la question. Il faut se demander quand, comment, et avec qui. La gauche doit au plus vite surmonter ses hésitations et ses fausses querelles pour présenter un plan bien à elle, susceptible de convaincre.
La participation aux négociations avec les créanciers sur l’hallucinant paquet des 5,4 + 3,6 milliards révèle quelque chose de plus grave que l’impasse programmée du gouvernement Tsipras : l’incapacité du capitalisme grec, organiquement affaibli, à se reproduire dans le contexte économique de compétition de l’Eurozone – même en imposant aux couches populaires les conditions les plus insupportables. Cette vérité amère, des acteurs politiques et même des économistes radicalement systémiques qui se situaient jusqu’ici dans la logique de « l’euro à tout prix » en prennent conscience depuis peu et sont contraints maintenant sous la pression écrasante des faits, de rechercher fiévreusement des solutions alternatives.
En proie à la panique, Alexis Tsipras sollicite Hollande, Junker, Schultz, et tous ses autres « amis » tardifs, pendant que des individus de son entourage murmurent qu’on pourrait retourner aux urnes pour des élections ou pour un référendum si Schaüble et le FMI persistent jusqu’au bout. Qui peut bien prendre au sérieux ces rodomontades lorsque le gouvernement lui-même met déjà en application la « guillotine automatique », avant même qu’elle ne soit passée dans la loi, dans les dépenses publiques, en licenciant 4000 maîtres auxiliaires, comme le laisse prévoir la nouvelle réglementation pour l’école toute la journée ? Comment le gouvernement prendrait-il le risque d’un référendum ou d’élections lorsque l’humiliant retournement de veste de juillet dernier est encore tout frais dans les mémoires, avec Le Non qui est devenu Oui, analysé par Christos Laskos et Démosthènes Papadatos dans le livre intéressant qui a été récemment publié sous ce titre.
Nul besoin d’être professeur d’économie pour comprendre que le « mémorandum plus » n’a aucune chance de « réussir », même s’il devait passer avec très peu de réactions politiques et sociales, et même si on marchait sur des cadavres. La contraction de la demande qui en résulterait, dans une économie asphyxiée depuis six ans par une profonde dépression, avec un chômage de l’ordre de 25 %, paralysera encore plus le marché, en provoquant de nouvelles vagues de faillites et de licenciements. Quant aux objectifs astronomiques de l’excédent primaire*, suffisamment violent déjà en lui-même, soyons sûrs qu’ils ne seront pas remplis, comme le reconnaissent d’avance les créanciers lorsqu’ils insistent sur les « mesures de réserve* ». Une insistance qui envoie à tous les candidats investisseurs le message suivant : restez à l’écart du champ de mines qui a nom Grèce, à moins qu’il ne s’agisse de récupérer pour trois fois rien un bon morceau sur la carcasse de ce qui reste des richesses publiques.
Lorsque votre voiture roule dans une impasse et que le mur est en vue, il n’y a qu’une solution : faire marche arrière et prendre la direction opposée ! La Grèce aujourd’hui ne se trouve qu’à quelques mètres du mur. Un changement dramatique de direction vers la sortie de l’Eurozone s’impose sous peine d’un « hiver nucléaire » économique et social. La question qui se pose en fait n’est plus de savoir si nous sortirons ou non de l’euro, mais quand, comment, avec qui, et contre qui nous partirons.
Comme le souligne l’économiste Vangelis Venizelos dans un article d’une remarquable perspicacité, même des forces particulièrement agressives du capitalisme financier international souhaiteraient un Grexit limité, ou en tout cas l’admettraient comme inévitable, dans la logique à laquelle travaille Wofgang Schaüble depuis longtemps. Le « plan B » alternatif de ces cercles est connu dans ses grandes ligne : monnaie « nationale » sans politique monétaire nationale, liée à l’euro par une stricte parité (Ce qui signifie que la Grèce continuerait à subir les conséquences du dumping économique et social de l’Allemagne), maintien de la dette insoutenable et poursuite de la privatisation des banques et des infrastructures, nouvelle vague de paupérisation massive pour la population grecque. Un pareil Grexit, résultant d’un consensus (avec les créanciers), constituerait une véritable catastrophe sociale, dont les forces systémiques se hâteraient d’attribuer la responsabilité aux forces de gauche anti UE, en prétendant qu’ils ne font que mettre en pratique ce nous avons toujours voulu !
C’est une nécessité impérieuse, dans ce contexte, de mettre en avant, à une échelle la plus large possible et de la façon la plus convaincante possible, la solution alternative salvatrice d’un Grexit de gauche, populaire, démocratique, aux antipodes d’un « Grexit à la Schaüble » contrôlé et dévastateur. Tous ceux qui, sous le poids des difficultés présentes, adoptent une position défensive et évitent de prendre position sur cette question, au cœur de toute proposition alternative de gauche, ceux-là rendent un très mauvais service à la cause du combat populaire contre les mémorandums. Si nous ne présentons pas nous-mêmes notre propre proposition de transformation ce sont des forces systémiques qui viendront remplir le vide, éventuellement des forces de droite (voir déjà les tentatives de l’extrême droite de jouer ce rôle avec le parti « Unité Nationale »)
Parmi ceux qui rendent un mauvais service figurent également tous ceux qui, comme la direction du Parti Communiste Grec bottent en touche en renvoyant la sortie de l’euro au... socialisme et à la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire aux calendes grecques. On compte aussi ceux qui, dans une période aussi cruciale pour le peuple et le pays, s’échinent à surenchérir dans les proclamations ultragauches en faisant de la sortie simultanée de l’euro et de l’UE un objectif immédiat -ce qui élimine de facto la sortie de la zone euro comme question centrale de la lutte sociale et politique. IL est très facile de placer la barre plus haut à qui mieux mieux et de flinguer pour leur manque de détermination tous ceux qui ne te suivent pas. Mais ce qui n’est pas si glorieux, c’est de passer en permanence très en-dessous de la barre et de se pavaner pour son « audace ».
Il n’y a pas de doute que la rupture, le désengagement par rapport à l’UE viendra à l’ordre du jour, plus ou moins vite, et plutôt vite. Mais pour le peuple, trancher en pratique le nœud gordien de l’euro – et je ne parle pas d’une décision prise sur le papier par telle ou telle organisation – constitue aujourd’hui le tremplin nécessaire pour les conquêtes ultérieures, encore plus décisives.
C’est l’expérience pratique du peuple en marche, et non les proclamations ex cathedra, qui sont l’école politique la plus efficace. L’expérience dense des quinze derniers mois a convaincu à un rythme accéléré des catégories plus larges de travailleurs des conséquences ravageuses de notre maintien dans l’Eurozone, et elle continue à le faire. Le revirement sur la question du Grexit se traduit déjà dans tous les sondages, quelles que soient les réserves qu’on puisse nourrir à juste titre sur beaucoup de sociétés qui les réalisent. Le peuple est en mesure de comprendre que, si nous étions sortis de l’euro en 2010, dans un cadre démocratique, de gauche, au lieu d’être happés dans la spirale descendante, cauchemardesque, des mémorandums, il y a longtemps que nous aurions surmonté les difficultés de la période de transition, et que nous irions beaucoup beaucoup mieux. D’ailleurs, après le contrôle des capitaux imposé l’été dernier, nous avons déjà épongé une grande part du coût d’un désengagement, sans profiter d’aucun de ses avantages
Nous entendrons encore sûrement les principaux porte-voix du système nous expliquer qu’un grexit de gauche serait un voyage « en territoire inconnu », plein de risques à chaque pas. Mais nous savons tous que les destinations les plus belles ne peuvent être atteintes que par des chemins difficiles. Ceux qui ne se décident pas à lever l’ancre pour d’autres eaux que celles qui ont été totalement cartographiées sont condamnés à couler petit à petit, avec leur honneur, dans un pitoyable « port de l’angoisse » -du moins jusqu’à ce que ceux qui l’auront acheté pour trois fois rien ne les en expulsent.
Petros Papakonstantinou le 24/04/2016
Traduction Jean Marie Reveillon
Transmis par Linsay
Pertes Papakonstantinou est physicien, journaliste, membre de Laïki Enotita (Unité populaire)
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