Tsipras n’est pas Léonidas, mais le peuple grec est toujours aussi vaillant !
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En 480. av. J.-C. Xerxès, à la tête d’une armée plus de 100 fois supérieur en nombre, fut contraint de reculer devant la détermination puis le sacrifice de Léonidas et ses héroïques “hoplites” ! La bataille des Thermopyles devint et demeura des siècles durant et encore aujourd’hui le symbole de la résistance et de l’unité des Grecs face aux envahisseurs ! “Étranger, annonce aux Lacédémoniens que nous gisons ici pour avoir obéi à leurs lois” [1]
La victoire du NON au référendum du 5 juillet 2015 m’a fait penser à cet acte de bravoure, de courage, de dignité, voici plus de 2500 ans ! Elle m’a rappelé aussi la résistance anti-fasciste et Manolis Glezos, la lutte contre la dictature militaire et Mikis Théodorakis. Les Grecs viennent encore une fois de démontrer à l’Europe et au monde que l’on a raison de refuser la soumission et de revendiquer le droit de dire NON !
Mon ami, l’écrivain et journaliste Dimitri Konstantakopoulos m’a dit : “tiens compte que les Grecs ont voté avec un revolver sur la tempe” ! On ne pouvait dire mieux ! Voila sans doute pourquoi cet acte de rébellion suscite un tel élan de solidarité, de l’Europe à l’Amérique Latine, de la Russie à l’Afrique. Bien des peuples se sentent proches des Grecs parce qu’au fond ils partagent de mêmes convictions face à la logique de l’austérité Bruxelloise et a celle du FMI...
Mais le résultat du référendum suscite également des réactions outragées comme celle des dirigeants européens et états-uniens, du FMI, des banques et de leurs mercenaires médiatiques.
Ceux qui d’habitude parlent avec condescendance de démocratie aux barbares que nous sommes font preuve cette fois d’un mépris souverain vis a vis d’un acte particulièrement démocratique puisqu’il s’est agi de demander au peuple de décider par lui-même et pour lui-même de ce qu’il veut, et cela sans tutelle d’aucune sorte ! On devrait s’en féliciter or c’est à l’inverse auquel on assiste.
Évidemment l’Allemagne, la France, l’Espagne et d’autres font preuve de déconvenue. Ils s’étaient surpassés pour créer la panique, comme on l’a vu dès l’annonce de cette consultation populaire. Pour la discréditer, ils ont manié les menaces, l’insulte, le paternalisme, on a même vu l’ex banquier arrogant de chez Rothschild, le ministre de l’économie de Hollande Emmanuel Macron le petit, comparer Syriza au Front National. [2]
Mais contrairement à ce qu’ils avaient annoncé, le ciel ne s’est pas effondré. Aujourd’hui, la peur et la crainte ont changé de camp. Pourquoi ? Parce que tout simplement ils craignent par dessus tout que ce qui vient de se passer devienne un exemple contagieux ! “Une idée devient une force matérielle quand elle s’empare des masses” [3]
En réaction à ce comportement méprisable, ceux qui sont attachés à des valeurs et des principes, d’accord ou pas d’accord avec les dirigeants de Syriza, trouvent normal que ce NON entraîne le respect parce qu’il est un acte de dignité ! Parce qu’aussi il est sans précèdent, il suscite la confiance. Il montre qu’il est possible d’ébranler les certitudes dont on nous rabat les oreilles comme quoi l’Europe capitaliste serait un horizon indépassable.
Or si le bleu a un pays : la Grèce ; elle a aussi, on l’oublie souvent, des bases industrielle et commerciale conséquentes, des travailleurs compétents et qualifiés. Les pays de l’Europe, au premier rang desquels l’Allemagne, rêvent d’un véritable hold up sur la Grèce. Dans ce référendum, les travailleurs et les jeunes se sont prononcés massivement et clairement contre la réédition et la capitulation que proposait l’Allemagne et ses associés, afin de poursuivre un pillage à hauteur de 340 milliards. [4]
On me rétorquera, comme l’a rappelé à plusieurs reprises Aléxis Tsipras, que l’enjeu de cette consultation n’était ni la sortie de l’UE ou de l’euro. Certes, mais la pertinence de l’opposition radicale entre le capital et le travail est au coeur de cette partie de bras de fer. Comment ne pas voir alors dans le résultat de ce référendum quelque chose qui a aussi un caractère de classe.
Si ces évènements font autant réfléchir et débattre cela souligne que nous sommes entrés dans une période de clarification. Même si certains s’accrochent à cette religion de l’euro pour laquelle il faudrait tout sacrifier, il est un fait que la construction européenne a perdu toute crédibilité, que son bilan est une faillite et que ses perspectives restent imprévisibles. Où en serons-nous demain ? Là est la question. Car au fond le problème ce n’est pas le “Grexit”, le problème c’est la crise qu’exprime à travers l’euro, comme l’UE, le futur d’un système inhumain qui a fait son temps. Voila pourquoi la finance, européenne et internationale, craint le pire. Celui de voir s’amplifier cette contestation qui, n’en doutons pas, porte en elle une contestation radicale !
Certains, y compris au sein de Syriza, souhaiteraient conjurer la signification d’un mouvement si profond, en le relativisant, en l’interprétant de façon raisonnable, en noyant le poisson de manière académique ! Tout tourne autour de cette formule magique qui serait : la “négociation” ? Mais qu’elle est l’ordre du jour de cette “négociation” ? On nous répond : “mais voyons : la restructuration de la dette !”
C’est, nous dit-on, le point d’achoppement entre le gouvernement de Tsipras et les dirigeants du FMI et de l’euro zone. Mais en fait, de quoi discute t-on, sinon des exigences revendicatives de l’UE et du FMI qui en matière de dette ont une politique à géométrie variable. Par exemple, le traitement n’est pas le même pour la France ou pour la Grèce !
En fait, ces négociations, cela fait penser a ces discussions patronat-syndicats où ces derniers négocient à la marge le nombre de licenciements que le patron a décidé ! Car en définitive, s’il y a restructuration de la dette, il faudra bien payer le taux d’intérêt ! On n’en parle pas ! Pourquoi ?
Quelles conditions seront imposées alors que l’objectif des créanciers est, au nom de la compétitivité, d’orienter l’économie non par rapport au besoin des Grecs mais en fonction des intérêts à payer aux banques. Comment paiera t-on ? On nous répond : mais en gagnant plus d’euros ! Mais comment ? En baissant la dépense publique pour payer la dette ? En gagnant plus d’argent en exportant plus mais sur un nombre limité de créneaux, ce qui suppose de réduire la consommation en gelant les salaires et les pensions, tout en favorisant l’investissement ! Mais pour attirer l’investissement, faut-il encore se débarrasser de réglementations trop contraignantes en particulier en matière de fiscalité et de droit du travail. Il faut donc faire des choix et dire de quel côté de la barricade on se trouve !
Car pour les créditeurs, il faut faire porter la “négociation” sur la poursuite de la libéralisation de l’économie, tout orienter vers l’export en diminuant la protection de l’industrie domestique, poursuivre les privatisations, réduire le rôle de l’état, flexibiliser le marché du travail. Cette négociation est donc un marché de dupe surtout si c’est pour demander de nouveaux financements, donc de nouveaux intérêts plus contraignants encore. De toutes les manières, il faudra payer la note ! Comme chacun sait, cette politique profite toujours aux pays riches et non à ceux de la périphérie !
En fait, on applique à la Grèce ce que l’on a appliqué à travers l’ajustement structurel, ces 30 dernières années, aux pays en voie de développement ! Il en est ainsi parce que l’économie est financière et qu’elle est tout au service des banques ! L’ignorer, où feindre de l’ignorer, c’est se précipiter dans une impasse.
La réponse est donc dans l’annulation de la dette, purement et simplement ! Mais cela ne suffit pas car si l’on suit la même politique économique, on repartira de nouveau dans la dette ! Il faut donc un changement radical et savoir de quelle société on fait le choix. Pour ma part, je pense que cela exige de développer l’économie domestique sur laquelle vivent la majorité des Grecs et donc la consommation par le plein emploi, l’augmentation des salaires et des pensions, des dépenses sociales conséquentes ! Cela exige au niveau international de participer à la construction de ces alliances anti-hégémoniques qui se multiplient, pour échapper a la tutelle étouffante du dollar US, des États-Unis et de ses vassaux, donc faire le choix du développement
Au fond ce qui est à l’ordre jour, c’est de se donner les moyens d’un vaste débat tout autant sur la stratégie que sur les contours qui devraient être ceux d’une société capable de mettre l’ensemble des ressources productives du monde au service des besoins légitimes et des aspirations de tous et toutes.
Il est réconfortant d’avoir vu se multiplier ces dernières semaines les actions et initiatives de solidarité avec le peuple grec. Pour autant, l’Europe est confrontée à ce qu’il faut bien appeler l’impuissance syndicale. C’est un sérieux handicap ! Ainsi, on a pu constater quelques jours avant le référendum la Confédération Syndicale Européenne (CES) appeler à l’abstention. [5] Ce qui, après son soutien inconditionnel à la ratification du projet de constitution européenne, était dans l’ordre des choses. Au fond la CES n’est elle pas un rouage de l’Union Européenne ?
Cela renvoie donc à une idée essentielle, à savoir : comment construire une solidarité utile et efficace. Celle-ci suppose autre chose que de bonnes intentions et des pétitions morales, elle suppose l’action dans son propre pays contre le gouvernement et le patronat qui appuient les revendications des créditeurs. Mais elle implique également de se battre pour des objectifs propres, pour ensuite les articuler avec d’autres à une plus vaste échelle. Ce n’est pas la CES sur le plan syndical qui assumera cette responsabilité pas plus d’ailleurs que cette gauche obsédée par ses problèmes existentiels. Il faut assumer nos responsabilités. L’objectif n’est il pas de créer un rapport de forces permettant au peuple et aux travailleurs grecs d’imposer que l’on discute enfin de leurs exigences en particulier en matière de justice sociale et de souveraineté ? Faire avancer les revendications sociales dans chaque pays de l’UE peut contribuer a ce rapport des forces dont le peuple grec a besoin pour être victorieux.
Tout cela suppose de la lucidité, le refus de la facilité et du superficiel. Nul ne saurait échapper à de telles exigences. Thémistocle [6] faisait remarquer, non sans raison : “si vous voulez vaincre l’heure n’est pas au doute mais à la stratégie”. C’est bien de cela qu’il s’agit !
Jean-Pierre Page
jean.pierre.page@gmail.com
Jean-Pierre Page est un syndicaliste, ancien dirigeant de la CGT française et responsable de son département international. Il est rédacteur en chef de la revue en ligne, “La pensée libre”, www.lapenseelibre.org
[1] Simonide de Céos (556-467 av. J.-C.).
[2] "Le FN est une forme de Syriza" Emmanuel Macron, Le Figaro, 6 juillet 2015
[3] Karl Marx
[4] KPU (Centre d’information de l’association « opposition de gauche ») ; publié par Histoire et Société
[5] Déclaration du comité exécutif de la CES : « Une restructuration de la dette devrait faire partie de la solution. Il faut garder la Grèce dans la zone Euro. Abandonner la Grèce à elle-même serait une voie dangereuse pour la stabilité géopolitique du sud-est de l’Europe”. 17/18 juin 2015
[6] Thémistocle (524-409 av J-C)
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