Le racisme en France : Etat des lieux et genèse de son épanouissement
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« Dieu a dit : « Il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… Et puis il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce sera très dur ! »
Coluche, Le blouson noir 1989
On sait que dans ses sketches, l’inénarrable Coluche a su donner un ton nouveau et impertinent en s’attaquant aux dérives de la société française, notamment concernant cette plaie qui nous vient du fond des âges ; le racisme. Justement, le présentateur vedette Harry Roselmack, a poussé un coup de sang. Pour lui il existe une « France raciste ».
« Dans une tribune intitulée « La France raciste est de retour » publiée dans Le Monde, le célèbre présentateur de TF1, d’habitude si discret, s’insurge contre les propos d’une ex-candidate du FN à l’égard de la chronique signée d’une main de maître par le présentateur de Sept à Huit de TF1, c’est un véritable coup de gueule. L’ex-présentateur du 20h y dénonce sans mâcher le moindre mot le climat nauséabond dans lequel est plongé notre société : « Me voilà ramené à ma condition nègre. Harry Roselmack rappelle notamment, les propos d’une ex-militante Front national, Anne-Sophie Leclere qui, dans un reportage diffusé mi-octobre dans un numéro d’Envoyé Spécial sur France 2, assumait sans aucune vergogne, un photomontage comparant la garde des Sceaux, Christiane Taubira, à un singe. « S’il est faux de dire que tous les électeurs et militants du FN sont racistes, il était tout aussi faux de dire qu’il n’y a pas de racisme dans ce parti », note-t-il. « La xénophobie et le racisme en constituent même le ciment essentiel. Il poursuit son discours en jugeant que le « fond de racisme en France est un héritage des temps anciens » en témoigne la célèbre publicité « Y’a bon Banania ». [1]
Qu’est-ce que le racisme ?
Quand Coluche dans un autre sketch intitulé et bien nommé « Jean Marie » déclare :
« Le racisme, c’est comme les nègres, ça devrait pas exister. » On ne peut mieux résumer le racisme. Le racisme s´accompagne souvent d´une péjoration des caractéristiques du groupe racisé. Il y a évidemment le racisme quotidien : le racisme institutionnel. et le racisme structurel. Deux conceptions principales s´opposent. La première consiste à considérer que différentes formes de racisme se sont succédé au cours de l´histoire, la seconde envisage le racisme comme un produit de l´Europe occidentale moderne, exporté dans le sillage de l´impérialisme européen. Sa manifestation la plus probante est la mise en place progressive à partir de 1449 d´un système de certificat de pureté de sang (limpieza de sangre) dans la péninsule Ibérique. Dans l´Essai sur l´inégalité des races humaines, Arthur de Gobineau ne fait que ruminer la décadence de la civilisation occidentale dont l´essence aurait été altérée par « la contamination du sang de la race blanche. » [2]
Les « négationnistes » du racisme et la libération de la parole raciste
« Combiné avec la mission civilisatrice, le suprématisme blanc est un élément fondamental de l´idéologie coloniale. Le fardeau « The white man burden » repose sur les seules épaules de la race blanche. C´est à cette occasion que le père de l´Ecole républicaine, Jules Ferry, partisan du mythe ´´des races supérieures qui ont un droit sur les races inférieures et un devoir de les civiliser´´, trouve la parade s´agissant des droits de l´homme en disant qu´ils ne s´appliquent pas dans les colonies…. Pierre de Coubertin, le père des Jeux olympiques n´aimait pas les Noirs. Pour lui l´athlète doit être de race blanche Ce qui a fait dire à Sophie Bessis qu´en définitive, l´idéologie nazie n´a pas jailli du néant, il n´y a pas eu de rupture avec les idées ambiantes, mais filiation. Les idéologues du XIXe siècle comme Renan, Gobineau, Chamberlain, Kipling et avant eux Voltaire, Montesquieu, ´´les philosophes dits des Lumières qui avaient pour certains des actions dans les compagnies négrières´´, ont fait le lit du nazisme. A bien des égards, ce siècle dit des Lumières fut un siècle des ténèbres pour les colonisés. » [3]
On dit que 57% des Français pensent que le raciste existe. Faut-il y voir une singularité et se poser en censeur en tant qu’Algérien au sein d’une société qui est elle aussi loin d’être irréprochable. On est toujours le souffre-douleur de quelqu’un. Cependant, la particularité est que l’Europe se croit dépositaire du magistère, des droits de l’homme au point d’en faire un cheval de bataille quand il s’agit de dicter la norme. Naturellement, le racisme est au mieux, minimisé, au pire nié. La goutte a débordé du vase lors de l’attaque de la ministre de la justice, Christiane Taubira : ´´C’est pour qui la banane ? C’est pour la guenon !´´ cet épisode a brièvement électrisé les réseaux sociaux, Comment une telle scène peut-elle avoir eu lieu ? Ce qui l’a rendue possible, chacun avance une explication à ce phénomène. Il y a souvent une référence à Coluche, au droit à l’humour et à la caricature, au fait qu’avant on avait le droit de dire certaines choses qu’on ne pourrait plus dire aujourd’hui. Mais les gens oublient que Coluche disait ces choses pour les dénoncer.´´ Il y aurait dit-on, un climat lié à la crise économique, qui délie les langues. La radicalisation du discours politique légitime le racisme.
Jack Dion, rédacteur à Marianne, n’y voit pas de problème particulier. Il écrit :
« Voilà le dernier des sujets montés par les médias à grand renfort de trompettes et de jugements définitifs : la France est un pays raciste. Est-ce aussi simpliste ? On se croirait revenu à l’époque de « SOS Racisme » qui permit à Harlem Désir de s’imaginer un destin national. Il ne manque que BHL à l’appel, mais rien n’est perdu. En attendant son éventuel renfort, des voix étreintes par l’angoisse expliquent que la France est devenue une plaie pour la civilisation en raison de sa xénophobie congénitale. Le Parisien pose la question : « La France devient-elle raciste ? » La réponse induite est positive, forcément positive. Le même jour, Libération donne la parole à Christiane Taubira et s’empresse d’expliquer que « la parole xénophobe se libère en France ». La veille, Harry Roselmack, journaliste vedette de TF1, lançait dans Le Monde : « Me voilà ramené à ma condition nègre. » Et d’ajouter cette sentence définitive : « La France raciste est de retour ». Bref, l’Hexagone serait l’équivalent européen des Etats-Unis de la ségrégation raciale des années 50. Il serait temps de revenir sur terre. Qu’il y ait une recrudescence des manifestations de racisme, comme toujours en période de crise, nul n’en doute. » [4]
Voilà pour le minimum syndical du politiquement correct, Jack Dion ajoute une couche : « qu’il faille les condamner avec la dernière vigueur, c’est l’évidence même. Que les heures sombres du sarkozysme, avec son instrumentalisation de l’identité nationale, aient ouvert des vannes que l’on croyait fermées à jamais, c’est certain. Que le traitement infligé à Christiane Taubira par quelques voix haineuses soit une offense à la ministre et à la République, on ne le dira jamais assez. Par parenthèse, on regrettera que les dirigeants politiques de tous bords n’aient pas réagi plus tôt. » [5]
La parole du racisme de plus en plus libérée
Jack Dion termine en absolvant sans état d’âme : « Mais de là à décrire le pays comme un bunker de racistes potentiels ou avérés, il y a un pas qu’il serait hasardeux de franchir, sauf à prendre ses fantasmes pour la réalité et des faits isolés pour une tendance générale. La chasse à la parole déviante est ouverte 24h sur 24. On ne peut plus rien dire sans peser ses mots au trébuchet afin d’échapper au tribunal des flagrants délits intellectuels. » (3) [6]
Pierre Tevanian, professeur de philosophie, interviewé par Quentin Vanbaelen, nous explique les causes profondes du racisme notamment lié à la religion de l’allogène qui est là pourtant depuis plusieurs religions mais qui a la tare d’appartenir à la « mauvaise religion » déclare :
Le questionnement que j’ai eu était très fort lié au contexte social et politique français, notamment, où le racisme s’est beaucoup reformulé ces dernières décennies sous la forme islamophobe. Par ailleurs, ce racisme islamophobe s’est déployé dans des espaces spécifiques de la gauche sous la forme de la « religiophobie ». Depuis un certain temps, on avait dans ces milieux de gauche, des discours méfiants ou hostiles menant à l’exclusion de personnes au motif qu’elles affichaient une religion, en l’occurrence essentiellement musulmane. La question religieuse se cristallise souvent autour de la laïcité et du voile. Je pense que c’est l’expression d’une panique morale au sein du groupe dominant, à savoir la bourgeoisie blanche européenne. Elle est prise d’une panique identitaire face à l’émergence dans certains espaces de la société – l’école, l’université, les emplois qualifiés, le monde associatif et politique… – qui étaient des espaces presque sacrés, de populations qui étaient censées en être écartées. Or auparavant, ces populations – en gros, issues de l’immigration extra-européenne, donc les Noirs, les Arabes, les musulmans… – étaient écartées de ces espaces réservés sans qu’il soit nécessaire de passer par une interdiction explicite. (…) L’accès de ces populations aux espaces privilégiés de l’élite, vécu comme une profanation, a amené à une redécouverte et une révolution conservatrice dans la laïcité (…) » [7]
Pierre Tevenian y voit une rupture de la digue ; le racisme latent n’est plus bridé par le « politiquement correct ». Il écrit :
« (…) On assiste malheureusement à la libération d’une parole et d’une violence racistes, réactivées depuis deux décennies par les classes dirigeantes. Il faut constamment lutter contre des discours tenus par les élites sociales, politiques, économiques, qui stigmatisent, diabolisent, attisent les peurs… Par ailleurs, les attaques islamophobes, mais aussi celles contre les classes populaires en général, contre les acquis sociaux. » [8]
La position d’un homme d’Eglise sur la panne sociale de l’intégration
Du côté de l’Eglise même constat, la digue est rompue. Celui qu’on appelait « le curé des Minguettes » estime que la France n’est pas un pays raciste, mais qu’elle ne reconnaît pas la pleine citoyenneté des Français issus de l’immigration.
Pour le Père Delorme, « La marche de 1983 n’a pas eu de prolongement politique. La marche, c’est un événement qui surgit de manière inattendue. C’est à la fois un cri de souffrance et une main tendue. Une protestation contre la violence meurtrière dont les Maghrébins sont alors victimes et une demande de reconnaissance d’une partie de la jeunesse à la France. Il a fallu des années pour voir enfin arriver des députés issus des minorités. (…) Les injures dont la ministre a été la cible sont révélatrices des traces laissées par le passé colonial dans notre inconscient collectif. Ce refoulé prouve qu’un travail de mémoire n’a toujours pas été fait en France. (…) Dans les années 1980, le racisme était très lié aux séquelles de la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, la France est devenue un pays métissé et multiethnique. Cela crée des peurs nouvelles, en particulier vis-à-vis de l’islam, dans un contexte mondial de terrorisme. J’observe que nos communautés chrétiennes étaient beaucoup plus réceptives aux discours sur l’accueil de l’étranger. Il devient plus difficile d’en parler. (…) On parle toujours des pannes de l’intégration et on ne voit pas que, malgré les replis communautaires, sait-on, par exemple, qu’environ 10% des militaires français sont des Franco-Maghrébins ? Aujourd’hui, la classe moyenne franco-algérienne, franco-sénégalaise, franco-turque… est bien vivante, mais en déficit de reconnaissance. On a un vivier extraordinaire de talents et d’énergies dans ces populations encore regardées comme étrangères. » C’est là le grand gâchis. » [9]
Racisme et islamophobie, deux faces d’une même médaille
L’affligeante comptabilité des actes racistes réalisée par le ministère de l’Intérieur enregistre le bond spectaculaire des actes antimusulmans au cours du premier trimestre 2013. Au premier trimestre, il y a eu quelque 304 faits racistes et xénophobes, qui ne visent pas le caractère religieux mais la qualité ´´d’étranger´´ de la victime, dont 49 actions et 255 menaces. Signe des temps alarmants, parmi les nouvelles formes de violences islamophobes, l’arrachage de voiles de femmes musulmanes, qui ne peut plus être décemment minimisé. Un phénomène qui était encore inconnu il y a cinq ans, comme l’affirme le ministère de l’Intérieur. Il y a certainement des boutefeux qui entretiennent la flamme de la discorde. « Janvier 2012, lit-on sur Agoravox Pierre-André Taguieff accorde un entretien au magazine Causeur journal fondé par Elisabeth Lévy, il déclare : « Les ´´apéros-pinards´´ illustrent une stratégie de provocation visant à faire prendre conscience d’un problème de civilisation minimisé ou nié par les élites bien-pensantes. À mes yeux, ils ne sont pas plus provocateurs que les prières ostentatoires de rue, et ils présentent l’avantage d’inclure une dimension ironique étrangère aux esprits soumis à la volonté d’Allah.´´ Pierre-André Taguieff est aussi un contributeur régulier du site islamophobe Dreuz.info Pour lui, « Fallaci vise juste, même si elle peut choquer par certaines formules ». Rappelons que Fallaci fut inculpée pour diffamation contre l’islam. « Deux millions de musulmans en France, ce sont deux millions d’intégristes potentiels. » Pierre-André Taguieff, France Inter, 1997. » [10]
Conclusion
Il y a 75 ans, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, Hitler déclenchait la « Nuit de Cristal » pour terroriser les juifs. L’Allemagne se souvient de cela cette année dans le recueillement. Partout en Europe et notamment dans les Pays-Bas, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, le délit de faciès et de religion fait que les allogènes sont montrés à la vindicte publique. Certains expliquent cela par la crise, l’étranger qui vole « le pain des Français » dirait Fernand Reynaud.
Assisterons-nous à de nouvelles Nuits de Cristal qui concerneront, cette fois-ci, les allogènes, surtout s’ils appartiennent à l’Islam la religion honnie qui est de plus en plus le carburant des partis non plus de l’extrême droite, mais aussi de la droite et de la gauche, tout ceci pour la conquête du pouvoir. Assurément, de lourds nuages se profilent au-dessus des Arabes et des mélanodermes que le corps social européen se refuse à absorber..
Pour Pierre Tevanian la parade est dans l’unité sociale par delà les couleurs de peau et les religions. Il cite un poème d’Aragon « La Rose et le Réséda, Ndlr », écrit sous l’occupation nazie, et qui appelle notamment à l’alliance entre les personnes religieuses et celles qui ne le sont pas pour lutter contre l’occupation.
« Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat ».
C’est en fait de cela qu’il s’agit, le combat pour la dignité humaine quelle que soit sa latitude et ses espérances en des lendemains meilleurs.
Professeur Chems Eddine Chitour le 12/11/2013
Transmis par Linsay
[2] C.E. Chitour : http://www.lexpressiondz. com/chroniques/analyses_ du_professeur_ chitour/64720-La-cons%C3%A9cration-d%E2%80%99un-racisme-d%E2%80% 99Etat.html
[3] C.E. Chitour : http://www.lexpressiondz. com/chroniques/analyses_ du_professeur_ chitour/64720-La-cons%C3%A9cration-d%E2%80%99un-racisme-d%E2%80% 99Etat.html
[4] Jack Dion : http://www. marianne.net/Le-fantasme-de-la-France-raciste_a233620.html
[5] Jack Dion : http://www. marianne.net/Le-fantasme-de-la-France-raciste_a233620.html
[6] Jack Dion : http://www. marianne.net/Le-fantasme-de-la-France-raciste_a233620.html
[7] Pierre Tevenian : http://www.michelcollon.info/Interview-avec-Pierre-Tevanian-Le.html
[8] Pierre Tevenian : http://www.michelcollon.info/Interview-avec-Pierre-Tevanian-Le.html
[9] . http://www.la-croix.com/Actualite/France/P.-Christian-Delorme-Un-deficit-de-reconnaissance-2013-11-08-1057825, le 8 novembre 2013. Recueilli par Bernard Gorce.
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