Les vêtements à « bas » prix et le prix du sang
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Plus de 900 morts à Dacca dans cet immeuble qui s’est effondré sur 3000 ouvriers, principalement des femmes, qui y travaillaient, employés par l’un des cinq ateliers de confection abrités à cette adresse. Production à moindre coût pour le plus grand profit des multinationales de la mode qui ont pignon sur rue dans le monde entier.
L’auteur indien de l’article ci-dessous dénonce cette logique du profit qui tue.
Le 1er mai à Dacca les ouvriers ont défilé en criant leur colère et en réclamant la pendaison des propriétaires responsables de ce crime. En Espagne si les demandes étaient moins violentes, des manifestations ont eu lieu devant les bureaux de la multinationale espagnole du vêtement MANGO. Sans doute un exemple de protestation à suivre...
Le mercredi 24 avril, l’immeuble Rana Plaza s’est écroulé, un jour après que les autorités bangladaises eurent demandé aux propriétaires de l’évacuer. Situé à Savar, une banlieue de Dacca, l’immeuble abritait des usines de prêt à porter qui employaient près de trois mille ouvriers. Ils faisaient partie de la chaîne de production et de consommation de vêtements qui s’étend des champs de coton de l’Asie du Sud aux distributeurs du monde atlantique, en passant par les machines et les ouvriers du Bangladesh.
Des marques célèbres y étaient confectionnées, comme les vêtements qui figurent dans les rayons démoniaques de Wal-Mart. Cela mérite de rappeler le bilan de l’incendie de la Triangle Shirtwaist Factory de New York, en 1911 : 146 personnes y avaient trouvé la mort. Aujourd’hui, le bilan est presque le double [381 morts à ce jour]. Cet "accident" intervient cinq mois après l’incendie de l’usine de prêt à porter qui a tué au moins 112 ouvriers le 24 novembre 2012.
La liste des "accidents" est longue et douloureuse. En avril 2005, l’effondrement d’une usine de prêt à porter de Savar tue 75 ouvriers. En février 2006, ce sont huit personnes ensevelies dans une autre usine de Dacca. En juin 2010, 25 personnes mortes dans un bâtiment toujours dans la capitale. Ce sont là les "usines" de la mondialisation du XXIe siècle — des abris mal conçus, et un processus de production qui repose sur de longues journées de travail, des machines de troisième ordre et des ouvriers dont la vie est soumise aux impératifs de la production à flux tendus.
L’Occident sous-traite le sang et la sueur
Ces usines bangladaises s’inscrivent dans le paysage de la mondialisation, que l’on retrouve répliqué dans les usines de la frontière américano-mexicaine, de Haïti, du Sri Lanka et autres lieux qui ont ouvert leurs portes à une industrie du prêt à porter habile à profiter du nouvel ordre industriel et commercial des années 90. Ces pays faibles, qui n’ont pas eu pas la volonté de se battre pour leurs ressortissants et de se soucier de l’affaiblissement à long terme de leur ordre social, se sont empressés d’accueillir l’industrie du prêt à porter. Les gros producteurs, qui ne voulaient plus investir dans des usines, se sont tournés vers des sous-traitants en leur proposant des marges très faibles et en les obligeant ainsi à gérer leurs usines comme des prisons.
La sous-traitance a permis à ces sociétés de nier toute culpabilité dans les agissements des propriétaires de ces petites usines et de jouir des bénéfices de produits bon marché sans avoir la sueur et le sang des ouvriers sur la conscience. Elle a permis aussi aux consommateurs du monde Atlantique d’acheter de grandes quantités de marchandises, souvent en s’endettant, sans se soucier des méthodes de production. De temps en temps, une vague de sentiment progressiste vise telle ou telle société mais il n’y a pas de réflexion d’ensemble sur le fait que la chaîne d’approvisionnement à la Wal-Mart favorise les pratiques critiquées.
Un gouvernement sourd
Les ouvriers bangladais ne sont pas aussi enthousiastes que les consommateurs du monde Atlantique. En juin 2012 encore, des milliers d’ouvriers de la zone industrielle Ashulia, à la périphérie de Dacca, ont réclamé des augmentations de salaires et l’amélioration de leurs conditions de travail. Plusieurs jours d’affilée, ils ont fermé trois cents usines, bloqué l’autoroute Dacca-Tangali à Narasinghapur. Ils gagnent entre 3000 taka [27 euros] et 5500 taka [53 euros] par mois et voulaient une augmentation de 1500 taka [15 euros] à 2000 taka [19 euros] par mois. Le gouvernement a envoyé 3000 policiers rétablir l’ordre et la Premier ministre a assuré qu’elle étudierait la question. Une commission de trois membres a été constituée mais n’a rien produit de substantiel.
Alors que les informations en provenance du Rana Plaza arrivaient, Dacca, consciente de la futilité de négocier avec un gouvernement subordonné à la logique de la chaîne d’approvisionnement, a explosé. Les ouvriers ont fermé la zone industrielle qui entoure la ville, barré les routes et détruit des voitures. C’est l’insensibilité de l’Association des Fabricants de Prêt à Porter (AFPPB) du Bangladesh qui a mis le feu aux poudres. Après les manifestations de juin 2012, Shafiul Islam Mohiuddin, le patron de l’AFPPB avait accusé les ouvriers "conspirer" et avancé qu’il n’était "pas logique d’augmenter les salaires".
Victimes de la mondialisation
Cette fois, Atiqul Islam, le nouveau président de l’AFPPB, a laissé entendre que le problème, ce n’est pas la mort des ouvriers ni les mauvaises conditions de travail mais "l’interruption de la production causée par les troubles et les hartals (grèves)". Ces grèves constituent selon lui "encore un coup sévère porté au secteur du prêt à porter". Il n’est pas étonnant que ceux qui sont descendus dans la rue aient si peu confiance dans les sous-traitants et le gouvernement.
Voilà plusieurs mois que le Bangladesh est secoué par de grandes manifestations à propos de son histoire — en février, la terrible violence que le Jamaat-e-Islami a fait subir aux combattants de la liberté en 1971 a poussé des milliers de personnes à se rassembler à Shanbagh, à Dacca. Ce mouvement de protestation s’est depuis transformé en une guerre politique entre les deux grands partis et a fait oublier les appels à la justice pour les victimes de ces violences. Il a enflammé le pays, qui est par ailleurs plutôt conciliant quant à la terreur quotidienne que vivent les ouvriers du prêt à porter. "L’accident" du Rana Plaza va peut-être lui donner un tour progressiste.
Pendant ce temps, le monde Atlantique est tellement absorbé par les guerres contre le terrorisme et le marasme économique qu’il évite de s’interroger sur un mode de vie qui repose sur la consommation à crédit et l’exploitation des ouvriers de Dacca. Les morts du Rana sont non seulement victimes des sous-traitants mais aussi de la mondialisation du XXIe siècle.
La fatalité n’y est pour rien « La veille, les ouvriers qui avaient signalé d’inquiétantes fissures apparues sur le bâtiment ont été priés de retourner sagement au boulot derrière leurs machines à coudre. Ce sont sans doute les vibrations de ces milliers d’outils, ajoutées à celles des lourds générateurs, qui ont fait céder l’immeuble conçu pour accueillir des bureaux et des locaux commerciaux – et augmenté de 3 étages sans que rien dans sa structure d’origine ne soit consolidé. Les économies réalisées sur les conditions de travail permettaient aux ateliers de rémunérer leurs esclaves leur main d’œuvre 30 € par mois, pour six jours de labeur par semaine, dix heures par jour. Et donc de fabriquer à vil coût les T-shirts, jeans, chemises siglées par les géants de la mode low cost, dont l’espagnol Mango, le britannique Primark et l’italien Benetton pour ne citer que les plus connus. Grâce à ces prix, plus bas que le delta du Gange, le Bangladesh s’est hissé en quelques années derrière la Chine au 2e rang des pays exportateurs de textile, une industrie qui emploie 40 % des ouvriers du pays. Le pays attire ainsi les grands noms de la fast fashion mais aussi du prêt à porter haut de gamme occidental en mal de délocalisation, qui passent commande sans rien ignorer des salaires indigents de la main d’œuvre la moins chère au monde, de la sécurité défaillante, du droit du travail inexistant, de l’absence de syndicats, de la corruption endémique et de la fumisterie des contrôles (18 inspecteurs pour 100 000 usines). Emus par le drame et la lumière crue projetée sur les « ateliers de la sueur », des esprits compatissants réclament le boycott des fringues made in Bengladesh, proposant d’ajouter la misère au chagrin. Comme si mettre au chômage et priver de revenus des millions de famille devait réchauffer notre conscience et régler le problème. Comme si le sale business ne se déplacerait pas ailleurs, au Cambodge ou en Ethiopie. Curieux comme on réclame la traçabilité de ce qu’on mange, mais pas de ce qu’on porte… Plus de 700 ouvrières et ouvriers viennent de mourir dans la banlieue de Dacca. Pour nous rappeler que quand sur l’étiquette ce n’est pas cher, c’est que quelqu’un d’autre en paie le prix. » L’auteure de cet article paru dans Marianne estime l’économie réalisée pour produire dans ces conditions représente 3€ par pantalon !!! Quand on connait les marges des profiteurs de ce système cela met encore plus en colère. Ainsi pour en rester à la seule Mango elle a une capacité de production et d’écoulement dans toute l’Europe de 30 000 vêtements et elle se targue de 70% de résultats sur les vêtements produits à l’extérieur de l’Espagne !!! |
Par Vijay Prashad source CounterPunch le 29/04/2013
Transmis par Linsay
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