Zana, l’indomptable gueule noire
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L’été dernier les mineurs espagnols secouaient l’actualité dans un conflit puissant où ils disaient leur refus de se faire liquider sur l’autel de l’Union Européenne. Retour sur ce conflit avec le portrait d’un de ses acteurs
« Mon sang est noir, mon héritage est minier ». Cinq générations de mineurs coulent dans les veines de Juan Carlos Lorenzana, 48 ans, cheveux mi-longs bruns, œil vif et pénétrant, visage éclairé par un beau sourire. Né à Ciñera de Gordón ( León ), village du bassin minier qui a beaucoup fait parler de lui pendant la longue grève des mineurs cet été, Zana, c’est son surnom, est un résistant rebelle.
A l’image de tout un peuple qui, inlassablement dans la rue, a défendu la lutte ouvrière contre la fermeture des mines actée par le parti au pouvoir, le PP [1] Une rébellion héritée des deux grands-pères, l’un fut tué dans les Asturies durant la guerre d’Espagne, l’autre travailla comme prisonnier dans une mine où il mourut dans des circonstances non élucidées.
Déjà à l’école, le jeune délégué de classe défend ses petits camarades, les faibles contre les forts, l’injustice est son cheval de bataille. Elle le conduit à prendre sa carte au PCE [2] à 18 ans. « Le Parti était le seul repère contestataire ainsi que le syndicat Commissions ouvrières quand j’ai commencé à travailler ». Zana est l’actuel coordinateur local de Izquierda Unida, la Gauche unie.
Mineur est un métier qu’il choisit du haut de ses 12 ans et qu’il exerce cinq ans plus tard. « Je n’oublierai jamais le jour où je suis descendu au fond. Ce qui me frappa c’était l’odeur, une odeur inexplicable, spéciale, un mélange de bois, d’eau, de charbon ». De retour à la maison, son père, un militant communiste du temps de la clandestinité et son frère, tous deux mineurs, l’attendent de pied ferme. « Assied-toi. Là, en bas, tu ne seras ni fainéant ni jaune ». Malgré la rudesse du boulot, les accidents de travail, les morts prématurés car la mine use, c’est à plus de 100 mètres sous terre que l’adolescent apprend la camaraderie et la solidarité sans failles. Un camarade qui n’hésite pas à sauver la vie d’un autre au risque de perdre la sienne, Zana en a été témoin, « c’est ce qui nous fait tenir le coup ».
Aujourd’hui pré-retraité, Zana n’en a pas moins été actif en soutenant le mouvement des mineurs qui a duré 67 jours aux côtés des habitant(e)s de Ciñera qui se sont jeté(e)s dans la bagarre en scandant : « Nous sommes tous des mineurs ». Pas un seul garçon et fille, pas une seule femme, mère, épouse, grand-mère, nièce, cousine, sœur, tante, pas un seul adulte ou retraité n’a manqué à l’appel de l’insurrection populaire pour défendre l’outil de travail. Le pain, la vie, l’avenir de centaines de familles du bassin minier étaient en jeu. Zana rend hommage à leur courage, à leur dignité, lui qui participa à 6 mois de grève en 1991 et qui sait par expérience que passer deux mois au fond d’un puits, sans voir le jour, est éprouvant au point où des séquelles physiques peuvent devenir irréversibles. « Contrairement à ce que certains affirment, on ne nous a jamais fait de cadeaux, c’est par la lutte qu’on a gagné nos droits ».
Des droits, des mines et le syndicalisme mineur qui ont été liquidés en Grande-Bretagne sous l’ère thatchérienne ( 1984-1985 ). Zana n’hésite pas à faire la comparaison avec la récente grève minière espagnole, « on a eu affaire à une thatcherisation du conflit avec un PP appliquant une politique ultralibérale, agressive et cruelle contre les grévistes et leurs soutiens. Ils ont voulu en finir avec des travailleurs majoritairement syndiqués pour avoir les mains libres contre tous les autres travailleurs ».
Pour Zana, même si les mineurs n’ont pas gagné, ce n’est pas une défaite, la lutte des travailleurs unis a du sens. Un seul regret : que les syndicats n’aient pas appelé à la grève générale le 11 juillet quand 1,5 million de personnes manifestaient dans les rues de Madrid leur solidarité aux mineurs. « Une erreur stratégique monumentale à l’heure où des millions de gens, de salariés souffrent de coupes budgétaires, d’une austérité qui veut nous achever ».
Maria Nuevo
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