Un crime à explosion !
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L’article ci-dessous, extrait de Terra Eco, est significatif !
« Les meurtriers potentiels sont nombreux : pouvoirs publics, pétroliers, constructeurs automobiles, clients », dit-il d’entrée.
Mais, et l’article le montre bien, les « clients » ont été conditionnés et mis devant le fait accompli !
En toute démocratie, bien sûr. Et avec le droit de vote !
En fait, le véritable débat public n’a jamais eu lieu !
Il en est souvent ainsi avec ce système, le système capitaliste bien évidemment.
Et pourtant, le pétrole, et donc les pétroliers, sont des tueurs accomplis. Avec les guerres pour le pétrole et leurs millions de morts pour commencer. Avec les accidents de la route ensuite. Et les pollutions les plus diverses : gaz à effet de serre, engrais, produits phytosanitaires...
Mais qu’importe.
Les « clients » ont bien été conditionnés. Et, schémas d’aménagement du territoire aidant, le véhicule automobile à pétrole est devenu indispensable à tous, tandis que les transports en commun étaient sacrifiés, quand ils n’étaient pas supprimés, comme le réseau de tramways à Bordeaux dans les années 1950.
Cette complicité des pétroliers et des pouvoirs publics sera-t-elle dénoncée ?
Le véritable débat public pourra-t-il avoir lieu ?
QUI A TUE LA VOITURE ELECTRIQUE ?
Les meurtriers potentiels sont nombreux : pouvoirs publics, pétroliers, constructeurs automobiles, clients. Enquête sur un crime à explosion.
« Dans des stations-services spécialisées, l’échange de véhicules [électriques] se [fera] instantanément, sur simple présentation d’une carte d’abonnement. » Discours de Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie ? Déclaration du maire de Paris, Bertrand Delanoë, à propos d’Autolib, le futur service d’auto-partage de la capitale ?
Vous n’y êtes pas. Cette phrase est tirée d’un documentaire diffusé le 13 août 1968 à la télévision française [1], qui narre tous les espoirs fondés, à l’époque, dans la voiture électrique et la pile à combustible. Ingénieurs et constructeurs s’y succèdent, expliquant que la voiture à électrons « devrait apparaître sur le marché dans quelques années », soulignant sa facilité de conduite, sa propreté et son faible encombrement.
Un an plus tôt, Ford avait présenté un prototype urbain, la Comuta. Deux mètres vingt de long, la moitié d’une berline, quatre (petites) places, 60 km/h maxi avec une autonomie de 100 km. Ford envisageait de la commercialiser sous dix ans, insistant sur l’absence de fumées d’échappement. Mais, selon le New York Times, les constructeurs de Détroit voyaient cela d’un mauvais œil, allant jusqu’à dire que « les progrès des moteurs à explosion régleront la question des fumées d’échappement d’ici quelques années ».
On a vu le résultat. Plus de quarante ans se sont écoulés et les villes suffoquent toujours. Ozone, oxydes d’azote, particules, odeurs et bruit sont le lot des citadins. Et pourtant, il s’en est fallu de peu.
Car la voiture électrique est apparue dès la fin du XIXe siècle, en même temps que les voitures à pétrole, et aurait bien pu rafler la mise.
« Au départ, les chances de la voiture à vapeur, à pétrole et électrique étaient les mêmes, raconte l’historien néerlandais Gijs Mom, auteur d’un formidable ouvrage sur le 4 roues électrique [2]. Avant 1900, il y avait des taxis électriques par centaines, à New York, Boston, Paris, ou Londres. »
Son collègue Patrick Fridenson, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, qui a cofondé le Groupe d’études et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (Gerpisa), souligne qu’on a compté jusqu’à 19 constructeurs de véhicules électriques en France.
« L’Hexagone s’est distingué en tranchant le premier, dès 1901, en faveur du moteur à explosion. Les faillites se sont rapidement succédées : la Compagnie française des véhicules électromobiles en 1906 et Krieger en 1908. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le choix s’est fait nettement plus tard. Nos voisins d’outre-Manche ont ainsi conservé jusqu’à aujourd’hui la tradition de petits utilitaires électriques pour livrer le lait à domicile, par exemple. »
Manque de conviction
Aujourd’hui, pétrole et voiture sont devenus synonymes. Pour quelle raison ? On invoque bien évidemment les aspects technologiques : l’autonomie des batteries, le manque de puissance dans les côtes. « On occulte l’absence de nuisances, la sécurité et la facilité de maniement, qui plaisaient pourtant aux femmes », résume Patrick Fridenson.
Son collègue sociologue Michel Freyssenet, l’autre cofondateur du Gerpisa, s’interroge : « Le moteur à explosion était techniquement le choix le plus douteux, économiquement le plus incertain, et beaucoup de gens le rejetaient à cause de la pollution. Mais le pétrole était la seule énergie facilement transportable, et il existait déjà un réseau de distribution de pétrole lampant. Ce n’est pas le public qui a choisi, ce sont les constructeurs et l’armée. C’est plus une victoire du pétrole que de la voiture à essence. »
Par la suite, la voiture électrique est réapparue plusieurs fois sur le devant de la scène. « A chaque tension sur l’approvisionnement et le prix du pétrole, résume Michel Freyssenet. Mais le véhicule électrique a buté sur le manque de conviction des constructeurs. Puis, les craintes sur le pétrole se sont dissipées et la voiture électrique a été abandonnée. »
Un argument que conteste Igor Demay, coordinateur technique des voitures électriques chez Peugeot : « Dans les années 1970, PSA était le leader mondial dans ce domaine. Cela a été douloureux, ressenti comme un vrai échec. » A l’époque, la voiture électrique avait été soutenue par EDF, et par quelques services de l’Etat, mais sans succès.
Chez Renault, on pointe surtout les insuffisances technologiques de l’offre et la faiblesse de la demande. « Il n’y avait pas assez d’autonomie, justifie Thierry Koskas, le directeur du programme Véhicules électrique chez Renault. Les gens veulent au moins 150 km, même s’ils en font deux ou trois fois moins dans la journée. Et même il y a dix ans, il n’y avait pas de pression sur les émissions de gaz carbonique. »
Cependant, l’autonomie a bon dos : car si les batteries ont progressé de manière spectaculaire depuis un siècle, les voitures ont pris tellement d’embonpoint que l’autonomie des véhicules est aujourd’hui proche de ce qu’elle était il y a cent ans.
« Depuis les années 1970, la stabilisation des usages est devenue une contrainte, analyse Patrick Fridenson. La voiture à essence est si développée qu’il en devient presque impossible de la déloger. C’est la même inertie pour le clavier Azerty des machines à écrire. Cela fait des décennies que l’on sait qu’il y a plus efficace, mais il n’a, pour autant, jamais été remplacé. »
L’obsession des kilomètres
Dans les années 1990, le véhicule électrique refait parler de lui. En France, avec Citroën, et surtout aux Etats-Unis. La Californie a adopté en 1990 un « mandat » au nom de la qualité de l’air, qui impose alors aux constructeurs de vendre 2 % de voitures électriques dès 1998 et 10 % en 2003. General Motors (GM) est le premier sur les rangs avec l’EV1. Une voiture épatante, diront les utilisateurs qui s’arrachent les véhicules mis en location dès 1996.
Mais dans le même temps, les constructeurs déclenchent une véritable guérilla contre le Bureau de l’air californien, qui finit par lâcher la voiture électrique en 2001. GM, qui a cessé de construire l’EV1 après plusieurs années de conflits internes, récupère les 800 exemplaires en circulation pour les détruire, en dépit de la mobilisation des utilisateurs.
« Les constructeurs automobiles ont toujours tenu un double langage », observe Gijs Mom. « Renault annonce toute une gamme de voitures électriques, mais en même temps, il lance cette année un véhicule sportif utilitaire (SUV) Logan sous la marque Dacia, confirme Michel Freyssenet. Les associations de constructeurs font tout pour retarder l’adoption de normes d’émissions, arguant de leurs difficultés économiques. »
Igor Demay rejette avec force cette affirmation : « Peugeot a lancé le filtre à particules sans contrainte réglementaire. C’est de cette innovation qu’est ensuite né un texte européen. »
Gijs Mom pointe aussi les compagnies pétrolières du doigt. « Elles ont participé au sabotage de l’introduction de la voiture électrique en Californie. » Michel Freyssenet renchérit : « C’est à cette époque qu’ont explosé les ventes de SUV, gourmands en pétrole, qui représentaient 25 % du marché américain avant la crise. »
Mais il ne faut pas oublier le rôle du public qui a, depuis longtemps, stabilisé ses exigences. « Dans la tête des gens, l’autonomie, c’est 500 kilomètres, estime Patrick Fridenson. C’est gravé dans leurs têtes, comme un élément essentiel de la valeur de l’objet automobile. »
Une telle autonomie ne devrait pas être généralisable avant une dizaine d’années, rappelait récemment l’ancien patron de Tesla, une firme qui commercialise des voitures de sport électriques capables de rouler 400 kilomètres… à prix d’or.
mercredi, 22 septembre 2010 / Denis Delbecq
Michel Peyret
16 jullet 2012
[1] A télécharger sur www.ina.fr
[2] « The electric vehicle : technology and expectations in the automobile age » (The Johns Hopkins University Press, 2004).
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