A l’ombre des stades fleurit la misère
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A cinq semaines du Mondial, les autorités ont fait le ménage pour offrir aux touristes une image policée de la nation “arc-en-ciel.” Les exclus s’entassent dans des ghettos sordides qui rappellent ceux de l’apartheid.
Un adolescent brave les mouches et l’odeur nauséabonde des toilettes extérieures pour chercher de l’eau. L’air absent, il fixe les rangées de taudis en tôle rouillée. Ici, il n’y a pas d’arbre ni le moindre brin d’herbe. Ici, rien ne pousse. Zone de relogement temporaire pour le maire du Cap ou camp de concentration pour ses habitants, vous êtes à Blikkiesdorp ! Ses habitants disent avoir été expulsés de force de leurs anciens logements et installés ici contre leur gré. Pour eux, c’est la faute à la Coupe du monde de football qui aura lieu du 11 juin au 11 juillet 2010. “Ici, c’est une décharge, lance Jane Roberts. Ils ont chassé les gens des rues parce qu’ils ne voulaient pas les voir pendant la Coupe du monde. Maintenant on vit dans un camp de concentration. La police vient la nuit pour nous rouer de coups ! L’Afrique du Sud ne veut pas montrer comment elle traite son peuple. Il n’y a que la Coupe du monde qui compte !”
Pour le gouvernement du président Jacob Zuma, cet événement sportif profite déjà à l’ensemble du pays : création d’emplois, rénovation des infrastructures existantes et amélioration de l’image du pays à l’étranger. L’Afrique du Sud a dépensé sans compter pour les stades qui accueilleront les matchs et le Stade du Cap est sans doute la plus grande réussite. Pour les associations, cet endroit sinistre dans la township de Delft est la preuve que la première Coupe du monde organisée en Afrique est surtout destinée à impressionner les riches étrangers. D’après les habitants de Blikkiesdorp, la situation est pire qu’au temps de l’apartheid. Blikkiesdorp a été construit en 2008 pour la somme de 32 millions de rands [2,8 millions d’euros] afin de fournir des “logements d’urgence” à environ 650 personnes. Mais, selon les habitants, environ 15 000 personnes y vivraient et de nouveaux arrivants ne cesseraient d’y déferler. La municipalité rejette ces chiffres, mais, dans certains cas, six ou sept personnes s’entassent dans des espaces de trois mètres sur six. La chaleur y est accablante en été et le froid glacial en hiver. Le bacille de la tuberculose et le virus du sida y prospèrent. Quant aux bébés nés ici, ils n’ont même pas d’existence officielle. Les allées qui séparent ces abris de fortune sont tirées au cordeau et les bicoques sont toutes identiques. Les maisonnettes ont beau être équipées de l’électricité, les allées sont pleines de chiens errants, de détritus et de sable gris qui tourbillonne.
Sandy Rossouw, 42 ans, faisait partie des 366 personnes expulsées du foyer Spes Bona, dans le quartier de Athlone. Avec sa famille, ils dorment à cinq dans le seul lit de sa bicoque de Blikkiesdorp. “Nous avons été expulsés de notre foyer à cause de la Coupe du monde, fulmine-t-elle. Il se trouvait à 200 mètres du stade. Nous ne voulions pas partir, mais ils ont menacé de faire intervenir la police. Ici, tout le monde crève de faim ! Les gens marchent trois heures pour aller à Athlone s’acheter une miche de pain. Huit familles se partagent un seul WC, c’est scandaleux ! Il y a quelques semaines, des hommes nous ont menacés avec un fusil d’assaut. Il faut annuler la Coupe du monde ! Ils rénovent les bâtiments du Cap pour des centaines de millions de rands. Pourquoi ne pas dépenser cet argent ici ?”
“Ces gigantesques stades seront nos tombeaux !”
Il y a beaucoup de chômage et, en l’absence de services postaux et faute d’une adresse officielle, il est d’autant plus difficile de trouver du travail. L’éloignement du campement est également source de difficultés. Les gens doivent prendre des minibus payants pour se rendre en ville, et de nombreux enfants ont été tués en traversant l’autoroute toute proche. La criminalité est également très élevée, mais la police n’intervient guère. La mobilisation contre les expulsions s’organise notamment grâce aux nouveaux médias. Pamela Beukes est secrétaire de la Campagne antiexpulsions de l’ouest du Cap [Anti-Eviction Campapaign]. Elle ne décolère pas. “Ils font pire que le régime de l’apartheid ! A l’époque, on avait au moins le droit à une maison en briques. La Coupe du monde était censée améliorer notre niveau de vie, mais c’est le contraire qui se produit”, note-t-elle. La municipalité rejette ces accusations.
Kylie Hatton, porte-parole de la ville, défend sa politique. “La ville du Cap ne déplace pas les habitants, affirme-t-elle. La Zone de relogement temporaire a été construite pour fournir des logements d’urgence… Il y a un vrai problème de vandalisme, et nos fournisseurs ont dû revenir à plusieurs reprises pour réparer les toilettes cassées ou les câbles électriques.” Autre conséquence de cet événement, des dizaines de milliers de vendeurs à la sauvette vont perdre leur gagne-pain. La Fédération internationale de football (FIFA) impose en effet autour des stades des “zones d’exclusion” qui sont uniquement réservées aux commerces autorisés. “La Coupe du monde va tuer les petits vendeurs à la sauvette”, assure Regina Twala, qui vend des repas à emporter depuis trente-cinq ans à côté du stade d’Ellis Park. “Si on nous interdit de faire du commerce à proximité des stades et des zones touristiques, comment va-t-on profiter du tourisme ?” Il y a certes eu une croissance dans le secteur du bâtiment grâce à la construction des stades, mais la plupart des ouvriers ont depuis été licenciés et n’ont toujours pas retrouvé de travail. “C’est juste un tour de passe-passe pour détourner l’attention du public de ces seize années de démocratie qui n’ont rien changé pour la majorité des Noirs dans le pays. Ces gigantesques stades seront nos tombeaux ! L’enjeu de cette Coupe du monde n’est pas le football ni le tourisme : c’est un moyen pour les politiciens et leurs amis de s’en mettre plein les poches…”, conclut Andile Mngxitama, éditorialiste et journaliste politique, qui devrait bientôt publier un pamphlet intitulé A bas la Coupe du monde !
Par David Smith dans The Guardian le 06/05/2010
Transmis par Linsay
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