Pourquoi des pêcheurs deviennent pirates

mardi 5 mai 2009
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La guerre aux pirates somaliens est déclarée sur le terrain et dans la presse française, qui ne manque jamais de souligner l’efficacité de « nos » troupes spéciales surarmées contre ces pêcheurs reconvertis et équipés de modestes kalachnikovs. Si les journalistes étaient aussi curieux que l’exige leur métier, ils auraient sans doute découvert sans trop de difficultés que le piratage dans le golf d’Aden n’est sans doute pas le pire des crimes dans la région...

Après que trois Somaliens ont été exécutés et qu’un quatrième a été blessé, puis capturé dans l’océan Indien, le 12 avril, un chef des prétendus pirates a juré de venger la mort de ces jeunes hommes qui avaient gardé prisonnier durant cinq jours le capitaine américain d’un cargo, le Maersk Alabama.

Le capitaine Richard Phillips avait été relâché dans le même temps que l’armée américaine et les médias traditionnels applaudissaient à la mort des Somaliens, déclarant que ces actions étaient amplement justifiées.Le Maersk Alabama n’a jamais été capturé par les Somaliens, même si le capitaine est resté aux mains des pirates durant cinq jours. Le capitaine n’a pas subi les moindres sévices durant ces cinq jours et, plus tard, le navire a accosté au port kenyan de Mombasa, dans l’est de l’Afrique.

Le 13 avril, depuis la ville côtière d’Eyl, Abdi Garad, un porte-parole du groupe de Somaliens qui a tenté de s’emparer du navire danois de 17.000 tonnes, le Maersk Alabama, à quelque 450 kilomètres de la côte, déclarait à l’Agence France Presse (AFP) :

« Les menteurs américains ont tué nos amis après qu’ils eurent accepté de libérer l’otage sans rançon. Mais je vous dis que cette affaire va entraîner des représailles et que nous allons traquer tout particulièrement les citoyens américains qui se trouveront dans nos eaux territoriales. »

Et Garad de poursuivre :

« Nous intensifierons nos attaques bien au-delà même des eaux territoriales de la Somalie et, la prochaine fois que nous attraperons des citoyens américains (…), qu’ils n’espèrent pas la moindre pitié de notre part. »

Notre ennemi numéro un

Garad prétendait qu’après avoir laissé tomber la demande de rançon, les Somaliens avaient demandé que le capitaine Phillips fût transporté sur un navire grec appartenant au groupe.
Jamac Habeb, un Somalien de 30 ans résidant à Eyl, déclarait dans Inside Somalia, le 13 avril : « Dès maintenant, si nous capturons des navires étrangers et que leurs pays respectifs tentent de nous attaquer, nous tuerons nos otages. Les forces américaines sont devenues notre ennemi numéro un. »

Un autre Somalien, Abdulahi Lami, disait dans le même article que les pirates ne se laisseraient pas intimider par les actions militaires américaines dans l’océan Indien. « Chaque pays sera traité de la façon dont il nous traite. À l’avenir, ce sera l’Amérique qui va pleurer et se lamenter. Nous allons exercer des représailles pour la mort de nos hommes. »

Selon les rapports officiels émis par l’armée américaines, des snipers (tireurs d’élite) postés sur le vaisseau de guerre USS Bainbridge ont tué trois Somaliens après avoir suivi de leurs mouvements durant plusieurs jours. On dit que le plan prévoyant de tuer les Somaliens avait été approuvé par le président Barack Obama.
La marine de guerre américaine a prétendu que les snipers ont fait feu sur les Somaliens au moment où la vie de Phillips a été mise en danger. « Ils pointaient des AK-47 sur le capitaine », a déclaré le vice-amiral William Gortney, qui dirige le commandement central de la marine américaine. Sa déclaration, faite lors d’un briefing du Pentagone au Bahreïn, a été rapportée par Al Jazeera le13 avril.

Toutefois, cette version des événements a été remise en question par les Somaliens qui soutiennent les captures de navires. Ils prétendent que les trois jeunes hommes ont été tués après avoir accepté de débloquer l’impasse et de libérer Phillips. Cette opération a eu lieu deux jours seulement après que des opérations similaires eurent été menées par les commandos militaires français, lesquels ont pris d’assaut un yacht capturé par des Somaliens, opération qui s’était soldée par la mort d’un des otages français.
Mohammed Adow, un correspondant travaillant pour Al Jazeera, déclarait dans le même rapport : « On dit que les forces américaines ont attaqué la canot de sauvetage au moment où les pirates s’attendaient à un échange diplomatique (…) et qu’ils ont capturé le dernier pirate sur un de leurs navires se trouvant dans ces eaux. »

Lors d’autres faits qui ont contribué à accroître les tensions dans la région, deux hélicoptères américains ont survolé à très faible altitude les installations portuaires du port de Harardhere, dans le nord-est de la Somalie, le 12 avril. L’armée américaine prétend que cette zone constitue une base pour les opérations de piraterie menée contre des navires se déplaçant dans le golfe d’Aden.
Des résidents locaux de la zone ont cru que les hélicoptères américains voulaient effectuer un raid aérien sur le port. Selon un journaliste somalien, « les pêcheurs ont décidé de ne pas pêcher ce matin-là, à cause des hélicoptères ; ils avaient peur ». (Inside Somalia, 13 avril)

Ce qui se cache derrière l’escalade de la « piraterie »

Ces derniers mois, des pirates somaliens ont prétendu que des sociétés européennes déchargeaient des déchets toxiques au large de la côte de la Corne de l’Afrique. Un navire ukrainien qui avait été capturé, puis relâché par les Somaliens avait reçu plusieurs millions de dollars en paiement de la part de ses propriétaires, de l’argent dont on dit qu’il a été utilisé pour nettoyer les saletés qui ont été larguées dans la zone.
Dans une déclaration rapportée par Al Jazeera le 11 octobre, Januna Ali Jama, un porte-parole des pirates somaliens, a affirmé que la rançon acquise a servi de moyen « pour réagir aux déchets toxiques qui ont été continuellement largués sur le littoral du pays depuis presque 20 ans. »
Jama, qui vit dans la région semi-autonome de Puntland, poursuivait : « La côte somalienne a été détruite et nous croyons que cet argent n’est rien, comparé à la dévastation que nous avons vue sur les mers. »
Dans le sillage du tsunami de la fin 2004, des preuves se mirent à apparaître, confirmant de telles activités de largage illégal dans la région. Le Programme des Nations unies pour l’environnement rapporta que le tsunami avait rejeté de vieux fûts rouillés contenant des déchets sur les rivages du Puntland, qui faisait officiellement partie de la Somalie avant l’effondrement, en 1991, du gouvernement de Mohammad Siad Barre soutenu par les Occidentaux.

Dans le même article déjà cité, un porte-parole du PNUE, Nick Nuttall, informa Al Jazeera que c’est lorsque les barils rouillés furent ouverts par le force des vagues que les déversements, qui duraient depuis de nombreuses années, furent révélés.

« La Somalie a été utilisée comme décharge pour des déversements dangereux qui ont débuté au début des années 1990 et se sont poursuivis tout au long de la guerre civile qui a frappé ce pays. Les compagnies européennes estimaient que c’était très bon marché de se débarrasser des déchets au prix ridicule de 2,50 dollars la tonne, alors que les dépôts de déchets en Europe réclament des montants de l’ordre de 1000 dollars la tonne », déclara Nuttall.

Nuttall poursuivait en disant qu’il y avait « bien des sortes différentes » de déchets. « Il y a les déchets radioactifs d’uranium. Il y a le plomb et des métaux lourds comme le cadmium et le mercure. Il y a également des déchets industriels et des déchets d’hôpitaux, des déchets chimiques, et la liste est encore longue. »
Depuis que les conteneurs ont atteint le littoral, il y a eu une augmentation considérable de diverses maladies parmi la population, notamment des symptômes tels des saignements oraux et abdominaux, des infections cutanées et autres maladies.

« Nous [le PNUE] avons prévu de sortir une déclaration scientifique circonstanciée et fouillée sur l’ampleur du problème. Mais, en raison des niveaux élevés d’insécurité sur les côtes et dans les eaux somaliennes, nous sommes incapables de sortir une déclaration adéquate à propos de l’ampleur du problème », poursuivait Nuttall.
Néanmoins, Ould-Abdallah a déclaré que la pratique de déversage illégal de déchets toxiques se poursuivait dans la région. « Ce qui est plus alarmant encore, ici, c’est qu’on y déverse également des déchets nucléaires. Les déchets d’uranium radioactif sont à même de causer la mort de ressortissants somaliens et de détruire complètement l’océan. »

Déchets radioactifs

Mohammed Gure, président du Somalia Concerned Group, a déclaré dans le même article publié par Al Jazeera que l’impact social et environnemental de ces déversements de déchets toxiques se fera sentir durant des décennies. « La côte somalienne faisait vivre des centaines de milliers de personnes pour qui elle représentait une source de nourriture et un gagne-pain en général. Aujourd’hui, une grande partie en est presque détruite, principalement de la faute de ces prétendus ministres qui ont vendu leur nation en vue de se remplir purement et simplement les poches. »

D’autres facteurs impliqués dans l’exploitation de la Somalie ont trait au fait que la voie maritime du golfe d’Aden voit passer des milliards de dollars de marchandises chaque semaine. Pratiquement rien de ces fonds n’est utilisé au profit du peuple somalien, qui souffre toujours du sous-développement résultant de l’ingérence américaine dans ses affaires internes.

L’administration Bush a financé et organisé une invasion du pays par l’Éthiopie, pays allié à l’Occident, en décembre 2006. En raison d’une résistance opiniâtre, l’armée éthiopienne s’est retirée du pays en janvier 2009. La formation d’un nouveau gouvernement de coalition n’est pas parvenue à incorporer au régime tous les diverses groupements politiques somaliens.

Par conséquent, des troupes ougandaises et burundaises continuent à stationner dans la capitale, Mogadishu, sous l’égide de l’African Union Mission to Somalia (AMISOM – Mission de l’Union africaine en Somalie). Le principal groupe de résistance, Al-Shabab, continue à réclamer le retrait des troupes de l’Union africaine avant d’accepter d’entrer dans le gouvernement de coalition dirigé par le président Sheikh Sharif Ahmed.
Le nouveau gouvernement à Mogadiscio, approuvé par les États-Unis, a applaudi à l’opération lancée contre les pirates somaliens le 12 avril. « Nous sommes très heureux de cette action et de son résultat », a déclaré le ministre des Affaires étrangères Mohamad Abdullahi Omaar. « Je ne suis pas surpris, et personne ne le sera, des actions du gouvernement américain en vue de sauver ses citoyens et d’assurer leur sécurité », a-t-il déclaré à l’adresse de l’agence Reuters, le 13 avril.

S’opposer à la présence accrue de l’armée américaine

Des rapports récents émanant de la Maison-Blanche indiquent que l’administration Obama est divisée à propos de la façon d’appliquer sa politique étrangère dans la Corne de l’Afrique. Certains éléments veulent une approche plus diplomatique du problème de la piraterie ainsi qu’un effort concerté pour amener davantage de nations européennes et asiatiques à patrouiller dans les eaux du golfe d’Aden et dans l’océan Indien.
Toutefois, d’autres conseillers de la Maison-Blanche veulent une implication plus directe de l’armée américaine sur le territoire de la Somalie et au large de ses côtes. L’incident récent avec le Maersk Alabama a activé l’envoi de navires de guerre supplémentaires dans la région de l’océan Indien (Washington Post, 12 avril).

Selon les chiffres révélés par le Bureau maritime international, au moins une douzaine de cargos et plus de 200 membres d’équipage sont aux mains des pirates somaliens dans la région. Dans un même temps, les combats en territoire somalien se poursuivent entre les combattants de la résistance d’Al-Shabab et les forces de l’AMISOM forces, lesquelles opèrent de concert avec les troupes loyales au nouveau gouvernement de coalition de Mogadiscio.

Le 13 avril, Garowe Radio rapportait que trois personnes avaient été tuées en deux jours à la suite de tirs de mortier dans la capitale Mogadishu. « Des rebelles supposés ont tiré au moins dix obus de mortier sur le port principal de la capitale somalienne Mogadishu, le 11 avril. »
Le rapport faisait également remarquer :
« Les rebelles islamistes ont juré de faire la guerre contre le gouvernement intérimaire du pays de la Corne de l’Afrique. Des témoins et des travailleurs du principal port de mer de Mogadishu ont déclaré que les troupes du maintien de la paix de l’AMISOM avaient bloqué les routes à proximité du port et qu’elles avaient pénétré dans les quartiers voisins au moment de l’accostage d’un navire. »

Le rapport poursuivait :
« Il y avait beaucoup de soldats de l’AMISOM dans notre secteur (…) au sommet des bâtiments et ils ne nous ont pas autorisés à quitter nos habitations, a déclaré un témoin. Les travailleurs portuaires ont déclaré que le navire avait déchargé du matériel militaire lourd, y compris des véhicules, et que ce matériel a ensuite été acheminé vers les bases de l’AMISOM à Mogadishu. »

En s’appuyant sur ces rapports et sur l’orchestration par l’administration américaine de l’élimination des trois Somaliens, il est d’une importance vitale que les forces pacifistes et anti-impérialistes des États-Unis insistent sur le fait qu’une plus grande implication militaire américaine dans la région ne créera pas une situation politique plus stable en Somalie et dans la Corne de l’Afrique.

En fait, l’histoire l’a prouvé, le rôle de l’impérialisme américain dans la Corne de l’Afrique a créé une instabilité et un sous-développement plus importants encore dans la région. C’est suite à la politique de l’administration Bush à l’égard de la Somalie qu’est apparue la pire des crises humanitaires que connaît aujourd’hui le continent africain.
Au cours de la période actuelle, les forces progressistes doivent exiger une suppression du militarisme dans la Corne de l’Afrique et insister sur le droit à l’autodétermination de la région ainsi qu’à des réparations pour les peuples de la Somalie et de la Corne de l’Afrique dans son ensemble.

Abayomi Azikiwe le 13 avril 2009 sur le site de Michel Collon
Source : Workers
Traduit par Jean-Marie Flémal pour Investig’Action.

Transmis par Linsay



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