La crise dope le Parti Communiste japonais

lundi 2 mars 2009
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La précarité croissante et le choc de la crise amènent de nombreux jeunes à rejoindre un Parti communiste en plein réveil. Va-t-il percer dans les urnes ?

L’année dernière aura été un excellent cru pour le Parti communiste japonais (PCJ) ; 2009, année électorale, s’annonce du même tonneau.

Dans le quartier tokyoïte de Yoyogi, le pavillon rouge flotte avec fierté au sommet du siège gris de cette formation née un jour de juillet 1922. Chaque mois, depuis septembre 2007, le Parti enregistre une moyenne de 1 000 nouveaux adhérents, souvent jeunes. Il en compte désormais 415 000 : en dehors des pays où les communistes sont au pouvoir, le PCJ est l’un des plus importants au monde.

Karl Marx, version manga !

Dans l’archipel, l’atmosphère fleure bon les idéaux de gauche. Ainsi, la réédition en août dernier d’un ouvrage de 1929, Kanikosen, le bateau-usine de pêche au crabe, a déjà séduit 500 000 lecteurs ; un jeune militant communiste, Takiji Kobayashi, y décrit les conditions de travail et la mutinerie de marins de ce bâtiment, en mer d’Okhotsk. Une version manga a été publiée, elle aussi avec bonheur. Idem pour celle du Capital de Karl Marx, parue le 15 décembre.

Même la télévision s’y met. La chaîne privée Nihon Telebi diffuse tous les samedis soir un épisode de la série Zenigeba, la puissance de l’argent. Inspirée d’un manga de 1970, elle relate l’ascension sociale d’un jeune homme pauvre et confronté à « la société pervertie par l’argent, qui a perdu l’idée même du bonheur », dixit le producteur de la série, Hidehiro Kawano.

Est-ce une simple mode ? Peu probable. Pour des millions de Japonais, le quotidien est marqué par la précarisation des conditions de travail, la bipolarisation de la société et, de plus en plus, l’impact d’une crise violente.

Taro Tanaka*, 28 ans, a adhéré en janvier au Parti communiste japonais, après une expérience professionnelle douloureuse. Sans diplôme, le jeune homme vendait des abonnements au porte-à-porte pour une filiale du groupe de presse Yomiuri. « Je travaillais douze à treize heures par jour, explique-t-il. Chaque abonnement me rapportait entre 1 500 et 3 500 yens [entre 13 et 30 euros] ».

Sans salaire fixe, il ne vivait que des commissions. Or, avec la crise et la concurrence d’Internet, difficile d’obtenir de nouveaux lecteurs : « En deux mois, j’ai perdu 10 kilos parce que je n’avais pas de quoi manger ». Quand il rentre bredouille, il se fait traiter d’incapable par ses chefs : « Parfois, ils m’ont frappé ». Epuisé, il veut démissionner. Refus du patron. Il décide alors de fuir. D’abord hébergé dans le foyer où l’entreprise loge ses commerciaux, il se retrouve ensuite à la rue.

« Les travailleurs pauvres sont de plus en plus nombreux »

Son histoire n’a rien d’exceptionnel. « Les travailleurs pauvres sont de plus en plus nombreux, constate Tadayoshi Ichida, chef du secrétariat du comité central du PCJ. En 2008, le nombre de personnes gagnant moins de 2 millions de yens par an [17 400 euros], soit la moitié du salaire médian, a dépassé les 10 millions ».

Depuis le début des années 2000, les gouvernements successifs, notamment celui du Premier ministre Junichiro Koizumi, dérégulent à tout va le marché du travail. Résultat, le Japon compte 34,5% de travailleurs temporaires, contre 23,8 en 1998. Ces actifs, intérimaires, contractuels ou à temps partiel, peinent à gagner leur vie : « En moyenne, leur salaire horaire équivaut à 60% de celui d’un salarié en CDI », précise Kazuya Ogura, de l’Institut japonais pour la politique du travail et la formation.
Un ralentissement brutal

Le succès croissant du PC japonais auprès des jeunes s’explique en partie par les effets de la crise. En décembre 2008, le chômage a augmenté de 0,5 point, atteignant 4,4% de la population active. Une progression d’un niveau jamais observé depuis quarante-deux ans. Hisashi Yamada, économiste de l’Institut japonais de recherche, estime que, si le produit intérieur brut (PIB) recule de 1%, « le nombre de chômeurs pourrait augmenter de 1,5 million d’ici à 2010 et le taux de chômage atteindre 6% ». Or la Banque du Japon prévoit une contraction de 2% du PIB en 2009.

L’assurance-chômage, les cotisations de retraite ou de sécurité sociale sont à leur charge. Peu ont les moyens de les payer. Surtout, en période de crise, ils sont les premiers à la rue. Selon les prévisions, environ 400 000 pourraient avoir perdu leur emploi entre octobre 2008 et mars 2009 (lire l’encadré).

« Après l’éclatement de la bulle financière, en 1991, les entreprises ont réduit leur personnel, explique Ogura. Elles sont toujours sous pression pour diminuer les coûts salariaux. » Le taux de chômage, qui était de 2% en 1989, a dépassé 5% au début des années 2000. Et la croissance économique constatée entre 2002 et les derniers mois de 2007 n’a rien changé sur ce plan.

Shiro Suzuki*, 55 ans, a subi ces évolutions. Ancien chef d’entreprise ruiné, devenu ensuite un cadre commercial sous pression, aujourd’hui au bout du rouleau, il a adhéré en janvier au Parti. A 23 ans, Tsuyoshi Kanai, ex-prêtre shinto, a fait de même en octobre 2008, après avoir découvert par hasard son site Web. Auparavant, il avait vu sur la Toile une vidéo, très populaire, où Kazuo Shii, président du Parti, dénonçait « l’exploitation des jeunes travailleurs » : « J’ai compris que c’était le seul parti qui se soucie du peuple ».

Pour le sociologue Masahiro Yamada, « ces précaires ont perdu tout espoir d’améliorer leur quotidien et ont besoin d’exprimer leur malaise ». Certains s’identifient aux personnages révoltés de Kanikosen. S’engager au PC, omniprésent dans la défense des précaires, leur semble aller de soi.

Le Parti bénéficie aussi d’un ancrage original. Dès les années 1960, il a choisi de suivre sa propre voie, prenant de la distance avec ses homologues soviétique et chinois, au point de se réjouir, au début des années 1990, de l’effondrement de l’URSS. La formation est même traversée par les tendances nationalistes. Elle rejette l’alliance nippo-américaine, mais défend, contre Moscou, les revendications de Tokyo sur les îles Kouriles.

Une rhétorique adoucie...

Depuis 2004, par ailleurs, la rhétorique s’est adoucie. Les appels à la « révolution socialiste » ont cédé la place aux simples demandes de « réformes démocratiques ». Le PC japonais se veut responsable. Il refuse les subventions publiques et rejette les offres d’alliance avec les grands partis. Ses dirigeants sont de tous les combats pour la défense des précaires.

Kazuo Shii a fait une intervention remarquée au Toshikoshi Haken Mura, le « village des intérimaires pour passer l’année », dressé par des travailleurs sociaux le 31 décembre au coeur de Tokyo pour aider les nouveaux chômeurs. Même l’empereur n’a plus à s’inquiéter pour son trône. Les communistes sont prêts à le tolérer s’ils arrivent au pouvoir.

Fini, le temps où le Parti faisait figure de formation antidémocratique et déstabilisatrice ! Aujourd’hui, rien n’empêche Shii d’apparaître sur les très conventionnelles chaînes de télévision commerciales. Invité par Asahi Telebi en juin 2008, il se livre à une leçon de choses fondée sur Marx et Engels, évoquant l’excès de crédit, facteur d’excès de spéculation. Cela ne choque plus.

Succès médiatique, succès populaire... Ne manque que le succès électoral. En 2005, le PCJ avait obtenu 7,3% des suffrages et neuf élus à la Chambre basse. Cette année, l’impopularité du Premier ministre, Taro Aso, laisse présager une lourde défaite du camp conservateur. Au profit de qui ? Le verdict tombera lors des prochaines élections législatives. En septembre, au plus tard.

Lu sur le blog Valenton Rouge et transmis par Pascal Brula


* Les noms ont été changés

En médaillon le drapeau du PC japonais.



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