La France veut redevenir le gendarme du continent
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En soutenant les armées tchadiennes et centrafricaines dans le but de sauver les gouvernements en place, Paris renoue avec son passé interventionniste. Une politique qui suscite de nombreuses réactions.
François Bozizé, le chef de l’Etat centrafricain, passe les troupes en revue. Accompagné de quelques-uns de ses ministres, de diplomates et de représentants d’organisations internationales, il est arrivé à bord d’un avion français Transall. La scène se déroule le 15 décembre 2006, dans l’extrême nord-est de la République centrafricaine, une zone occupée pendant plus d’un mois par l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), le mouvement rebelle dirigé par un de ses anciens compagnons d’armes entré en dissidence, et reconquise fin novembre.
Difficile de trouver symbole plus fort de l’implication directe de la France dans le conflit qui a secoué la Centrafrique au cours du dernier trimestre de 2006. C’est peu dire que Paris n’a pas lésiné sur les moyens pour sauver le régime du successeur d’Ange-Félix Patassé. Bombardement des positions des rebelles par des Mirages F1, participation directe aux combats des forces françaises, y compris des éléments des forces spéciales. Engagement encore plus massif au Tchad voisin, lui aussi menacé par plusieurs mouvements rebelles, où une compagnie d’environ 150 hommes du 2e régiment étranger parachutiste de la garnison de Calvi est venue renforcer le dispositif Epervier, qui a pu ainsi compter jusqu’à 1 200 hommes. Des hommes officiellement chargés de mener des opérations de renseignement aérien au profit du régime du président Idriss Déby Itno.
Paris ne s’était pas autant engagé depuis vingt ans
En réalité, à en croire l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné, ils ont régulièrement fait le coup de fusil contre la rébellion. “Chaque jour ou presque, six Mirages F1-CT (combat tactique), basés à N’Djamena et appuyés par deux avions ravitailleurs en vol, interviennent au Tchad contre les forces rebelles opposées au président Idriss Déby. [...] Tirs au canon de 30 millimètres et largages de bombes, les Mirages français ont déjà détruit des véhicules et des batteries de la rébellion... Et, quand cela se révèle nécessaire, des Transall français, eux aussi basés dans la capitale du Tchad, déposent les soldats de Déby au plus près des combats”, pouvait-on lire dans l’hebdomadaire satirique.
Jamais depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980, la France ne s’était engagée aussi ouvertement dans un conflit en Afrique. En 1978, des parachutistes français avaient sauté sur Kolwezi, dans l’ex-Zaïre, pour contenir une rébellion au Katanga. Une intervention spectaculaire qui avait alors sauvé le régime de Mobutu Sese Seko, menacé de déstabilisation. Nouvelle intervention massive dans les années 1980 au Tchad pour, selon Paris, faire échec à la Libye qui menaçait de faire main basse sur cette ancienne colonie française. “L’action conduite aussi bien en Centrafrique qu’au Tchad s’inscrit dans un contexte extrêmement préoccupant pour nous, l’extraordinaire fragilité de la situation dans la région”, a expliqué, en décembre 2006, Jean-François Bureau, porte-parole du ministère de la Défense français. La France est liée à la Centrafrique par un “accord de défense” conclu à l’indépendance de ce pays en 1960, et au Tchad, depuis 1976, par un “accord de coopération militaire technique” de moindre portée. Tout en reconnaissant que la crise en Centrafrique et au Tchad est aussi la résultante “des fragilités internes” des deux régimes, il existe, selon Jean-François Bureau, “un lien très étroit entre la crise en Centrafrique et au Tchad et celle du Darfour”. Et de conclure : “Laisser faire dans ces deux pays conduirait, à très brève échéance, à une crise humanitaire de plus grande ampleur encore que celle à laquelle nous assistons au Darfour.”
En d’autres termes, Paris ne laissera pas le Soudan déstabiliser la région. Un message musclé envoyé à Khartoum. Mais un peu trop court pour dissiper les doutes sur les véritables ressorts de ce type d’interventions. Et, aussi bien en Afrique qu’en France, nombreux sont ceux qui soupçonnent l’Etat français de succomber à nouveau à ses vieux penchants, à savoir jouer les gendarmes sur le continent noir, histoire de voler au secours des régimes de son pré carré africain. Quitte à servir de bouclier à des pouvoirs qui sont loin d’être des parangons de vertu, de démocratie et de bonne gouvernance.
“Le pouvoir au Tchad est concentré dans les mains d’une seule personne (le président Idriss Déby Itno), qui décide de tout et a droit de vie et de mort [...]”, estime l’opposant Ahmat Yacoub, qui accuse les autorités de son pays d’être à l’origine des violences interethniques survenues depuis la fin octobre dans l’est du Tchad. “On assiste à un affairisme impétueux au sommet de l’Etat. J’en veux pour preuve les conditions d’attribution des permis miniers, pétroliers et forestiers - alors que les fonctionnaires accusent plusieurs mois d’arriérés de salaire malgré les aides budgétaires exceptionnelles et régulières des institutions internationales et de pays amis tels que la France, la Chine...”, s’est indigné pour sa part Martin Ziguélé, ancien Premier ministre centrafricain, début décembre, à Paris. Il stigmatisait également “les violations massives des droits de l’homme en République centrafricaine relevées par le dernier rapport d’Amnesty International”.
Paul Quilès, député socialiste et vice-président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale française, s’est publiquement interrogé sur le bien-fondé de ces interventions. “Il faut justifier nos interventions en Afrique”, a estimé cet ancien ministre de la Défense de François Mitterrand. Et de demander que l’Etat français clarifie les buts de sa politique en Afrique. Les doutes s’insinuent même dans le courant politique du président français, Jacques Chirac, notamment parmi les partisans du ministre de l’Intérieur et candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy. Celui-ci ne s’était d’ailleurs pas privé de dire tout le mal qu’il pensait de la politique africaine actuelle de la France, dans un discours lors d’un voyage officiel à Cotonou en 2006. Le Sénat affiche également son scepticisme. Pourtant largement contrôlée depuis des décennies par la droite, et peu connue pour ses audaces, cette très conservatrice Chambre haute du Parlement français se pose à son tour des questions sur la pertinence des interventions militaires françaises en Afrique.
Dans un récent rapport, elle parle d’une “tentation du désengagement” et d’une “fatigue” de la France. Le problème est que, de Charles de Gaulle à Jacques Chirac, en passant par Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, tout ce qui touche à l’Afrique relève du domaine réservé de l’Elysée. Et, jusqu’à preuve du contraire, Jacques Chirac reste droit dans ses bottes. Et il n’est pas sûr que son successeur rompe avec cette vieille tradition gaullienne.
Source : Continental
Transmis par Linsay
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