Une marée noire qui n’arrêtera pas les forages

dimanche 16 mai 2010
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Un tiers de la production pétrolière américaine provient du golfe du Mexique. Malgré les milliers de tonnes de pétrole qui menacent les côtes, il est peu probable que le secteur change son fusil d’épaule.

Il y a plus de quarante ans, l’explosion d’une plate-forme pé­trolière déversa près de 13 000 tonnes de pétrole brut sur les plages de Santa Barbara, souillant une soixantaine de kilomètres de côte touristique de Californie du Sud. Ce fut un tournant dans l’expansion de l’industrie pétrolière. Il ne fut alors plus question de forer au large des côtes du pays et cela donna lieu à des dizaines de lois sur l’environnement, tant au niveau des Etats qu’à l’échelon fédéral. L’Histoire est-elle sur le point de se répéter dans le golfe du Mexique ? On pourrait le croire. L’émotion est à son comble alors que la nappe de pétrole envahit le fragile écosystème de la région, menaçant les pêcheries, les éleveurs de crevettes et peut-être même le secteur touristique de la Floride. Des milliers de personnes risquent de perdre leur source de revenus. Le nettoyage pourrait prendre des années.

Au-delà de la colère contre BP, la compagnie pétrolière propriétaire de la plate-forme accidentée, certains défenseurs de l’environnement ont exigé l’abandon de l’exploration offshore et demandé au président Obama de rétablir un moratoire sur les forages. La Maison-Blanche a d’ores et déjà indiqué qu’aucune nouvelle autorisation de forage ne serait délivrée tant qu’on ne connaîtrait pas les causes de l’accident. Une plus grande vigilance de la part des autorités paraît inévitable. Toutefois, quelle que soit l’ampleur de la marée noire provoquée par la plateforme Deepwater Horizon, à environ 80 kilomètres des côtes de la Louisiane, elle ne devrait pas sérieusement entraver l’exploitation offshore dans le golfe du Mexique. Le pays a besoin de pétrole et d’emplois.

La situation n’est plus du tout la même qu’en 1969. La demande de pétrole aux Etats-Unis est montée en flèche, progressant de plus de 35 % au cours des quarante dernières an­nées, tandis que la production nationale a diminué d’un tiers. Les importations pétrolières ont doublé. Le contexte politique a lui aussi chan­gé. Les républicains veulent re­lancer la production pétrolière nationale afin de réduire la dépendance du pays envers le pétrole étranger. Pour les démocrates, la réduction des émissions de gaz à effet de serre est l’une des grandes priorités. Pour avancer sur ce dossier, la Maison-Blanche a adopté une position de compromis en vertu de laquelle elle accepte de promouvoir la prospection offshore, moyennant quoi les républicains soutiendront sa politique de lutte contre le réchauffement.

Il y a encore une autre raison pour laquelle les forages offshore vont vraisemblablement continuer. La plupart des nouvelles découvertes importantes ont lieu au fond des océans, notamment dans le golfe du Mexique. Pour les compagnies pétrolières, ces ré­serves représentent des centaines de milliards de dollars. Elles sont l’avenir de l’industrie pétrolière. Depuis les années 1980, cette région est devenue un vaste laboratoire pour le secteur pétrolier, une vitrine des technologies de pointe. C’est ici que les compagnies ont trouvé des méthodes pour forer à des profondeurs toujours plus importantes, qu’elles ont mis au point des plates-formes plus grandes pour pomper encore plus de pétrole, qu’elles ont utilisé pour la première fois des sous-marins automatisés et des systèmes sous-marins élaborés, tout droit sortis des romans de science-fiction.

Les consommateurs auront toujours besoin de pétrole

Certains des nouvelles plates-formes flottantes peuvent forer sous l’eau à plus de 3 000 mètres de profondeur. Elles peuvent rester dans la même position pendant des semaines, tout en essuyant des vagues de 12 mètres de haut, grâce à des systèmes de positionnement par satellite et à de petites hélices situées sous la quille. A des centaines de kilomètres de là, à Houston, des ingénieurs installés dans des salles de contrôle commandent le forage en temps réel. Tout cela a contribué à faire du golfe du Mexique l’un des principaux pôles de croissance pour l’extraction pétrolière aux Etats-Unis. Cette zone représente un tiers de la production nationale, soit 1,7 million de barils par jour, provenant principalement des grands fonds. Cette dernière marée noire pourrait avoir d’aussi grandes répercussions sur l’action des pouvoirs publics que le naufrage de l’Exxon Valdez, en 1989, qui avait déversé 40 000 tonnes de pétrole brut dans les eaux sensibles de la baie du Prince-William, en Alaska. Après cette marée noire, les pétroliers ont dû respecter des mesures de sécurité plus strictes et le propriétaire d’une plate-forme ou d’un navire était rendu légalement responsable du nettoyage après un accident. Mais les pétroliers continuent à sillonner les océans.

Certains écologistes estiment que la vindicte populaire va aussi pousser les autorités à promouvoir les énergies renouvelables. Ils font valoir que les risques de la production pétrolière l’emportent largement sur les avantages. “Cette nouvelle catastrophe écologique devrait constituer un tournant”, assure Wesley P. Warren, directeur des programmes au Natural Resources Defense Council (NRDC). “C’est le signe qu’il est temps de renoncer au pétrole comme source d’énergie.” Mais la mise au point d’énergies de substitution crédibles, bon marché et abondantes, prendra de nombreuses décennies, et d’ici là les voitures vont avoir besoin d’essence et les avions de kérosène. Les Etats-Unis sont de loin le plus gros consommateur de pétrole de la planète. Ils en consomment encore deux fois plus que la Chine, malgré la croissance de ce géant.

Par Jad Mouawad dans The New York Times le 06/05/2010

Transmis par Linsay


En médaillon dessin de Pierre Fournier transmis par Dominique B et paru en....1973 !!



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