Une autre histoire du XXe siècle

samedi 7 juin 2008
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Nous qui vous avions déjà parlé d’Eric Hobsbawn, nous ne pouvons que nous réjouir de la réédition de cet ouvrage. Voici ce qu’en dit « le Diplo » sous la plume d’Alain Gresh.

« La destruction du passé, ou plutôt des mécanismes sociaux qui rattachent les contemporains aux générations passées, est l’un des phénomènes les plus caractéristiques et mystérieux de la fin du “court XXe siècle”. La plupart des jeunes grandissent de nos jours dans une sorte de présent permanent... » Au contraire, explique l’historien britannique Eric Hobsbawm dans son introduction à son livre L’Age des extrêmes, pour lui et sa génération dont l’itinéraire traverse le siècle, « le passé fait partie du présent », les rues portent les noms de batailles, les monuments aux morts en évoquent les innombrables victimes...

Mais, sous cette amnésie qui domine aujourd’hui, se cache une vision du siècle qui s’est achevé avec la chute du mur de Berlin en 1989, une lecture désespérée et désespérante des décennies passées : massacres, guerres mondiales, génocides, goulag, nazisme — un siècle réduit à une succession de cataclysmes. Ce pessimisme implique aussi que toute perspective de changement des rapports sociaux est vouée à l’échec. C’est l’historien François Furet qui dressera la philosophie de cette conception : il faut accepter le monde tel qu’il est…

Pourtant, cette période qui va de 1914 à 1989 fut aussi celle de grandes avancées pour l’humanité. D’abord, et c’est sans doute le plus important, la chute des empires coloniaux « éternels » : alors que, en 1914, la grande majorité du genre humain vivait sous domination étrangère, que l’Afrique et l’Asie n’étaient pas maîtresses de leur destin, à la fin du XXe siècle, les indépendances politiques ont partout triomphé, et le colonialisme — malgré quelques tentatives de « réhabilitation » — a été renvoyé aux poubelles de l’histoire.

D’autre part, durant ce laps de temps, les luttes ouvrières ont abouti dans la majorité des pays européens à de grandes conquêtes : disparition progressive du travail des enfants — rappelons que, en 1893, la durée du travail des enfants de 13 ans était réduite à … dix heures par jour ! — ; la journée de huit heures et la semaine de quarante heures ; la sécurité sociale ; le salaire minimum ; la reconnaissance du droit syndical. Parallèlement, l’élargissement des droits politiques s’est accompagné d’une avancée sans précédent de l’émancipation des femmes.

Enfin, dans les domaines des sciences, des techniques, de la culture, des révolutions sans précédent se sont produites, qui ont modifié notre vision de l’univers et ouvert la voie à l’éradication de nombreuses maladies, à la conquête de l’espace, à l’énergie atomique, etc. Le développement massif de l’alphabétisation, l’essor du cinéma, puis de la télévision, ont aussi créé les conditions d’un accès plus large à la culture.

Allant à contre-courant de la vision de l’histoire imposée par François Furet, L’Age des extrêmes connut en France une aventure singulière. Il fut soumis à ce qu’il faut bien appeler une censure politique (lire « “L’Age des extrêmes” échappe à ses censeurs », septembre 1999). Salué dans nos pages, à sa parution, en 1995, par Claude Julien (lire sa recension, « Le siècle des extrêmes »), il fut refusé par la plupart des grands éditeurs français. Il fallut une coédition du Monde diplomatique et des éditions Complexe (Belgique) pour que l’ouvrage soit enfin traduit. Le succès ne se fit pas attendre : plus de 70 000 exemplaires vendus avant sa sortie en édition de poche.

Cette audience, le livre la doit d’abord à sa vision d’ensemble, qui mêle faits politiques et transformations économiques, révolutions scientifiques et mouvements culturels. L’ouvrage, loin de tout schématisme, permet de mesurer l’importance de ce « court XXe siècle », et par là même de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il y a le talent de l’historien-écrivain, qui nous fait redécouvrir le plaisir de la lecture, un plaisir que chacun retrouvera avec cette nouvelle édition de l’ouvrage.

Alain Gresh Le Monde diplomatique du 05/06/2008

Transmis par Linsay


Eric J. Hobsbawm, L’Age des extrêmes — Histoire du court XXe siècle, André Versaille Editeur / Le Monde diplomatique, mai 2008, 812 pages, 22,90 euros.



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