Repeuplons l’Europe, disent-ils

dimanche 21 janvier 2007
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Après des décennies d’économie et de sociologie, avec la psychanalyse en garniture, c’est maintenant aux démographes de révéler les destins et d’émettre des hypothèses sur l’avenir du monde.

“Si notre discipline resurgit précisément en Allemagne, ce n’est pas un hasard puisqu’elle est née précisément ici, après la catastrophe de la guerre de Trente Ans”, explique Herwig Birg. La guerre de Trente Ans, qui s’acheva en 1648 par les traités de Westphalie, fut un conflit féroce qui provoqua dans toutes les classes sociales un nombre de victimes sans précédent. Des régions entières furent dépeuplées. Les Allemands (l’Allemagne fut le théâtre principal du conflit) se posèrent alors le problème des flux démographiques.

Birg, le plus grand théoricien contemporain de cette discipline, est directeur de l’Institut de recherches démographiques de Bielefeld et auteur de livres ardus, aux titres peu engageants, mais qui sont pourtant devenus des best-sellers en Allemagne, comme Die demographische Zeitenwende (2001) [Le tournant démographique] ou, plus récemment, Die ausgefallene Generation (2005) [La génération qui a sauté].

Dans ses écrits, Birg affirme que le XXIe siècle se caractérisera par une “révolution démographique sans précédent pour le genre humain”. Le professeur n’est pas du genre à lancer des jugements apocalyptiques à tort et à travers : chacune de ses affirmations est étayée par des données mathématiques et des variations statistiques. Quand il parle de “révolution du facteur D” - le facteur démographique -, il entend par là quelque chose de très concret : au cours de ce siècle à peine commencé, l’Europe sera le seul continent à enregistrer une baisse démographique non seulement spectaculaire, mais irréversible.

Voici les chiffres, égrenés avec un grand souci de la précision : en 1950, la population européenne constituait environ 25 % de la population mondiale ; aujourd’hui, cette part est tombée à 11 % ; et elle ne sera plus que de 7 % en 2050. Les Européens partageront leur maigre destin avec les autres pays industrialisés - à l’exception des Etats-Unis, qui continueront à accroître leur population -, des pays qui, selon les prévisions du professeur allemand, “sont appelés à se transformer d’ici à la fin de ce siècle en nains démographiques”.

Une prophétie de Nostradamus ?

En réalité, et c’est ce que le nouveau boom de la démographie a de fascinant, les prévisions sur le déclin démographique de l’Europe s’appuient sur des données statistiques irréfutables : les taux de natalité et de fécondité enregistrés depuis des années dans les divers pays du continent.

Ainsi, en 2003, les Italiennes et les Espagnoles détenaient le record du taux de fécondité le plus faible, avec 1,2 enfant chacune en moyenne. Suivaient les Allemandes, avec un taux de 1,3, et les Britanniques et les Néerlandaises, avec une moyenne de 1,7 enfant.

Herwig Birg explique aussi que, parmi les femmes des pays riches, seules les Américaines ont maintenu ce niveau de reproduction que les démographes appellent “l’idéal mathématique”, la moyenne des naissances qui garantit (sans apport d’immigrés) la stabilité démographique d’un pays.

En Allemagne, plus du tiers des ménages sont sans enfants

“La tendance négative n’est pas une nouveauté absolue en Europe, explique le démographe. C’est depuis des décennies que nous avons pris le chemin de la catastrophe.” Et il ajoute (voilà la raison de sa popularité en Allemagne) : “L’Allemagne est le pays qui, plus que tous les autres, s’est engagé dans cette voie sans issue.” C’est une analyse intéressante parce qu’elle remet en question quelques paradigmes des sciences économiques et sociales jamais contestés jusqu’ici.

Voici les chiffres : en Allemagne, pays qui était autrefois la locomotive du développement de l’Europe, la baisse démographique a commencé en 1972 à l’Ouest et dès 1969 à l’Est - bien avant les autres pays du continent. Les Allemands détiennent aussi un autre record du monde : le plus fort pourcentage de ménages sans enfants (plus d’un tiers par génération). En 2005, à peine 700 000 enfants sont nés en Allemagne : c’est le taux le plus bas jamais enregistré dans l’histoire démographique du pays.

A quoi est due cette érosion continue des naissances ? Selon Herwig Birg, “des historiens et des sociologues nous racontent depuis des années que la chute de la natalité vient de l’invention de la pilule et de la diffusion de la contraception”. Mais ni la pilule ni les tendances culturelles qui font primer l’hédonisme sur la fonction reproductive de la sexualité ne semblent des explications suffisantes du phénomène. “Je me suis posé la question suivante : comment se fait-il que l’Allemagne, qui a inventé le système de protection sociale au XIXe siècle et où les parents reçoivent des allocations importantes pour chaque enfant, soit la nation la moins prolifique d’Europe ?” Voici la réponse : “Cela confirme une des lois fondamentales de notre discipline, que nous appelons le â€ËÅ“paradoxe économico-démographique’.” Le paradoxe, selon Birg, est le suivant : “Plus la vie d’une société riche est confortable, plus on a de sécurité et de garanties pour l’avenir, moins les individus optent pour des choix qui les engagent sur le long terme, tels que mettre des enfants au monde.”

C’est la cohésion sociale qui va entrer en crise

Mais revenons aux statistiques. Selon les calculs du Pr Birg, l’Allemagne aura en 2050 une population de près de 60 millions de personnes, soit 20 millions de moins qu’aujourd’hui. Les Italiens passeront de 56 à 37 millions. Et, en 2100, les Allemands ne seront plus que 32 millions, les Italiens 15 millions et les Espagnols 11 millions.

Mais, si Birg et les experts parlent d’une “révolution démographique”, c’est parce que la bombe à retardement enclenchée avec la baisse de la natalité explosera et inversera la pyramide des âges : c’est ce phénomène de vieillissement progressif que l’on peut déjà constater à l’Å“il nu dans les sociétés européennes. Si la baisse de la natalité peut être compensée en partie par les nouveau-nés des nouveaux, et inévitables, flux migratoires, “il n’est plus possible de freiner le processus de vieillissement des sociétés européennes dans les cinquante prochaines années”, explique le démographe.

En revanche, les conséquences en chaîne que le “facteur D” provoquera en l’espace de quelques décennies sont moins évidentes. “Les couples feront toujours des enfants”, assurait dans les années 1950 le chancelier allemand Konrad Adenauer. Il ne se doutait pas qu’un demi-siècle plus tard l’effet combiné de la chute de la natalité et du prolongement de la vie pourrait faire voler en éclats le système de protection sociale.

Et il n’y a pas que les mécanismes économiques et productifs qui se heurtent au facteur D. “C’est la cohésion sociale et le tissu géopolitique des pays européens qui vont entrer en crise”, avertit le Pr Birg, qui voit se profiler à l’horizon des fractures de plus en plus nettes entre des régions démographiquement de plus en plus pauvres et des métropoles de plus en plus peuplées.

Ce n’est pas de la politique-fiction, mais une réalité de toutes les métropoles, de Berlin à Londres en passant par Paris, où commencent à se faire sentir des conflits politiques et culturels entre les populations autochtones vieillissantes et les jeunes issus des diverses vagues migratoires.

Pour le démographe, cela ne fait aucun doute. “Dans quelques années, les étrangers constitueront, dans la tranche d’âge des plus jeunes, c’est-à-dire au-dessous de 40 ans, la majorité absolue dans les métropoles européennes.” Cette prévision équivaut à l’un des défis les plus difficiles de l’avenir : celui d’une politique d’intégration adéquate en vue d’éviter l’éclatement des villes en des myriades de ghettos ou de sociétés parallèles. Mais, à ce stade, avoue Herwig Birg, les démographes ne suffisent pas : il faut aussi l’aide des sociologues.

Source : L’Espresso

Transmis par Linsay



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