Appel pour un ‘JE VOUS AI COMPRIS’ Sous forme...

dimanche 11 juin 2017
par  Dr Benjelloun
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Appel pour un ‘JE VOUS AI COMPRIS
Sous forme de murmure à l’oreille de ceux qui se sentent concernés par la situation
actuelle au Maroc.
Nous ne voulons pas vivre la malédiction qui a frappé et continue de détruire l’Irak, la
Syrie et la Libye. Nous ne voulons pas subir le programme de fragmentation lancé contre
les pays arabes. Mais comment ne pas être solidaires avec les Marocains qui réclament
moins de corruption et plus de justice sociale ? Qui peut rester sourd à cet appel qui
revendique que chaque citoyen puisse avoir une vie digne ?
Il n’est pas étonnant que le mouvement, non encore pris en charge par des organisations
qui vont le dévoyer, ait débuté dans le Rif.
La première raison est bien sûr historique. Depuis les attaques des royaumes espagnol
et portugais sur les côtes du Nord du pays, le Sultan avait confié la tâche aux tribus du
Rif d’en être les gardiens. Moyennant une exemption d’impôt à l’Etat central, elles ont
défendu l’intégrité territoriale valeureusement. Elles ont acquis une tradition de lutte
farouche contre l’envahisseur potentiel et de relative autonomie par rapport au
makhzen. L’épopée de la guerre du Rif et son éphémère république a été le point
culminant de la résistance contre les prétentions coloniales de la péninsule ibérique.
La seconde résulte d’un enclavement du Rif qu’un relatif développement du pays a
contourné, générant un vif sentiment d’abandon. Durand des décennies entières, les
Rifains n’avaient d’autre choix que d’émigrer ou de s’adonner à la culture du Cannabis. Il
est des villages où chaque famille a donné au moins l’un de ses fils à l’étranger.
La crise économique mondiale induite par un capitalisme financiarisé à l’extrême a
obligé les pays traditionnellement importateurs de main d’œuvre à limiter
drastiquement les entrées sur leur territoire, rendant inopérante la soupape qui
soulageait la région de son trop-plein de chômeurs tout en assurant une rentrée de
devises au pays.
Le nombre de morts sur les Pateras qui tentent la traversée de la Méditerranée et le
partage d’information sur les réseaux sociaux du sort réservé aux migrants dans les
camps de détention ayant réussi leur passage décourage les candidats au départ.
Confrontée à la réalité d’une inégalité sociale de plus en plus marquée et désormais
privée de l’espoir de quitter le territoire, toute une jeunesse exprime à haute et
intelligible voix qu’il n’y pas d’issue sans de profondes réformes sociales.

Il est plus qu’inconvenant d’attribuer l’émergence de ce mouvement à une machinerie
provenant d’un pays tiers et voisin immédiat. Lequel pays est d’ailleurs confronté aux
mêmes contradictions d’une minorité qui s’accapare les richesses nationales et ne
souhaite en aucun cas la déstabilisation du Maroc. Il craint à juste titre une
contamination par la rébellion qui couve contre le régime plus que corrompu des
militaires au pouvoir.
C’est une faute politique.
De même que c’est une grave erreur de tabler sur une résolution du problème
clairement posé par son pourrissement. Ces hommes sont résolus, ils n’ont rien à perdre
que leur frustration et surtout, ils sont pieux et animés d’une foi, celle indestructible que
lui confère un Islam bien compris, celui de l’égale dignité des fils d’Adam.

L’équation ainsi posée, il faut établir rapidement une concertation qui mette en place
des jalons en vue d’un dénouement.
Tout d’abord, ceux qui exercent le pouvoir doivent reconnaître publiquement la
légitimité des revendications portées non seulement par le Rif mais par un nombre
croissant de régions et de villes. Le menu peuple n’en peut plus d’être exposé dans la
moindre de ses démarches à l’arbitraire, aux passe-droits et à l’impôt direct du bakchich.
Il n’est ni téméraire ni dégradant de valider publiquement un état de fait vécu par tous
et chacun, sinon c’est l’enfermement dans le déni et la schizophrénie.
Ce pays compte suffisamment de patriotes prêts à se dévouer sans contrepartie de cures
ni prébendes pour appliquer un programme de moralisation de la vie publique sans
qu’il soit nécessaire de tomber dans le travers de la Terreur et des délations.
C’est un immense chantier en perspective.
Il sera initié donc par le déploiement d’un ‘Je Vous ai compris’ bien compris.
Le pendant de ce futur travail pour une harmonisation sociale passe par des réformes
structurelles qui obligent à négocier la Dette extérieure du pays.
En demander sinon purement et simplement son annulation, en tous les cas une bonne
remise. Il faut sortir du diktat du FMI, restaurer la souveraineté pleine et entière du
Maroc. Le pays doit retrouver son amplitude d’action en matière d’instruction publique
et de santé et ne pas livrer ces deux fonctions régaliennes au privé soumis à la loi du
profit. D’autres institutions financières capables de se substituer à la Banque Mondiale
et au FMI ont émergé, elles sont moins gourmandes quant à la rentabilité de leurs prêts.
Il est temps de s’apercevoir que le monde n’est plus unipolaire.
Il est temps de refuser de se faire piller nos maigres ressources et de mettre des secteurs
industriels fragiles en concurrence avec ceux des pays avancés qui imposent le libre-
échange à leur avantage.
Quant à la réforme de la régionalisation, il faut la laisser dans les cartons pour l’heure.
Déléguer des fonctions qui reviennent de plein droit à l’Etat central à des élus locaux
revient à créer une classe de seigneurs locaux et de caïds.
L’urgence est bien d’amorcer un apaisement, d’ouvrir une perspective enthousiasmante
en annonçant ce train de révisions stratégiques.
Refonder la société, ce n’est pas moins ce qui s’impose à nous.
Et c’est beaucoup plus aisé que l’on ne l’imagine. L’addiction au capitalisme sauvage qui
nous est imposé contrevient au dogme de l’Islam et elle est curable.
Au travail et vite, car nous ne voulons pas d’un nouveau déchirement dans un pays
arabe, doit-on préciser arabo-berbère tant la multiethnicité et le multilinguisme sont
une caractéristique des nations islamisées qui n’ont jamais été uniformisées ?
Ne laissons pas gagner la dissension. Reconstruisons une unité sous l’enseigne d’une
marche vers une véritable indépendance idéologique et économique qui réduira les
forces centrifuges. Ce pays se dépeuple de ses élites intellectuelles et de ses forces vives
contraintes de se rendre et de se vendre à l’étranger.
Ne mimons pas les solutions politiques faussement démocratiques des pays
occidentaux, ce modèle a montré ses limites. Les élections qui font alterner des équipes
en tous points analogues sont une parodie désastreuse pour un gouvernement par et
pour le peuple.
Et en préambule pour une conciliation avec le valeureux peuple du Rif, il faut demander
sinon réparation du moins reconnaissance de leur responsabilité aux Etats français et
espagnol dans la fréquence anormalement élevée des cancers dans cette province. Ils

ont expérimenté largement leurs armes chimiques lors de la répression de la résistance
rifaine entre 1921 et 1926, prélude à la grande barbarie de leur seconde guerre
mondiale.

Badia BENJELLOUN
Dimanche 16 Ramadan 1438,
11 juin 2017

Encadré contextuel :
Fin octobre 2916, un marchand de poisson s’est vu confisquer sa marchandise par les
autorités maritimes. La pêche de cette variété de poisson qu’il s’apprêtait à revendre est
interdite à cette saison. Après des pourparlers infructueux il s’installe dans la benne
pour tenter d‘empêcher sa destruction. Le mécanisme est déclenché et l’homme est
broyé. Une immense émotion s’est emparée des habitants d’Al Houceima, petite ville
côtière du Nord du Maroc où l’emploi est rare en dehors de l’estivage qui parvient à
remplir quelque peu des hôtels flambant neuf.
Des manifestations exigeant que justice soit rendue, et elle le fut en un temps recordavec
des condamnations rapides de responsables locaux, ont commencé. Elles se sont
poursuivies après le verdict sur fond de revendications sociales pour une région qui fut
longtemps délaissée et ‘punie’ par Hassan II. En effet, le Rif s’est rebellé en 1958-1959,
juste au lendemain de l’indépendance théorique de 1956, il demandait une relative
autonomie et une plus juste répartition des pouvoirs locaux ce qui était un attribut tout
à fait traditionnel accordé à cette région par les différents Sultans du Maroc. Les
différentes composantes de la Résistance qui ont œuvré au retour au trône de
Mohammed V espéraient encore un partage équitable des responsabilités. La monarchie
n’était pas encore figée en ce qu’elle allait devenir, une autocratie.
La répression se fit dans le sang, les mains de Hassan II en ont été entachées de manière
indélébile. Les Rifains ont gardé cet épisode en mémoire et leur sentiment d’injustice
sociale partagé par l’ensemble des classes défavorisées en est d’autant avivé.
Depuis, le mouvement rifain de revendications sociales s’est propagé à l’ensemble du
territoire. Ce jour, dimanche 11 juin, une manifestation importante s’est déroulée dans
la capitale à Rabat. Nombre d’organisations y ont pris part.
Le gouvernement actuel constitué seulement en avril après des élections législatives
tenues début octobre a pour l’instant réagi en emprisonnant quelques leaders
charismatiques et en espérant le pourrissement de la situation.



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