“Les pays pauvres sont très souvent plus généreux que les riches"

dimanche 23 mai 2010
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Dans une région troublée qui connaît beaucoup de déplacements de population, le gouvernement tanzanien ouvre ses frontières. Il vient de naturaliser 160 000 réfugiés burundais.

Ce que vous allez voir est un paradis malgré tout. Un paradis ? Un terme manifestement en contradiction avec la route de terre rouge que nous parcourons à grande vitesse. De minces silhouettes portant des houes ou des fagots de bois se déplacent lentement au bord de la piste. Il est 10 h 30 du matin. Nous avons atterri à Kasulu, à l’extrême nord-ouest de la Tanzanie, près du lac Tanganyika, après trois heures à bord du petit avion des Nations unies qui nous a transportés depuis Dar es-Salaam. La caravane de 4 x 4 du Haut- Commissariat aux réfugiés (HCR) se dirige vers le camp de Nyarugusu, à 80 kilomètres de distance.

Direction le “paradis” ? Nyarugusu l’est en comparaison de la réalité de l’autre côté du lac, dans les camps de réfugiés du Kivu, en république démocratique du Congo (RDC). Le haut-commissaire António Guterres, qui ose l’expression, y était récemment. “Là-bas, on reçoit un coup dans l’estomac.” Un million huit cent mille personnes déplacées. De ce côté-ci, le pays est pauvre, mais vit en paix. Habituée à recevoir des réfugiés depuis les premiers conflits ethniques d’après les indépendances dans la région des Grands Lacs, la Tanzanie est une île de tranquillité au milieu de voisins en guerre (passées ou présentes) : Congo, Rwanda, Burundi, Ouganda, Mozambique.

La visite du haut-commissaire est un témoignage de gratitude envers “un acte d’extrême générosité” : la concession de la citoyenneté tanzanienne à 162 000 réfugiés du Burundi. “Les pays pauvres sont très souvent plus généreux que les riches. On y trouve les quatre cinquièmes des réfugiés de la planète”, explique-t-il. Dans le camp de Nyarugusu vivent 55 000 Congolais du Katanga et du Kivu, qui ont fui les vagues de violence successives. Une petite cérémonie de bienvenue l’y attend. Elle se répétera à chaque étape du voyage. La caravane s’avance au milieu de gens aux mains euphoriques, aux voix pleines de musique. De près, ils ont le regard fatigué. Un petit chœur en blouses bleues salue le haut-commissaire à l’entrée du centre de soins. Presque tout le personnel est recruté parmi les réfugiés. “Là-bas, j’étais professeur, ici je suis infirmier”, raconte Esube, un réfugié de 1999. “Il nous manque une charte des droits des réfugiés. On n’est pas informés sur nos droits.” Pour le reste, les choses fonctionnent.

Elice Matale est un chétif adolescent de 17 ans. “J’ai une maladie de cœur”, explique-t-il. Il a une lettre à remettre au haut-commissaire pour lui demander d’être soigné à l’hôpital de Dar es-Salaam. Il y aura beaucoup de lettres, cachetées dans des enveloppes bleues et remises en main propre. La majorité d’entre elles demandent que le camp soit transformé en colonat. La différence est fondamentale. Dans les camps, les réfugiés ne sont pas autorisés à sortir de l’enceinte ni à cultiver la terre ou à exercer d’autres occupations que celles qui bénéficient au camp. Dans les colonats, ils peuvent circuler dans un périmètre plus vaste et travailler la terre. En Tanzanie, pays d’accueil depuis au moins quatre décennies, les réfugiés ont des noms d’années. “Burundais de 72”. “Congolais de 97”. Les plus anciens font partie des “vieux colonats”.

La moitié des habitants du camp sont des enfants. Parmi eux, 98 % vont à l’école. Thomas, Clementine, Lara Kie et Séraphine ont 6 ans. Ils attendent timidement. Ils vont recevoir leurs premiers uniformes blancs et bleus pour entrer à l’école primaire du camp. La veille, au centre de certification de la nationalité de Dar es-Salaam, Fidelitha Momenye a quant à elle reçu des mains du ministre de l’Intérieur, Lawrence Masha, le premier certificat de citoyenneté concédé aux réfugiés des vieux colonats. Elle est étudiante en dernière année de sociologie à l’université de Dar es-Salaam, grâce à une bourse financée par une ONG allemande. “C’est une étape importante de ma vie. Je suis née ici, j’ai étudié ici grâce à des professeurs tanzaniens et avec l’aide de beaucoup de Tanzaniens. Je suis prête à utiliser mes connaissances au profit de mon nouveau pays”, explique-t-elle. Ses parents n’ont pas voulu croire à une possible naturalisation et ont été parmi les premiers à revenir au Burundi quand le gouvernement a décidé de fermer la majorité des camps où vivaient les réfugiés depuis 1972.

Un appel à suivre l’exemple de la Tanzanie

“Monsieur le Haut-Commissaire des Nations unies, je vous donne la parole.” Baruani Nduma, 16 ans, préside la session. Fier et sûr de lui. Son nom a fait le tour du monde quand il a reçu le prix International Child Peace en 2009. Il veut être journaliste. D’ici là, il a décidé d’organiser dans le camp un “Parlement des jeunes”. Baruani avait 7 ans quand il a fui la RDC avec ses parents. Il les a perdus en route et s’est retrouvé seul à Nyarugusu. En 2009, il est parvenu à lancer un programme radio tentant de réunir les familles dispersées pendant leur fuite. Avec l’aide de KidsRights, l’ONG néerlandaise qui a créé le prix, son émission est désormais écoutée en RDC. La caravane repart vers Kasulu.

Notre avion s’envole vers Kigoma. Une autre caravane nous amène jusqu’à l’entrée du “camp d’enregistrement” de Kigoma. Il sert à vérifier l’identité des réfugiés qui veulent et qui peuvent obtenir la nationalité tanzanienne. Mamero Tuhioma est assis dans la première des trois baraques. Il porte dans ses bras son fils Tumaine – un nom qui signifie Espoir. Mamero est venu avec ses parents en 1972, vers l’âge de 8 ans. Le Burundi a été le théâtre intermittent du conflit sanglant entre les Tutsis et les Hutus. Il attend son tour. Des familles entières attendent comme lui sur l’herbe, à l’ombre des arbres. Des ordinateurs portables modernes brillent sur les tables des fonctionnaires tanzaniens. Il n’y a pas de signes de privation. Les vieux colonats produisent 51 % du tabac de la Tanzanie. Ils vont devenir citoyens tanzaniens. Les autres devront rentrer chez eux, dans l’incertitude d’une nouvelle vie. En 2007, la Tanzanie a invoqué auprès du HCR la “clause de cessation”, mettant en avant la fin des conditions de conflit qui avaient provoqué l’arrivée des vagues successives de réfugiés du Burundi. Depuis lors a eu lieu une longue et complexe négociation entre le haut-commissaire et les autorités de Dar es-Salaam. Guterres s’est battu pour l’intégration de ceux pour qui le retour n’avait plus de sens. Il a trouvé en Lawrence Masha, le ministre de l’Intérieur, un partenaire de bonne volonté. “Il doit faire face à une forte opposition dans le gouvernement.” Les Tanzaniens estiment que, sur le plan de l’aide humanitaire, ils ont déjà suffisamment donné. Ils sont parvenus à réduire le nombre de réfugiés, qui atteignait les 680 000 en 2000, à moins de 100 000. Il y a dix ans, le HCR gérait onze camps. Il n’y en a plus que deux, Nyarugusu et Mtabila. Dans le second, on trouve les Burundais qui ont fui les massacres de 1993, au cours desquels 200 000 Tutsis furent tués. Certains d’entre eux sont d’anciens combattants. Des élections sont prévues cette année au Burundi. Le haut-commissaire craint leur effet déstabilisateur, et souhaite plus de garanties de la part des autorités tanzaniennes sur le fait que personne ne sera forcé à partir sans qu’on ait vérifié sa situation.

En Tanzanie, 58 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour, et 38 % des enfants souffrent de problèmes de sous-alimentation. Malgré tout, le pays a été généreux. António Guterres appelle la communauté internationale à aider le HCR et à suivre l’exemple de la Tanzanie. Sera-t-il entendu ?

Par Teresa de Sousa dans Público le 20/05/2010

Le Burundi, pays d’origine de quelque 160 000 personnes naturalisées en Tanzanie, s’apprête à entrer dans une période électorale. L’élection présidentielle aura lieu le 28 juin 2010. Un contexte peu propice à un éventuel retour des réfugiés dans leur pays d’origine. La plupart d’entre eux ont fui le pays au cours des treize années de guerre civile, de 1993 à 2006. Si la rébellion a, depuis, déposé les armes, les affrontements peuvent reprendre en cas d’élection contestée.

Transmis par Linsay



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