Où l’on reparle de races

lundi 10 décembre 2007
popularité : 4%

En débordant du champ strictement médical, la recherche génétique prend le risque de raviver des thèses racistes largement discréditées.

Quand les scientifiques ont décodé pour la première fois le génome humain, en l’an 2000, ils se sont empressés d’y voir la preuve de la remarquable similitude de l’humanité. L’ADN de deux personnes prises au hasard, notaient-ils, est identique à au moins 99 %. Mais la recherche se penche aujourd’hui de plus en plus sur la petite proportion restante pour expliquer les différences entre personnes originaires de continents différents. Des chercheurs ont ainsi identifié récemment les infimes variations dans l’ADN qui expliquent la couleur de peau des Européens, la tendance des Asiatiques à moins transpirer et la résistance des Africains de l’Ouest à certaines maladies.

Dans le même temps, l’information génétique s’échappe des laboratoires pour pénétrer dans la vie de tous les jours, assortie du message que les gens d’origines différentes ont des ADN différents. Les tests de généalogie génétique permettent à ceux qui s’y soumettent de savoir quel pourcentage de leurs gènes vient d’Asie, d’Europe, d’Afrique et des Amériques. Le BiDil, un médicament contre l’hypertension artérielle, est commercialisé exclusivement pour les Africains-Américains, qui semblent génétiquement prédisposés à répondre à ce traitement. Les femmes juives ashkénazes se voient proposer un dépistage prénatal pour des problèmes génétiques que l’on rencontre rarement chez d’autres populations.

Ce sont là certains des premiers effets positifs tangibles de la révolution génétique. Et pourtant, certains craignent qu’ils ne redonnent aussi de la vigueur à des préjugés raciaux discrédités depuis longtemps et qu’ils ne compromettent les principes d’égalité de traitement et de chances, qui reposent sur la présomption que nous sommes tous égaux à la naissance.

L’idée que la notion de race a un fondement génétique commence à circuler sur des blogs généralistes, à l’université et parmi le nombre croissant de personnes qui effectuent des tests de généalogie. Du fait de l’omniprésence de l’ADN, semble-t-il, beaucoup de ceux qui rejetaient auparavant cette possibilité – ou ne l’avaient même jamais envisagée – commencent à l’admettre. Des non-scientifiques vont même jusqu’à tirer de nouvelles informations biologiques des conclusions extrêmement hypothétiques sur les liens entre origine géographique et intelligence.
Le mois dernier, l’auteur du blog Half Sigma évoquait une étude récente établissant un lien entre plusieurs segments d’ADN et un QI élevé. Une base de données génétiques utilisée par la recherche médicale, assurait-il à ses lecteurs, montrait que deux de ces segments étaient plus fréquents chez les Européens et chez les Asiatiques que chez les Africains.

Peu importe que le lien entre le QI et ces bouts d’ADN n’ait pas été confirmé, que d’autres segments liés à un QI élevé soient plus fréquents chez les Africains, que des centaines, voire des milliers d’autres segments puissent aussi être liés à l’intelligence ou que leur influence soit insignifiante comparée aux facteurs environnementaux. L’existence même de ces différences génétiques, proclame l’auteur du blog, un développeur de logiciels de 40 ans, signifie que “la théorie égalitaire”, selon laquelle toutes les races sont égales, est fausse.

Très peu des fragments du génome humain qui varient d’un individu à l’autre ont pour l’instant été liés à des traits physiques ou comportementaux, mais les scientifiques ont découvert qu’environ 10 % d’entre eux sont plus communs chez certaines populations et qu’ils peuvent permettre de distinguer différents groupes humains. Etudier ces différences, qui sont apparues au fil des dizaines de milliers d’années au cours desquelles les populations humaines ont évolué sur des continents séparés après la dispersion de leurs ancêtres à partir du berceau de l’humanité en Afrique de l’Est, est à leurs yeux essentiel pour établir les bases génétiques de certaines maladies.

Nombre de généticiens répugnent à envisager les implications de leurs découvertes pour la société. Certains d’entre eux reconnaissent toutefois que leur discipline, dont le champ dépasse désormais la recherche médicale, vit “un moment très délicat et dangereux”, comme le dit l’un d’entre eux. “Il existe des différences nettes entre gens d’origines différentes”, convient Marcus Feldman, professeur de sciences biologiques à l’université Stanford. “On n’en a pas encore mis en évidence pour des choses comme le QI, mais je vois venir le moment. Cela pourrait très bien déclencher une nouvelle ère de racisme, si nous ne faisons pas l’effort de mieux expliquer les choses.” Feldman juge qu’il sera vraisemblablement extrêmement difficile de trouver des liens entre génétique et intelligence. Prenant néanmoins en compte cette éventualité, il souhaite créer des “équipes de réaction rapide” composées de généticiens, qui seraient chargées de nuancer des découvertes aussi explosives sur le plan social.

Certains spécialistes craignent que l’autorité acquise par l’ADN ne pousse les gens à privilégier l’explication génétique par rapport à toutes les autres pour expliquer les différences entre groupes humains. “J’ai passé les dix dernières années à étudier le degré de variabilité génétique qui existe entre populations”, commente le Dr David Altshuler, directeur du Programme de génétique médicale et des populations à l’institut Broad de Cambridge, dans le Massachusetts. “Mais, quand on vit aux Etats-Unis, on voit bien que les différences économiques, sociales et en termes d’éducation ont nettement plus d’influence que les gènes.”

Accepter l’idée de différences génétiques pour pouvoir y répondre

Renata McGriff, une Africaine-Américaine de 52 ans consultante dans le domaine de la santé, encourageait jusqu’à présent ses clients noirs à communiquer leurs informations génétiques aux chercheurs. Aujourd’hui, dit-elle, elle envisage, avec d’autres Africains-Américains, de “cesser de participer à la recherche génétique jusqu’à ce qu’il soit clair que la science ne servira pas à conforter des préjugés”.

Des milliers de débats de ce genre ont eu lieu à la suite des propos du généticien James Watson [codécouvreur de la structure de l’ADN et lauréat du prix Nobel de médecine en 1962], qui a déclaré en octobre dernier que les Africains sont par nature moins intelligents que d’autres groupes humains. Watson a par la suite présenté ses excuses et démissionné de son poste au laboratoire de Cold Spring Harbor, à New York. Mais l’incident n’a fait qu’ajouter aux craintes que la société ne soit pas prête à gérer les conséquences de recherches qui révéleraient des différences appréciables entre populations concernant des gènes influant sur des caractéristiques comportementales importantes.

Même parmi les gens qui se disent de gauche, certains estiment qu’il est essentiel d’accepter l’idée de différences génétiques entre groupes humains afin de pouvoir y répondre sur le plan politique. D’autres espèrent que les découvertes génétiques permettront de prendre à rebours les préjugés sur la supériorité raciale. Quoi qu’il en soit, au vu des débats que suscite la question – d’habitude taboue – des liens entre génétique et race, certains suggèrent que l’on admette l’existence de différences innées, mais que l’on n’en tienne pas compte à un certain niveau. “Quelles que puissent être ces variations génétiques, il est de notre devoir moral de traiter tous les êtres humains comme étant égaux devant Dieu et devant la loi”, écrivait ainsi Perry Clark, 44 ans, sur un blog du New York Times. Il n’est pas nécessaire, poursuivait Clark, un médecin du Kansas, de continuer à feindre que les différences innées n’existent pas.

Par Amy Harmon dans The New York Times du 06/12/2007

Transmis par Linsay



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur