Hé bêê oui, le monde « MEUH »

Marseille accepte l’invasion « pubovine » de la Cow-Parade
mardi 7 août 2007
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Depuis le 11 juin et jusqu’au 11 octobre 2007, les Marseillais-es se retrouvent dans la rue, nez-à-nez avec un troupeau de vaches peinturlurées.

Mauve

Après Londres, Barcelone, Tokyo, New York, Bruxelles, Paris et d’autres luxuriants pâturages, la « Cow-Parade » envahit les lieux publics de Marseille qui selon son sénateur-maire, « devient le musée à ciel ouvert de cette grande exposition culturelle internationale » !

Pour les organisateurs de cette invasion « pubovine » rebaptisée « Marseille and Cow », plusieurs objectifs affichés :
- « promouvoir l’art contemporain dans la rue en l’abordant avec humour et fantaisie »,
- « réconcilier le commerce et l’art, la commande et la création »,

mêê « le concept de la COW PARADE ne se contente pas d’une promotion décapée de l’art
contemporain, c’est aussi un événement à but caritatif ».

Sous les pis de la vache à lait, « cow-ment » ça marche :

Pour la modique somme de 7500 euros hors-taxe, chaque sponsor privé (entreprises locales, nationales, internationales, commerçants, médias, particuliers) ou institutionnel aura droit à :
- Choisir le modèle broutant, marchant ou couché d’une vache en fibres de verre, vierge de toute décoration.
- Sélectionner l’artiste de son choix ou parmi les artistes dont les projets figurent dans le book concocté par les organisateurs sur appel à candidatures.
- Etre présent dans le catalogue officiel et sur la carte géographique de l’exposition distribuée gratuitement et reprenant le parcours des vaches en ville, sur le site internet de « Marseille and Cow ».

Une fois l’animal relooké, il est exposé pendant trois mois dans des lieux d’affluence (touristiques et commerciaux) de commun accord avec son propriétaire et les organisateurs. L’attention des artistes a d’ailleurs été attirée sur l’importance de penser aux facteurs solidité et sécurité car « Marseille & Cow est un événement interactif qui permet au public d’approcher et de ressentir le design des vaches ».

Fin octobre, les propriétaires de certaines de ces « Å“uvres » seront sollicités pour une vente aux enchères dont 50% des bénéfices seront reversés à l’association « Pour le Fil d’Ariane » qui vient en aide aux enfants hospitalisés dans les établissements marseillais. En plus de la publicité supplémentaire dont ils bénéficieront, les gentils-sponsors-propriétaires participant à cette « opération caritative » se verront rétribuer de 25% du produit de la vente. Les 25% restant étant réservés aux gentils organisateurs qui ont déjà encaissé environ 472 500 euros lors de la première partie des transactions financières bovines (vente des 63 vaches).

Sous couvert de rendre accessible l’art contemporain et d’aider des enfants hospitalisés en difficulté, « Marseille and Cow » est avant tout une opération publicitaire et financière particulièrement lucrative organisée par la CowParade Holdings Corporation et qui se répète depuis plusieurs années dans un nombre important de villes dans le monde entier.

Les sponsors et les publicitaires maximisent leur visibilité, à moindres frais, en colonisant l’espace public qu’ils n’avaient pas encore pu atteindre et en créant un précédent qu’ils ne manqueront pas de réitérer. La Ville de Marseille complice de cette publicité camouflée et non-taxée qui s’expose dans nos rues va bénéficier de trois mois d’animation gratuite et médiatisée qui lui offriront des retombées positives en termes de fréquentation touristique, d’impact économique et peut-être le titre tant désiré de capitale européenne de la culture.

Vache tirelire

Libéralisation larvée du secteur non-marchand

Quand le caritatif devient rentable pour les sponsors :

S’il est louable de vouloir soutenir une jeune association locale qui accompagne les enfants hospitalisés et offre des structures d’accueil aux familles éloignées, cela l’est moins de laisser le secteur social servir d’alibi aux bénéfices financiers d’une bande de commerciaux déguisés en philanthropes d’intérêt public. Quant au fait de supputer sur les recettes aléatoires d’une vente aux enchères pour en octroyer la moitié à une association caritative n’est ce pas un peu comme si le secteur social jouait en bourse pour s’autofinancer ?

Le désengagement des pouvoirs publics oblige de nombreuses associations à se tourner vers des financements privés pour répondre aux besoins les plus élémentaires de la société. Si les enchères de « Marseille and Cow » rapportent, ne leur sera-t-il pas plus facile d’imposer la tendance actuelle qui est de réduire les subventions publiques afin d’inciter le secteur associatif à se faire financer par le privé ?

Hamburgerisation de l’art :

Le langage médiati-cow voudrait nous faire croire que des entreprises désintéressées font du soutien artistique.

Artistes utilisés comme des faire-valoir rarement sollicités pour s’exprimer sur ce qui est présenté comme leurs Å“uvres. Artistes qui ont chacun reçu, tel un croquis à colorier pour enfant, leur vache à peindre après que leur projet considéré comme « conforme à l’esprit de la manifestation » ait reçu l’accord des organisateurs. Artistes qui peuvent décorer la vache à leur guise sans en altérer « l’intégrité structurelle » ni en modifier les sabots qui permettent de fixer l’animal sur son socle. Artistes dont le nom (limité à 40 caractères) figurera sur la plaque commémorative fixée sur le socle de son Å“uvre dont il a transféré l’ensemble des droits à « Marseille & Cow » qui devient propriétaire des droits qui y sont rattachés. Pour être en droit de proposer un projet, les artistes doivent donner « la permission aux organisateurs de reproduire leur oeuvre ou design sur des supports officiels promotionnels ainsi qu’il est établi par la pratique internationale de la Cow Parade, incluant mais sans s’y limiter : des miniatures en porcelaine, des jouets en peluche/tissu, des vêtements, des tasses, des tapis de souris, des parapluies, des couvertures, des cartes e-mail, etc. »

Cette exposition d’objets préfabriqués qui a la prétention de faire partager l’art contemporain au plus grand nombre est une aliénation de la créativité artistique par la réduction du champ de possibilités. Quant à la dimension prétendument artistique de ce projet, la grosse vache à lait la bâillonne d’autant plus qu’elle s’est démultipliée au travers de ses cowpines les vaches miniatures qui représenteraient jusqu’à 40 % des ventes de certains revendeurs de souvenirs. Ou qui offrent leur charme bovin sur internet sous le nom de « XX larges cows » ou « mini cows » (85ââ€Å¡¬ en moyenne) et qui se pavanent sur les paillassons cow-parade (31ââ€Å¡¬) en nous invitant à « regarder les vaches autrement »

Quand la culture devient une marchandise :

Meuh voyons, braves citoyen-ne-s, grâce à « Marseille and Cow », l’art de la rue vient à votre rencontre. C’est pour votre bien que cette manifestation culturelle a été (démocratiquement ?) décidée. Pour les néophytes qui confondent ces Å“uvres d’art avec des pancartes publicitaires au point de les vandaliser ; pour les peu cultivés incapables de reconnaître la beauté dans les pièces de cet échiquier de la rentabilisation ; il était grand temps qu’ils soient confrontés à une Å“uvre d’art contemporain. Quant à ceux qui ne vont jamais au musée, « la ville qui bouge pour ses citoyens, toujours en quête d’une expression culturelle accessible au plus grand nombre » a transformé Marseille en musée à ciel ouvert.

Ceux qui se prosternent devant le veau d’or voudraient nous faire croire que transformer les lieux publics en étable à bovidés bariolés par des peinturlureurs inspirés serait une forme d’art qui permettrait de rendre la culture accessible au peuple. La culture, qui nous est imposée ici est à l’image de ces animaux qui symbolisent l’abondance et le vide cérébral !

Veau d’or

La culture, de belles parts de marché en perspective ! Mais pour toucher ce marché le plus largement possible il faut maquiller la belle aux couleurs de la rentabilité. Et pour cela, la formater, la standardiser, faire rentrer les Å“uvres de l’esprit dans le moule du marketing bienséant et bienpensant. Passer les singularités et les différences à la javel de la normalisation marchande et les esprits à la moulinette de l’uniformisation.

Atteints du syndrome de Procuste [1], ils ont oublié (ou n’ont jamais su ?) que la culture n’est pas un Organisme Génétiquement Modifiable. Que les valeurs de l’esprit qui sont les siennes ne se vendent pas en bourse mais se transmettent gratuitement car elles ne se conjuguent pas au verbe avoir, mais se déclinent sur le registre de l’être.

N’en déplaise à ces marchands de culture, nous sommes des êtres, des homos sapiens (hommes qui pensent) et pas des vaches broutant dans leur pré privatisé !
La cow-hue que provoque cette culture pour ruminants, est un appel à l’émeuh-te !

dossier presse
Dossier artistes

[1Procuste était un brigand qui arrêtait les passants sur la route de Thèbes et les allongeait sur son lit. Pour les mettre tous à taille unique, il coupait les membres qui dépassaient aux plus grands et écartelait les petits.



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jeudi 9 août 2007 à 10h08

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