A Beit Hanoun, ce sont nos cadavres

dimanche 19 novembre 2006
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“Les morts s’ajoutent aux morts, les ruines aux ruines. Le drame de Beit Hanoun n’est que l’ordinaire.” Ce texte de l’écrivain Abdallah Aouad a été publié dans les colonnes d’Al-Ayyam, le quotidien de Ramallah

Eux... Nous... Un cadavre de fillette... Une chaussure... Celle-ci suggère qu’il y a un enfant enseveli sous les décombres de la maison, qu’il suffirait peut-être de déblayer un peu pour le sortir de là... Un cadavre de femme... Un vieillard gémit puis laisse échapper son dernier souffle... Un long filet de sang frais... Celui de cet autre vieux qui a rampé pour se mettre à l’abri après avoir été touché par une première balle... Une deuxième balle a fini de le saigner... Son âme s’en est allée... Comme s’en vont nos âmes...

Elles quittent nos corps, laissant derrière elles vingt cadavres à Beit Hanoun, cinq autres à El-Yamoun, encore un à Jabaliya, et un encore en attente... Ames qui n’ont de cesse que de s’en aller, de quitter nos corps, depuis qu’est né le Palestinien sur cette terre, il y a un siècle. Le Palestinien qui n’a cessé de se voir voler son âme, tantôt au détail, tantôt en gros. Le Palestinien qui n’a d’autre choix ni d’autre voie que de traîner derrière lui la longue file de ses morts.

Ce sont nos cadavres... Nos corps éclatés aux quatre vents... Et sur nos corps, notre sang... Et sur ce sang, les ruines de nos demeures. Simple routine pour nos assassins... Simple routine pour l’occupant... Nous tuer, nous tuer encore et encore nous tuer. Ils viennent au monde sur nos tombes, ils grandissent en nous assassinant, ils vivent leur vie en nous prenant la nôtre, et ils décèdent sur nos cadavres. Cela a commencé ainsi et ainsi cela se terminera. Ils n’auront de cesse de nous liquider.

Il y avait une maison, là une mosquée, là un jardin

Encore une balle, encore un obus, encore une roquette, encore un cadavre, encore une voiture calcinée, encore du sang... Encore un corps qui donne son sang, pour peut-être reculer un peu l’instant où la vie s’en ira de tel corps touché par un éclat d’obus, ou de tel autre atteint par une balle, ou encore de tel autre déchiré par un tir de roquette. Quelle différence entre la mort des uns et celle des autres ?....

Un mort ici, deux là-bas, dix plus loin, cinquante de nouveau ici... Tous tombent victimes de l’occupation. C’est tout ce que désire l’occupant : nous éliminer. Et il n’y a pas d’heure pour nous inoculer la mort... A l’aube à El-Yamoun, tôt le matin à Beit Hanoun, en plein midi à Jabaliya, en soirée ailleurs... La mort n’a pas d’heure, c’est bien connu... C’est vrai pour tout être vivant... Mais pour nous, c’est l’occupant qui décide de l’heure de notre mort. Un instant, c’est une fillette qui joue... L’instant d’après, c’est une main qui dépasse des décombres de ce qui fut sa demeure...

Ici, il y avait une maison, là une mosquée, là un jardin, là la cour de récréation d’une école... Nous sommes à Beit Hanoun... Là était la boulangerie... Ici se dressait un poteau électrique... Là une autre maison... Ici se trouvait la maternelle... Puis l’occupant a servi une deuxième ration ! Après le premier déluge de fer et de feu, les habitants sont revenus dans leur petite bourgade sinistrée.

Ils sont revenus reprendre possession des restes de ce qui était leur chez-eux, pour pleurer la destruction de leurs maisons, pour se lamenter sur leurs maigres biens éparpillés, pour voir comment l’occupant avait bouleversé leur vie, pour prendre connaissance de ce qu’ils n’avaient pu imaginer, même dans leurs plus sombres cauchemars... Qui pour voir son enfant chercher son cartable dans les décombres de sa chambre... Qui pour fondre de nouveau en larmes au spectacle de la fillette du voisin appelant sa poupée au milieu des ruines... Qui pour partager le chagrin de toute une famille assise dans les décombres de sa maison, fruit du travail de toute une vie.

Ils se sont endormis pour ne plus se réveiller

Ils sont rentrés le soir venu. Ils ont pleuré jusqu’à ce que tarissent leurs larmes... Ils se sont endormis... pour ne plus se réveiller. Les obus et les roquettes guettaient leur premier sommeil pour s’abattre sur eux et sur ce qui restait de leur chez-eux... Pour finir de les éliminer. Le lendemain, avant l’aube... Nouvelle journée, nouvelle boucherie. Maisons éventrées, effondrées sur leurs occupants, pans de murs maculés du sang des habitants, corps déchiquetés... Les morts s’ajoutent aux morts, les ruines aux ruines. Le drame de Beit Hanoun n’est que l’ordinaire de ce que l’occupant réserve aux enfants de cette terre.

Transmis par Linsay

Le 2 décembre journée mondiale pour la Palestine et contre le blocus de Gaza...



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