Atlantisme : l’Algérie face au piège

dimanche 11 mars 2007
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L’Algérie va-t-elle échapper au harcèlement des cercles bellicistes des USA ? La déclaration du Ministre des Affaires étrangères, le 2 mars dernier, pourrait le laisser entendre. Démentant l’existence de bases militaires américaines en Algérie, il affirmait surtout qu’une telle hypothèse ne serait pas conforme à la souveraineté et aux intérêts de l’Algérie.

Certes, la mise au point mérite inventaire, parce qu’elle est limitée à un seul aspect d’un problème plus vaste. Le problème des bases, partout dans le monde, n’est que la forme la plus visible des situations de dépendance, c’est la moins acceptable par les opinions publiques. Pour parler crûment, aucun Algérien ne souhaite, pour des bases implantées sur son sol, être un jour aux premières loges d’un conflit mondial, pas plus qu’il ne souhaite devenir un Irak de l’Afrique. Cette question néanmoins ne peut occulter d’autres formes de coopération et de dépendances plus ou moins imposées et souhaitables.

L’insistance à faire adopter par l’Algérie diverses activités liées directement ou non à un commandement unifié US pour l’Afrique ou à d’autres montages économiques, politico-militaires et culturels, fait partie d’un arsenal diversifié. Toutes ces variantes visent à engouffrer nos instances nationales et notre peuple dans des entreprises dont elles ne partagent ni la finalité ni les modalités. Surtout que, ce n’est un secret pour personne, les états-majors de l’empire américain sont loin, très loin de considérer le monde arabe et l’Afrique comme des sujets à respecter. Ils restent persuadés dur comme fer que le rôle de nos pays est d’être les objets, consentants ou non, de leur stratégie planétaire.

Il était temps

Aussi l’argument de bon sens et d’intérêt national délivré par le ministre des Affaires Etrangères étend-il sa pertinence bien au-delà de la question des bases. Il va au devant d’une grande aspiration à la paix et à la sécurité d’un peuple meurtri par les épreuves coloniales et post coloniales.

Au-delà des choix politiques et idéologiques légitimes des uns et des autres, le refus des plans de l’OTAN et de l’hégémonisme des USA est d’abord un besoin vital, largement partagé. Assez de guerres et de souffrances, alors que d’autres voies sont possibles ! Il était temps, avec plus d’efficacité que le cri d’espoir déçu du peuple d’Alger en été 1962, de dire calmement et fermement : Qarn wa sab’yin sna, barakat ! [1] Cent soixante dix années de guerres et de violences politiques et morales, c’est amplement suffisant. A la proclamation de Boumediène « Les musulmans ne veulent pas aller au Paradis le ventre creux », il était temps d’ajouter qu’ils souhaitent en finir avec l’Enfer des guerres de hogra [2] sur Terre. Si les bellicistes US tiennent à s’enfoncer dans LEURS guerres de rapine, qu’ils le fassent seuls. Qu’ils ne comptent pas sur nous pour renoncer de bonne grâce à notre souveraineté nationale, ni pour nous désolidariser des peuples frères ou des peuples plus lointains qu’ils agressent avec sauvagerie.

Dans la situation internationale critique actuelle, notre ministre des AE ne pouvait rester en retrait à l’heure où les actes barbares et les scandales submergent la politique des agresseurs de plus en plus désavoués par leurs propres compatriotes aux USA. Il ne peut en être autrement à l’heure des menaces imminentes brandies contre l’Iran. On comprend l’écho mondial de l’avertissement de Vladimir Poutine, lorsqu’il indique qu’il y a des limites à tout. Façon de marquer que le monde a évolué depuis les lamentables génuflexions de Eltsine et le pillage éhonté d’un grand peuple que la marionnette des USA et sa maffia pro-impérialiste avaient dévalisé.

Face aux mêmes mécanismes

Il était temps effectivement de signifier aux initiateurs de l’aventure-catastrophe dans laquelle les faucons des USA cherchent à nous entraîner, que le dernier mot doit rester à chaque Etat et peuple concerné. Surtout quand la nature de cette aventure est démasquée d’avance par les réalités.

Il s’est bien avéré que la finalité principale de la politique atlantique n’est pas tant de mettre un terme au phénomène mondial du terrorisme à sa racine. En maintes occasions les services des USA ont souvent inspiré et manipulé ce phénomène. Ils qualifient également de terroriste toute résistance légitime à l’occupation et à la tyrannie, et ils utilisent cet amalgame pour légitimer leurs agressions. Par-dessus tout cela, leur prétention d’efficacité est démentie par les faits. La façon US de combattre les manifestations les plus négatives d’un terrorisme abject et condamnable n’est pas l’exemple à suivre. Les croisades de l’OTAN, par leur caractère d’incohérence et de brigandage, n’ont fait que disséminer les nuisances terroristes à travers le monde à partir des foyers initiaux qu’il était primordial de circonscrire par les solutions politiques adéquates.

Les actes sont en contradiction flagrante avec les proclamations. D’un côté les grands discours messianiques sur les « valeurs » atlantiques, évitant les questions centrales qui fâchent et de l’autre, quotidiennement, les centaines de morts civiles, de destructions d’habitations, de biens matériels et d’atteintes aux droits humains. La cible des faucons atlantiques, leur objectif véritable est apparue, même aux plus naïfs, de faire barrage aux peuples et nations en quête de liberté et d’indépendance. L’objectif était et demeure de briser les mouvements de libération et de justice sociale, perpétuer et étendre les situations de domination et d’exploitation.

Les peuples et même certains gouvernants d’Afrique et du Monde arabe, connaissent le sort fait ou annoncé par l’OTAN aux peuples de Yougoslavie, de Palestine, d’Irak, du Liban ou d’Iran. Ils n’ont aucune envie d’être à leur tour victimes de la nouvelle doctrine de l’OTAN proclamée au milieu des années 90, puis aussitôt mise en Å“uvre par l’extension et une plus grande articulation des rouages militaires américano-européens. Partout où sont mis en place des mécanismes associés de près ou de loin au projet global atlantique, c’est irrévocablement, à court ou moyen terme, l’escalade des tragédies et de la dépendance, l’engrenage des violences et des ruines. C’est l’annonce programmée du démantèlement des Etats nationaux à la faveur des stratégies de divisions ethniques, linguistiques, religieuses ou idéologiques, érigées en instruments de démolition de tout ce qui aspire à vivre avec un minimum de paix, de liberté, de bien-être, de concorde et de respect interethnique ou interconfessionnel.

Raisons nationales et internationales d’union vigilante

Pourquoi la déclaration récente du ministre des affaires étrangères vient-elle également à point ? Parce que le pilonnage médiatique et diplomatique des USA n’avait reçu jusqu’ici aucune réponse sans équivoque, tant des milieux officiels que d’une partie de la presse. La question est pourtant d’une haute sensibilité. Il fut une époque de dignité dans notre pays où les allusions ou injonctions proférées sans vergogne par des officiels américains, les rumeurs qui pouvaient à juste titre interprétées comme une inféodation suspecte, auraient immédiatement soulevé une tempête de protestations et de fermes mises au point.
Les temps à venir valideront-ils ce démenti bienvenu. ?

Il faut le souhaiter, car les capacités de résistance, potentiellement énormes, sont encore fragiles. On en a eu un exemple il y a un an, avec la décision unilatérale de renoncer à la souveraineté nationale sur les hydrocarbures algériens. Décision si contraire aux intérêts nationaux, tellement inexplicable d’un simple point de vue économique, même aux yeux de régimes arabes conservateurs et inféodés à l’impérialisme, qu’elle a été, heureusement, rapportée. Non sans laisser en suspens des questions sur lesquelles la population, les syndicats, les cercles politiques et les institutions étatiques gagneraient à être mieux informés et écoutés.

Car, les comportements des monopoles pétroliers et ceux du complexe militaro-industriel des USA sont fortement imbriqués. Il est impossible de séparer les questions de sécurité et de paix des questions de souveraineté nationale sur les ressources énergétiques. Si vous vous interrogez sur les raisons pour lesquelles on invoque les différences de civilisation pour allumer de nouveaux foyers de guerre, n’allez pas chercher bien loin. Si vous voulez savoir pourquoi un certain nombre de peuples et leurs gouvernants sont diabolisés par des cercles impérialistes et leurs plumitifs, jusqu’à se faire traiter d’indésirables et de graines de « terroristes » dans leurs propres pays, interrogez seulement Samuel Huntington.

Il vous l’expliquera lui-même, en dévoilant dans son ouvrage à la fois le seul dieu qu’il révère et son instrument sacré. Derrière le fatras laborieux des considérations sur la primauté des valeurs judéo-chrétiennes, il affirmait crûment que le but suprême doit être « les intérêts des USA tels que l’Histoire les a constitués » (p 346). Quant à l’instrument de ce postulat qui n’admet aucune contestation, c’est l’organisation de l’OTAN, que selon lui, il importe à tout prix et dans les meilleurs délais de mettre en état de remplir sa mission (p 346 et suivantes). Message bien reçu, sinon inspiré, par le Pentagone et la haute finance mondialisée.

Partout dans l’arc de crise mondial dessiné par l’administration des USA, trois cartes géographiques se superposent et coïncident parfaitement : la première est celle des ressources en hydrocarbures confirmées ou probables (avec leurs voies d’acheminement) ; la seconde carte est celle de l’ implantation militaire existante (ou projetée) des contingents euro-américains liés directement ou non à l’OTAN ; la troisième est la carte des peuples que la théorie débile du choc des civilisations classe parmi les ennemis potentiels immédiats ou futurs de la soi-disant unique civilisation porteuse de valeurs respectables.

Les peuples qui dérangent, parce qu’ils sont porteurs d’une résistance légitime déjà à l’Å“uvre ou potentielle, ce sont en premier lieu les peuples musulmans que la Nature a fait vivre sur des champs immenses de gaz et de pétrole. Mais aussi d’autres pestiférés que les « experts » en civilisations, plus Croisés que chercheurs, ont exclu de la civilisation « élue » : les peuples chrétiens orthodoxes et autres asiatiques. Voila pourquoi, en plus de l’islamophobie endémique, on cherche auprès de l’opinion occidentale, à semer la peur et la méfiance envers Russes, Chinois et autres ressortissants de puissances susceptibles de résister à l’hégémonisme atlantique.

Fondements et possibilités d’une résistance

Il est vrai, à la décharge de la plupart des gouvernants arabes et politiciens conservateurs actuels, que leur position n’est pas facile face aux chantages et aux lourdes menaces auxquelles ils sont confrontés. La superpuissance d’Outre Atlantique est allergique à la moindre velléité d’autonomie, résolue à laminer par la violence ou faire fondre par la corruption les obstacles qui barrent la route à sa domination absolue sur les peuples et les ressources.

Certains de nos gouvernants et politiciens, quand ils ont gardé la fibre humaine ou nationale, s’accrochent au fragile espoir qu’en « embrassant la main qu’ils ne sont pas en mesure de mordre », ils garderont quelque chance de se maintenir au pouvoir ou d’y accéder. Ils oublient plusieurs choses qui pourraient, s’ils les prenaient en considération, être aussi salutaires à la nation qu’à eux-mêmes. Ces enseignements ont été confirmés aussi bien par la résistance des peuples du Proche et Moyen Orient aux agressions, que par la mobilisation des peuples d’Amérique Latine qui ont commencé à imposer leurs aspirations par des voies pacifiques.

Les enseignements se résument en un seul : la résistance efficace est celle qui s’appuie sur une mobilisation nationale active et consciente, expression et émanation d’une majorité de la population et du pays profond. Ce n’est pas une question de taille face à un géant, comme le croient à tort ceux qui justifient la passivité en s’estimant trop petits ou trop faibles. Pourquoi donc et comment, la petite Cuba, face à son voisin immédiat des USA qui ne rêvait que d’en faire une bouchée, a tenu le coup bien que privée depuis quinze ans du puissant soutien du système socialiste mondial, se payant y compris le luxe malgré sa pauvreté, de fournir enseignants et médecins de qualité à d’autres Etats ? Comment expliquer que le peuple palestinien, parfois abandonné ou trahi par ses Etats voisins, est toujours là avec ses revendications nationales et populaires demeurées vivantes et enracinées dans les nouvelles générations au bout de soixante ans de dures confrontations avec « l’invincible » coalition mondiale impérialo-sioniste ? Pourquoi et comment l’agression d’une des plus puissantes armées du monde a été mise en échec l’été dernier par le peuple du « petit » Liban ?

Il y a une raison à cela, même si elle apparaît comme le paradoxe des paradoxes, aux nombreux dirigeants des Etats du monde arabe. Ils croient que pour édifier et préserver un Etat fort, la solution miracle et incontournable réside dans l’art de maintenir à perpétuité des « états d’urgence », de manipuler les élections et de « redresser » les partis politiques. Comment expliquer que les plus grands succès face aux agresseurs et occupants ont été obtenus justement dans les pays où se sont déroulées des élections libres, démocratiques, dont la régularité n’a été contestée par personne, ou bien là où les promesses d’égalité ont été suivies de réalisations de justice sociale effectives en faveur des travailleurs et des pauvres malgré les dures conditions de blocus économique ? Comment expliquer que les USA ont perdu leur capacité d’intervenir militairement et directement contre les pays d’Amérique latine qui ont réussi à faire prévaloir des processus démocratiques incontestés, alors qu’ils étaient il y a peu la chasse gardée de l’Oncle Sam et de ses dictatures militaires sous-traitantes ?

Une démarche salutaire peut elle émerger ?

L’idéal serait que les dirigeants et les bases sociales et politiques de nos pays en quête d’indépendance et de développement convergent dans des approches concrètes réellement démocratiques.

Que les dirigeants, en particulier ceux qui souhaitent « durer » tout en faisant Å“uvre utile, comprennent plusieurs choses aussi profitables à la nation qu’à eux mêmes. L’une d’elles est qu’ils ont contribué à créer la fragilité dont ils se plaignent ; que cette fragilité ne peut servir d’alibi pour s’enfoncer dans de nouveaux glissements vers la dépendance génératrice de plus grands chaos ; qu’enfin la voie du salut collectif se trouve non dans le pluralisme de façade et l’électoralisme « assisté » par voie de quotas et de truquages, mais dans les orientations et les pratiques démocratiques réelles. Celles qui rendent aux gens le sens et le goût de la parole et de l’action responsables.

Quant à ceux qui constituent la base sur laquelle repose en dernier ressort le succès ou l’échec, l’avenir qu’ils souhaitent est en grande partie entre leurs mains. Ce sont les acteurs sociaux et politiques quotidiens où qu’ils se trouvent, associations, syndicats, partis et citoyens inorganisés.
- Qu’ils n’attendent pas du ciel ou de leurs hiérarchies organiques que leur soient ouvertes les voies de l’action, des initiatives, de la dynamique sociale, des recompositions et des structurations bénéfiques.
- Qu’ils ne confondent pas l’action et les projets politiques authentiques et au long souffle, avec les enjeux de court terme, les stériles compétitions conjoncturelles pour des pouvoirs et strapontins de pouvoirs.
- Qu’ils valorisent le travail persévérant capable de faire mûrir dans la société la volonté politique constructive d’union et de paix, comme ce fut le cas pour le tournant décisif de la guerre de libération en Décembre 1960, quand tout semblait pour nombre de dirigeants tourner à l’impasse. L’impulsion irremplaçable et multiforme de la base et du pays profond est seule capable
d’isoler ceux qui tenteraient d’enchaîner notre pays au char atlantique de la guerre contre les peuples.

Les choses seront en bonne voie lorsque l’évidence suivante aura émergé des longues expériences malheureuses : la force des oppresseurs réside moins dans leur propre puissance militaire ou autre, que dans la division des opprimés et des exploités. La force principale des opprimés réside dans leur action unie, à travers diversité et divergences.

L’Algérie ne manque pas d’atouts, matériels et humains. Tout en se protégeant, elle est en mesure, par le poids de son histoire ainsi que de ses potentialités stratégiques, de contribuer à rapprocher un peu plus les courants régionaux et mondiaux soucieux de paix, de développement, de démocratie et de justice sociale. Elle ferait ainsi mieux face aux périls internes ou environnants. Elle affronterait mieux la montée régionale des dangers de division et de chaos, les intolérances nationalistes et confessionnelles et toutes les formes de haine entre les peuples, érigées en instruments d’hégémonie.

L’Algérie a de grands atouts, à condition de surmonter et corriger son déficit démocratique. Ce mal pernicieux n’a cessé de la ronger. Il a gravement interrompu son essor dans tous les domaines sans exception, hormis ceux du pompage pétrolier et gazier, des circuits débridés d’importation et de l’inflation de projets et proclamations violemment démentie par les faits.

Article paru dans le Quotidien d’Oran du 8 mars


[1Cent soixante et dix ans ça suffit !

[2hogra : mépris en arabe



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mardi 20 mars 2007 à 11h36 - par  tewfik

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