Il y a un projet pour Marseille (I)
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Il y a un projet pour Marseille, un projet qui vient de loin et régulièrement revient à la surface tel une serpent de mer : débarrasser la ville de ses pauvres, ses immigrés et en faire une ville bourgeoise. Si vous doutez de la justesse d’une telle accusation il vous suffira pour vous en convaincre de lire les déclarations publiées dans Psycho géographie.
Depuis Louis XIV le pouvoir se méfie des marseillais ...et on le comprend. C’est tellement vrai que si comme dans beaucoup de ports, l’entrée est encadrée par deux forts (St Jean et St Nicolas) les canons eux, au lieu d’être tournés vers la mer pour prévenir d’une éventuelle invasion, sont tournés vers la population dont on craint en permanence la rébellion.
N’oublions pas que la révolution française a démarré à Marseille par des mouvements de révolte liés entre autres à l’augmentation de prix du pain et qu’en 1789 un groupe de Marseillais est parti de la rue Thubaneau en chantant ce qui allait devenir...La Marseillaise.
Marseille fondée par des immigrés grecs a connu tout au long de son histoire un brassage de population liée à son activité et à sa situation. Ville port elle a toujours recueilli en son sein une population fuyant les guerres et la misère. Elle s’est bâtie sur ça. Vouloir remettre en cause cet état de fait c’est toucher à son identité au delà des questions humaines et sociales que cela met à jour.
Ce brassage fait qu’ici le soir on pose ses valises et le lendemain on est marseillais, reconnu comme tel et du coup l’identité marseillaise passe souvent avant l’identité nationale.
A plusieurs reprises dans l’histoire ce projet Marseillais a vu des tentatives de mise en oeuvre. On distingue nettement au moins 3 périodes :
Napoléon III.
la 2éme guerre mondiale.
l’époque actuelle.
C’est ce que les citations de l’article déjà mentionné font clairement apparaître.
Pour nous en tenir à notre époque on peut visualiser le projet comme suit,
Le document joint à cet article détaille par sa légende les différentes zones :
zone littorale de luxe,
hyper centre : zone d’affaire et d’affairisme,
zone sud ; zone bourgeoise,
quartiers nord : ghetto de pauvreté,
reste de la ville : de plus en plus dédié aux classes dites moyennes ou supérieures.
C’est ce projet qui explique que 90% des logements neufs produits à Marseille sont destinés à des revenus supérieurs à 2500ââ€Å¡¬ par mois par foyer fiscal alors que ceux-ci représentent seulement 21% des habitants de la communauté urbaine de Marseille. C’est au nom de ce projet qu’à plusieurs reprises les élus marseillais et Gaudin en tête se sont publiquement réjouis de la flambée du prix des loyers.
Pour mettre en Å“uvre ce projet marseillais les municipalités Vigouroux et Gaudin se sont appuyés sur :
des programmes cofinancés par l’Etat, la région, le département et l’Union Européenne,
des dispositifs législatifs qui donnent des avantages fiscaux aux investisseurs dans l’immobilier,
des opérateurs.
Quelques exemples qui illustrent ce projet :
Zone littorale
1.Les quais de Marseille
Vigouroux, prédécesseur de Gaudin de 1986 à 1995 avait annoncé à grand fracas ses 50 projets pour la ville. Outre le présomptueux, contestable et contesté palais de la mode [1] dont il s’était empressé de confier la gestion à son épouse, deux projets parmi les 50 illustrent la volonté de transformation de la zone littorale : celui touchant aux quais du port et Grand littoral. Pour les quais la municipalité de l’époque s’est appuyée sur un programme d’ensemble : Euroméditerranée.
Euroméditerranée
Sur le site officiel du projet il est indiqué qu’il s’agit d’« une Opération d’Intérêt National visant à faire de Marseille une métropole de premier plan au sein de la "zone de prospérité partagée" décidée par l’Union Européenne et 12 pays méditerranéens dans le cadre du processus de Barcelone » [2]Tout un programme !!.. Pour lequel sont fièrement affichés des « objectifs quantifiés
Population : accueillir 10 000 habitants supplémentaires sur le périmètre
Emplois : créer entre 15000 et 20 000 emplois en 15 ans
Programme prévisionnel (1996-2010)
1,2 million de m2 de planchers neufs :
600.000 m2 de bureaux (dont 100.000 à 5 ans)
400.000 m2 de logements (environ 4.000 logements)
200.000 m2 commerces/équipements publics
6.000 logements réhabilités
création et aménagement de 20 ha d’espaces publics (deux fois plus qu’aujourd’hui)
restructuration des infrastructures de transit (dont le viaduc du littoral)
Près de 3.05 milliards d’euros (20 milliards de francs) d’Euros d’investissement publics et privés seront engagés en 15 ans (1996 / 2010), dont la gare Saint Charles et les grands équipements « structurants » : musée, centres de formation... »
Au nom de ce projet la municipalité Vigouroux a frappé le port, poumon de cette ville qui au fil des siècles a du son développement au commerce et aux échanges maritimes avec l’Afrique et l’Orient. L’équipe Vigouroux s’était donnée comme objectif de supprimer 6 km de quais dédiés de longue date à la réparation navale et à l’activité du fret. A la place était prévue une zone dédiée à la haute plaisance avec implantation d’hôtels internationaux 5 étoiles. Si les 6 km de quais ont bien été supprimés, pour l’instant la zone consacrée au tourisme de luxe n’est pas en place.
Les nombreuses luttes des salariés du port l’ont empêché et le conflit du PAM (Port Autonome de Marseille) de l’automne 2005 avait aussi cette question au coeur (interview de Raymond Maldacéna).
2. Grand Littoral
Depuis la fin de la 2e guerre mondiale il y avait dans les quartiers nord, à proximité de l’Estaque un lot de baraquements, le bidonville Lorette, peuplé d’immigrés maghrébins que l’on avait fait venir pour assurer la reconstruction du pays. Ce bidonville n’avait jamais été « résorbé » comme ils disent. Hors le projet Vigouroux était de faire de l’Estaque un port de plaisance et de réaliser pour les futurs « estaquéens » fortunés le plus grand centre commercial d’Europe du plus haut standing possible, centre dans lequel il n’était pas évidemment pas prévu de faire travailler des gens des quartiers nord jugés sans doute trop rebelles et trop immigrés - les premières offres d’emploi furent d’ailleurs déposées à l’ANPE Louvain dans les quartiers sud à l’autre bout de la ville. La lutte en décida autrement.
Quoiqu’il en soit un bidonville à côté du « Las vegas marseillais » comme on dit ici cela faisait tâche. Le temps était venu de « résorber »... au moindre frais possible et si par la même occasion on pouvait faire dégager quelques familles sur Vitrolles ou Marignane c’était toujours ça de gagné. Toute la bataille des habitants de Lorette qui de par la loi étaient en principe devenus propriétaires de fait du terrain et des « logements » a été de faire reconnaître leur droit de propriété et d’obtenir un relogement à proximité et non à l’extérieur de la ville, ce qu’ils finirent par obtenir.
En balcon de Grand Littoral, sur une colline se trouve la cité HLM du Plan d’Aou. De cette cité il y a une vue imprenable sur toute la rade de Marseille. Là aussi au nom de la réhabilitation nécessaire d’une cité laissée à l’abandon pendant des années et à coups de projets financés par la ville et l’état et en triplant les loyers on a voulu faire partir les habitants. Ceux-ci se sont battus pour rester face aux gouvernements et municipalités qui se sont succédés. A ce moment de la bataille il est prévu la construction de villas en bord de falaise et avec la vue en prime et derrière elles l’édification d’un mur pour séparer les villas des immeubles HLM. Nul ne sait si le mur de Sharon comme l’appellent les habitants réussira à s’imposer...
3. Le camping municipal
Les Bouches du Rhône, contrairement au Var ou aux Alpes Maritimes n’ont jamais été un département de tourisme de luxe. Par contre il y toujours eu un tourisme social constitué par des milliers d’ouvriers ou de gens aux revenus modestes qui venaient passer leurs congés en particulier à l’est de Marseille (La Ciotat est une ville qui depuis des dizaines d’années voit sa population multiplier par 5 l’été) ou à l’ouest sur la côte bleue en allant vers Martigues. Il y avait à Marseille un camping municipal (c’était d’ailleurs le seul camping de la ville) adapté à ce tourisme là. Idéalement situé en bord de mer le long des plages de Bonneveine dans le secteur sud. Comme pour les logements ailleurs il fut laissé à l’abandon.
Dans la capitale de « la Californie de l’Europe » [3] il n’y a besoin ni de campings, ni d’auberge de jeunesse fermée elle aussi. Sur l’emplacement du camping on a construit face à la mer des appartements de standing à un prix moyen de 3 millions de francs et dont une publicité disait « ce seront les appartements les plus chers de Marseille » (sic !)
[1] Situé sur La Canebière, lors des manifs des milliers de marseillais arrivés à sa hauteur scandaient régulièrement : « Le palais de la mode on s’en fout »
[2] Créé lors de la Conférence de Barcelone des 27-28 novembre 1995, le partenariat euroméditerranéen, dit processus de Barcelone, regroupe les 25 Etats membres de l’Union Européenne et 10 Etats du Sud et de l’Est de la Méditerranée : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Liban, Syrie et Turquie.
[3] Le terme Californie de l’Europe fut employé pour la 1re fois en 1975 par Giscard alors président de la République. C’est au nom de cette vision que l’on ferma sous Mitterrand les chantiers navals de La Seyne et La Ciotat. Le terme fut repris par Le Pen lors de la dernière campagne électorale (avortée) des régionales qu’il démarra sur un yacht au large de Nice.
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