Interview de Marie Debs
popularité : 5%
Marie Nassif Debs, journaliste et membre du bureau politique du parti communiste libanais répond aux questions de Solidaire,
hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique
www.solidaire.org
Beyrouth, le lundi 25 septembre 2006
1. Comment jugez-vous la présence concrète de la Finul au Liban ?
La Finul qui se constitue actuellement, est très différente de celle déjà présente au Liban depuis plus de trente ans, à la suite de la résolution 425 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Les différences entre les deux Finul sont notoires :
D’abord, la présence renforcée de troupes appartenant à des pays membres de l’OTAN et, donc, placées indirectement sous commandement américain. Et même si les Etats auxquels ces troupes appartiennent sont des grandes puissances, cependant, ils ont, à plusieurs reprises, cédé devant l’administration américaine quant à la manière de résoudre militairement des conflits, surtout au Moyen Orient où l’expérience de l’Irak est toujours une plaie béante.
Ensuite, certains dirigeants de ces pays, tels l’Italie par exemple, ont signé des accords militaires avec Israël ; et cela nous pousse à penser que les représentants de ces pays n’auront en aucun cas l’impartialité nécessaire pour mener à bien leur mission.
De plus, les représentants de la France ont aidé, à plusieurs reprises ces dernières années, l’administration dirigée par George Bush, à satisfaire les visées d’Israël et de certaines factions libanaises, tant par leur participation à l’élaboration de la résolution 1559, qui fut et reste un des points de litige entre Libanais concernant les armes de la Résistance, que par leur appui à la résolution 1701 qui a donné à Israël ce qu’il avait perdu durant son agression du 12 juillet 2006 contre le Liban, à savoir : la possibilité de poursuivre ses violations des résolutions et de commettre encore des crimes contre les civils libanais sous prétexte d’empêcher le Hezboullah de renforcer son arsenal militaire.
2. Comment jugez-vous le comportement des contingents de la Finul ? Est-il correct de dire que les pays européens, présents au Liban, veulent le (re)coloniser à leur profit ?
Durant la dernière agression israélienne contre le Liban, certaines troupes de la Finul avaient refusé d’aider des civils libanais ; les habitants de Marwahine, premier village martyr, en ont pâti et 28 morts sont tombés près de la base de la Finul.
Actuellement aussi, certains comportements nous déçoivent, pour ne pas dire plus. Ainsi, à l’aéroport de Beyrouth, les hommes de la Finul se sont immiscés dans les affaires qui reviennent à la "Sécurité du territoire".
Au Sud Liban, les troupes internationales sont très discrètes sur les violations de notre terre de la part des Israéliens : ils n’ont pas "vu" et ils n’ont, donc, rien dit concernant les changements de la "ligne bleue" dans les villages de Kfarkela et Chebaa, comme ils se taisent sur le "passage" des bombardiers dans notre ciel et aussi sur la décision du gouvernement d’Ehoud Olmert de retarder le retrait de ses troupes des points toujours occupés.
Ces comportements peuvent-ils être considérés comme une tentative de "re" colonisation de la part de certaines grandes puissances ? Cela est possible, surtout si certains hommes d’Etat européens pensent pouvoir ainsi avoir leur (petite) part du gâteau dans la région...
3. Comment juger la position de ces pays européens par rapport à celle du duo infernal Israël-USA ?
J’ai déjà attiré l’attention sur la position inféodée de ces pays à l’administration américaine, du fait de leur comportement durant la guerre des Bush en Irak, même si la France et l’Allemagne avaient, à un moment donné, refusé la dernière guerre.
Il faut dire que certains de ces pays ont, non seulement aidé à la création de l’Etat d’Israël (chassant les Palestiniens de leur pays), mais ils ont fait des guerres pour l’aider ; par exemple, la triple agression de 1956 et toutes les résolutions ambiguës qui furent votées "en faveur" d’Israël, dont la résolution 242 rédigée par le représentant de la Grande Bretagne aux Nations unies...
Ainsi, apparaît la partialité vis-à-vis des Arabes et d’Israël, même quand ce dernier est responsable déclaré de massacres contre les populations civiles, comme au Liban et en Palestine où les noms de Kana et de Jénine ont fait le tour du monde.
En clair, nous pouvons dire que le nouveau régime mondial se résume comme suit : une superpuissance qui domine toutes les autres et les pousse à faire ce qu’elle veut, y compris des guerres destructrices (la Bosnie) et l’appui inconditionnel à sa politique de mort (l’Irak, le Liban, la Palestine), afin que ses sociétés pétrolières et ses marchands de canons fassent de plus gros gains et puissent continuer à voler les richesses de la Planète.
Les "autres" se contentent des miettes que veut bien leur laisser le "souverain du monde nouveau".
A cette lumière, nous comprenons mieux la rapidité avec laquelle Angela Merkel a livré les trois sous-marins "nucléaires" à Israël, avant même que sèche le sang des 600 enfants du Liban écrasés dans les abris et sur les routes, comme nous comprenons ses déclarations concernant la présence allemande au Liban dont le "but" est de protéger Israël... Il nous faut dire, enfin, que l’Occident tente ainsi de résoudre les crimes de la Seconde Guerre mondiale par de nouveaux crimes. Les peuples arabes n’ont jamais fait de pogroms ou de crimes contre l’humanité à l’égard des juifs.
4. Est-il correct de dire que les pays de l’Otan veulent se servir des Nations Unies comme d’un Cheval de Troie pour mettre la main sur le Liban ?
Les Etats-Unis ont déjà, et à plusieurs reprises pendant ces dix dernières années, utilisé les Nations unies pour faciliter leurs ingérences et leurs agressions contre des Etats souverains dans tous les continents sans exception aucune, depuis la Somalie et jusqu’au Liban, en passant par la Bosnie, l’Afghanistan, l’Irak...
Nous pensons que cette organisation internationale devient de plus en plus faible, surtout que ce n’est même pas elle qui prend les décisions, puisque tout est transféré vers son "Conseil de sécurité". Et lorsque le Secrétaire général de cette organisation tente parfois de se montrer objectif, comme il est arrivé en 1996, à la suite du massacre de Kana (qui s’était fait à l’intérieur d’une position de la Finul), il est limogé rapidement.
Ce que les Etats-Unis veulent de cette organisation, c’est la docilité - y compris aujourd’hui au Liban - ou la dissolution pure et simple...
Quant aux autres pays de l’OTAN, ils vont dans le même sens que l’administration américaine qu’ils aident dans sa stratégie visant à affaiblir toute possibilité d’aide internationale aux peuples opprimés... Sinon, ils auraient dû refuser de voter les ambiguïtés de la résolution 1701 et refusé d’envoyer des troupes sur la base unilatérale qu’elle contient ; comme ils auraient dû refuser les immixions israéliennes et américaines dans la politique intérieure du Liban, tant à travers les diktats de l’ambassadeur américain à Beyrouth qu’à travers les agressions israéliennes contre ce pays.
Ce que les gouvernements européens ont "condamné" (ce mot est, d’ailleurs, très fort), c’est la riposte "exagérée" d’Israël, mais non pas l’acte militaire en lui-même.
Cette politique suivie est une arme à double tranchant, parce que la prochaine victime sera l’Europe et ses peuples qui ont pâti déjà des pressions économiques américaines, et nous pensons que, dans la logique des choses, ces pressions ne vont pas s’arrêter au seul secteur économique. Les troupes américaines en Europe sont capables de tout.
5. Comment les différents secteurs et classes de la population libanaise considèrent la Finul ?
Le pays est, dans sa majorité, contre la présence de la nouvelle Finul "renforcée", parce que celle-ci vient pour "protéger" l’agresseur (Israël) contre ceux qui subissent l’agression (les Libanais).
Il y a, bien sûr, les Forces libanaises et les partis de Saad Hariri et de Walid Joumblat qui veulent en finir avec les armes du Hezboullah. Mais les gens, surtout au Sud, demandent une solurion équilibrée et refusent que le Hezboullah remette les armes avant qu’Israël ne se retire des fermes de Chebaa et des hauteurs de Kfarchouba d’une part et libère les prisonniers libanais d’autre part. Sans oublier, dans l’immédiat, les menaces nouvelles d’Israël.
Ils se rappellent de la mauvaise expérience de ce qui s’est passé en Irak et, aussi, de ce qui s’est passé au Liban durant la dernière agression israélienne.
6. Quelles sont les revendications du PC libanais et de la résistance nationale ?
La "Résistance nationale" et le Parti Communiste libanais revendiquent, eux aussi, une politique plus équilibrée de la part des Nations Unies. Ils appellent les peuples européens à exiger de leurs gouvernements respectifs une plus grande transparence et, surtout, des prérogatives claires quant au rôle des forces qu’ils envoient dans le Sud du Liban.
La nouvelle Finul, pour être efficace et Å“uvrer pour la paix, doit se déployer des deux côtés de la "ligne bleue". Elle doit aussi être très ferme envers les infractions israéliennes et les agressions contre le Liban, et non seulement compter celles-ci, comme elle l’avait fait auparavant en se contentant de dire que les "Israéliens avaient commis 2400 infractions pour la seule année 2005".
Il faut que le rôle de cette nouvelle Finul soit plus précis. Ceci, sur le plan de la présence des troupes internationales.
D’un autre côté, nous pensons qu’une aide politique de la part de l’Union européenne est nécessaire sur le plan des Nations unies, surtout que le secrétaire général de cette organisation est mandaté pour formuler une proposition concernant la "libanité" des fermes de Chebaa. Une demande libanaise à ce propos est enregistrée depuis plusieurs années aux Nations unies et des documents existent sur ce problème, tant chez le gouvernement français, mandaté au Liban jusqu’à l’an 1945, qu’au Liban.
7. Comment juger l’immense rassemblement convoqué par le Hezbollah ce vendredi 22 à Beyrouth ? Notamment la signification du discours de H. Nasrallah ?
Le rassemblement du Hezboullah, le vendredi 22 septembre, vise à exprimer - tant par l’éventail des forces politiques présentes, que par le mouvement de masse créé - une certaine dynamique nouvelle sur le plan politique libanais. Nous avions déjà appelé à une position plus précise de la part de ce parti concernant la formation d’une opposition ayant un programme de changement.
Le discours de H. Nasrallah est, pour nous, un nouveau langage de la part d’un parti politique "confessionnel", puisqu’il a mis l’accent sur la nécessité de sortir du confessionnalisme politique qui mine le Liban et le rend faible devant les tutelles étrangères. Il est vrai que le Secrétaire général du Hezboullah a aussi parlé de "la force de frappe" de ce parti, mais cela était dirigé vers les Etats-Unis et Israël.
Nous avions appelé à des changements sur le plan du gouvernement qui n’a fait qu’envenimer la situation, et nous pensons que la position avancée, là aussi, par le Hezboullah va dans le sens que nous voulons et que veut aussi la majorité des Libanais.
Bien sûr, ce discours a ouvert la voie à certaines forces pro américaines pour faire des rassemblements similaires. Cependant, le discours confessionnel (maronite, même) de Samir Geagea et l’absence de tout équilibre dans sa position entre la Syrie et Israël montre très clairement ce que le PCL disait à propos du plan américain pour la région : la partition en mini Etats confessionnels antagonistes entre eux et demandant tous une aide à Israël afin de continuer à vivre, tandis que les transnationales américaines poursuivent leur mainmise sur les richesses contenues dans le monde arabe.
8. Quelles sont les nécessités immédiates des habitants du Sud Liban et des autres régions dévastées ?
Tout est nécessaire aux habitants du Sud, mais aussi de la Békaa qui a subi la guerre et les massacres au même titre que le Sud, parce que dans cette région le Hezbollah et la Résistance en général (nationale ou islamique) sont forts.
Les dégâts sont très importants et le gouvernement n’a pas fait grand chose jusqu’à maintenant.
Il y a, comme tout le monde sait, plus de 18 000 habitations détruites, sans parler des écoles, des magasins, des ponts, des routes, des récoltes et sans oublier les mini-bombes et les bombes à fragmentation disséminées dans les villes, les villages et les champs.
L’aide nécessaire avant l’hiver est importante sur le plan d’habitations préfabriquées, d’habits chauds, de couvertures et d’aide pour les écoles des communes. De même, une aide sanitaire est nécessaire : des cliniques ambulantes dans des caravanes, des ambulances...
9. Qui sont les alliés du peuple libanais dans le monde ? Sur qui peut-il compter ?
Le peuple libanais doit, d’abord, compter sur lui-même et sur sa résistance et son unité nationale face à la catastrophe et à ce qui se prépare toujours contre lui.
Il compte, surtout, sur les peuples arabes, les mouvements contre les guerres et les agressions dans le monde, mais aussi sur le peuple de la gauche à qui il demande des positions plus fermes, tant à travers le Parlement européen ou les Parlements nationaux en Europe, qu’à travers les gouvernements des pays anti-impérialistes dans le monde : et, là, nous ne pouvons que saluer les positions du président vénézuélien, Hugo Chavez, ainsi que celles de beaucoup de gouvernements dans le monde.
Commentaires