Egypte, chroniques d’une contre-révolution (III)
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Durant la semaine qui s’est écoulée en Egypte, et qui devrait s’achever par l’adoption du projet de Constitution qui sera soumis à référendum, la répression a pris un tour nouveau, visant désormais non plus seulement les Frères musulmans, mais aussi les militants de gauche, souvent opposés aux Frères mais qui refusent le retour de l’ancien régime.
Pour ceux qui ne l’avaient pas encore remarqué, derrière la façade d’un gouvernement qui comprend certains membres de partis démocratiques, c’est l’ancien système et la sécurité d’Etat qui affirment haut et fort, soutenus par la plupart des médias, qu’ils sont les seuls décideurs. Ils entendent même réécrire l’histoire et éradiquer l’héritage révolutionnaire (« Égypte : l’Histoire officielle contre la mémoire », OrientXXI, 29 novembre).
C’est le moment que Catherine Ashton, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a choisi pour signer un accord de 90 millions d’euros d’assistance à l’Egypte (« Ashton signs €90 million assistance to Egypt », Ahram online, 28 novembre). Dans le même temps, mais sans que cela remette en cause l’alliance stratégique entre les Etats-Unis et l’Egypte, Washington a exprimé de manière beaucoup plus claire que les Européens sa condamnation de la répression (« Hagel voices US concern over new Egyptian law limiting protest », Egypt Independent, 1er décembre.)
L’élément déclencheur des événements a été l’adoption par le gouvernement (il n’y a pas de Parlement) d’une nouvelle loi réglementant les manifestations : en résumé, et sans caricaturer, on peut dire qu’il s’agit d’une interdiction pure et simple du droit de manifester — une telle loi était déjà en gestation lorsque Mohammed Morsi était au pouvoir, mais il n’avait pas osé la faire adopter (lire« Egypt : New protest law gives security forces free rein », 25 novembre 2013).
Première application de cette loi, la violente répression contre des manifestants qui, le 26 novembre, la contestaient et l’arrestation de deux figures emblématiques des mobilisations de janvier-février 2011, Ahmed Maher, un des fondateurs du mouvement du 6 avril (il a été libéré le 1er décembre), et Alaa Abdel Fattah, un célèbre bloggeur, déjà arrêté à l’époque du Conseil supérieur des forces armées (CSFA) et dont j’avais parlé sur ce blog [1] (« Dans les prisons égyptiennes »). La police a envahi sa maison, battu sa femme, confisqué son ordinateur et commencé une campagne de désinformation sur les réseaux sociaux en se camouflant derrière… Anonymous ! (lire « And it seems the government in #Egypt got its own #Anonymous group », Egyptian Chronicles, 29 novembre 2013). C’est durant ces manifestations qu’un groupe de jeunes femmes ont été arrêtées, harcelées sexuellement et ensuite abandonnées à quarante kilomètres du centre du Caire. Rappelons que Abdel Fattah Al-Sissi, l’homme fort du régime, est celui qui avait justifié, à l’époque du CSFA, les tests de virginité sur les manifestantes.
Le Monde diplomatique de décembre (en kiosques) publie un article sur le rôle des intellectuels égyptiens, qui apporte un éclairage sur les raisons pour lesquelles ceux de gauche soutiennent les militaires (Fadi Awad et Claire Talon, « Fracture chez les écrivains égyptiens »). La répression vise notamment les universités, où les interventions brutales des forces de l’ordre ont entraîné la mort de plusieurs étudiants. Des représentants des syndicats étudiants ont demandé la destitution du ministre de l’éducation supérieure et de celui de l’intérieur (lequel occupait déjà ce poste sous la présidence Morsi) (« Student groups demand dismissal of Egypt higher education, interior ministers », Ahram online, 30 novembre). L’administration de l’Université du Caire a elle aussi condamné les violences policières (« Cairo University : Police responsible for Thursday clashes », Ahram online, 30 novembre).
Parallèlement, la répression contre les Frères musulmans, dont des milliers de cadres croupissent en prison, se poursuit. Une cour d’Alexandrie a ainsi condamné quatorze femmes (dont sept mineures) à onze ans de prison pour avoir manifesté (« Egyptian court gives female Islamist protesters harsh jail terms », Ahram online, 27 novembre). Ce verdict, ainsi que les photos des jeunes militantes qui ont circulé, ont suscité un tel tollé que leur cas devrait être examiné en appel le 7 décembre (« Appeal date set for 21 pro-Morsi female protesters case », Ahram online, 30 novembre).
Les manifestantes condamnées à 11 ans de prison Photo : Xinhua
Au début du mois, douze étudiants d’Al-Azhar avaient été condamnés à dix-sept ans de prison pour les mêmes charges (détérioration de biens publics, attaques contre des policiers).
Ces jugements controversés sont l’occasion de dire un mot sur l’appareil judiciaire égyptien, présenté sous la présidence de Mohammed Morsi comme un bastion de la lutte contre la « dictature » des Frères et pour un régime démocratique. L’on constate que les juges se comportent le plus souvent en fidèles soutiens de l’ancien régime, appliquant sans rechigner de lourdes sentences contre les opposants. Ainsi, lors d’une récente réunion, un certain nombre d’entre eux ont soutenu la nouvelle loi liberticide contre le droit de manifester (« Judges defend protest law », Egypt Independent, 26 novembre).
Une dernière remarque sur le climat qu’entretiennent les médias en Egypte, marqué par un mélange de chauvinisme exacerbé et de xénophobie (notamment à l’encontre des Palestiniens et des Syriens). Le ridicule ne tuant plus depuis longtemps, le projet de Constitution s’ouvre sur cette phrase : « L’Egypte est un don du Nil aux Egyptiens et l’Egypte est un don des Egyptiens à l’humanité. »
Alain Gresh le 02/12/2013
Transmis par Linsay
[1] le blog d’Alain Gresh NDR
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