Au nom du foot : combien de morts faudra-t-il ?

mardi 1er octobre 2013
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The Guardian vient de révéler que 44 Népalais sont morts cet été sur les chantiers des sites du Mondial 2022. La FIFA, les journalistes sportifs et nombre de donneurs de leçon sur les droits de l’homme aux quatre coins du monde n’ont rien à dire sur le Qatar, si ce n’est pour encourager ses investissements à l’étranger comme en France...

Si tout va bien, la version 2022 de la Coupe du monde aura lieu en hiver. Il ne reste qu’une petite question gênante à résoudre : combien de personnes devront-elles perdre la vie pour qu’elle puisse être à la hauteur de sa réputation d’événement sportif le plus suivi de la planète ?

« Il y aura plus de victimes parmi les ouvriers qui travaillent sur les chantiers des sites que de joueurs pour disputer la compétition », prédit Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI). Même si les équipes présentes au Qatar alignent tous leurs remplaçants, il y a de grandes chances que les dires de Mme Burrow se confirment.

Des conditions de travail inhumaines

La monarchie absolue du Qatar, dirigée par le clan Al-Thani, aussi incroyablement mystérieux que fabuleusement riche, ne tient pas plus de statistiques sur les questions de santé et de sécurité qu’elle ne tolère d’élections libres. La CSI a dû se débrouiller pour compter les cadavres par elle-même. Elle a découvert que cette année, pour l’instant, 83 Indiens ont trouvé la mort. Le petit Etat du Golfe sert également de sépulture à 119 ouvriers népalais des travaux publics. Deux cent deux travailleurs émigrés ayant en outre perdu la vie au cours des neuf derniers mois, Mme Burrow s’estime en droit d’affirmer que l’on enregistre au moins un décès par jour. Un chiffre qui ne peut qu’augmenter, le Qatar venant d’annoncer qu’il accueillerait 500 000 immigrés supplémentaires, essentiellement en provenance du sous-continent indien, pour construire ses stades, ses hôtels et ses routes avant 2022.

Les victimes ne succombent pas toutes sur les chantiers. Confrontés à des conditions de travail éreintantes, dépourvus de toute protection légale, les ouvriers subissent entre autres la chaleur accablante qui règne dans leurs camps non climatisés, aussi la mort peut-elle prendre bien des formes. Pour vous donner une idée de sa diversité, les amis de l’ouvrier Chirari Mahato ont décrit sur Internet comment il travaillait de 6 heures à 19 heures. Puis il rentrait dans une chambre étouffante, sans ventilation, qu’il partageait avec 12 autres personnes. Puisqu’il est mort dans son sommeil [en mai 2012], et non sur un chantier, ses employeurs refusent d’admettre qu’ils l’ont fait travailler jusqu’à l’épuisement. Il y a des millions d’ouvriers comme lui dans le Golfe. Quand on s’extasie sur la fortune qui permet aux membres de la famille royale qatarie d’acheter le village olympique et les Chelsea Barracks [zone résidentielle de Londres], on ignore à la fois le martyre des travailleurs immigrés et l’étrangeté de ces Etats riches en pétrole.

Pas de libertés pour les immigrés

Comment définir le Qatar ? La « monarchie absolue » est encore bien loin de la réalité de cette société, où les immigrés représentent jusqu’à 99 % de la main-d’œuvre du secteur privé. On pense à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Les 225 000 citoyens du Qatar ont le droit de fonder des syndicats et de faire grève. Pas les immigrés, qui sont environ 1,8 million.

Ces mauvais traitements trouvent comme souvent une justification religieuse. Les immigrés et leurs employeurs sont liés par la kafala [un système qui maintient le travailleur immigré dans une relation de dépendance vis-à-vis de son tuteur]. Les travailleurs immigrés doivent ainsi obtenir le consentement de leur patron s’ils souhaitent changer d’emploi. Et comme le souligne Human Rights Watch, si un travailleur démissionne, ses employeurs, considérés comme ses parents adoptifs peuvent l’accuser de fugue et le faire arrêter par la police.

Quitter le Qatar n’est pas non plus chose aisée puisque les migrants doivent passer par leurs employeurs afin d’obtenir un visa de sortie. Ils peuvent donc être retenus contre leur gré en cas de litige sur leur contrat. Les dirigeants religieux si prompts à s’insurger contre la liberté d’expression et le blasphème feraient mieux de dénoncer cette exploitation indigne.

La Fifa : une « organisation décadente »

Mais le Qatar n’est pas un phénomène isolé. La corruption et l’immense gâchis engendré par la Coupe du Monde 2014 au Brésil ont ainsi provoqué de graves émeutes. Et la Douma [le Parlement russe] de Poutine a déjà voté une loi restreignant les droits des travailleurs affectés aux chantiers de la Coupe de Monde 2018.

La Fédération internationale de football association (Fifa) est une organisation décadente au sens politique du terme. C’est une institution dont le comportement va à l’encontre de tous les beaux principes qu’elle revendique. Si la Fifa aimait vraiment le football, elle n’aurait jamais pensé à organiser un tournoi en plein été au Qatar. Et si elle respectait la vie humaine, elle interdirait la kafala dans les contrats de la Coupe du monde.

Combien de temps les journalistes sportifs vont-ils continuer à taire ces abus couverts par la Fifa ? La Coupe du monde fait voler en éclats tous les clichés. Les gens disent que « le football est une question de vie ou de mort », mais « c’est bien plus que ça ». Bill Shankly faisait de l’humour, mais la Fifa et le Qatar n’ont jamais été aussi sérieux. Le sport, c’est « la guerre, les coups de fusils en moins », disait Orwell. Il n’y aura pas de coups de fusils au Qatar, mais de nombreux immigrés y trouveront la mort.

La Fifa obligée de réagir

Dans un article intitulé : « Les esclaves de la future Coupe du monde au Qatar », publié le 25 septembre, The Guardian a révélé que 44 immigrants népalais ont trouvé la mort sur les chantiers de sites qui doivent accueillir les matchs du Mondial 2022 au Qatar, d’après des documents confiés par l’ambassade du Népal à Doha au quotidien britannique. D’après le journal, quelque 1 500 000 d’ouvriers supplémentaires doivent être recrutés pour construire les infrastructures nécessaires au déroulement de la compétition.

Les révélations du Guardian ont provoqué de vives réactions, relayées par de nombreux médias internationaux.

A tel point que la Fédération internationale de football association (Fifa) a dû sortir de son silence pour se justifier. Un de ses porte-parole a indiqué, le 26 septembre, que l’organisation était « très préoccupée au sujet des rapports faisant état d’abus en matière de droit du travail et attirant l’attention sur les conditions des travailleurs sur les chantiers menés à Lusail City, au Qatar ». La Fifa a indiqué qu’elle allait « de nouveau entrer en contact avec les autorités du Qatar », et que la question sera abordée lors de la prochaine réunion de son comité exécutif, les 3 et 4 octobre à Zurich.

Nick Cohen The Observer le 27/09/2013

Rappelons que lors de l’annonce par le Qatar de sa volonté d’investir 50 millions dans les banlieues françaises il s’est trouvé des voix pour applaudir jusque dans les rangs du Front de Gauche. Sur le même sujet lire aussi

Transmis par Linsay



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