Crimes de guerre saoudiens au Yémen avec la bénédiction et les armes occidentales

mercredi 2 novembre 2016
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Briser le cercle du silence, c’est la question qui est posée au Yémen (comme au Kurdistan et d’autres endroits du monde sur lesquels peu de choses sont rapportées). Comme le rappelle dans une lettre « aux organisations soucieuses des droits de l’homme » Sam Ben Ahmed, membre de rouge vif 13 et originaire de ce pays, le conflit au Yémen c’est dix mille morts dont sept mille civils 200 000 exilés et plus de trois millions de déplacés avec 14 millions de personnes qui ont besoin d’une aide humanitaire selon le dernier bilan officiel de l’ONU.

Dans cet article venu d’Allemagne le journaliste dénonce l’attitude de son pays. Nous pouvons en dire autant de la France, championne d’Europe des ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et qui se réjouit de ses bonnes relations avec ce pays.

Tandis qu’un renforcement des sanctions contre la Russie est à l’étude – pour des crimes de guerre présumés ou réels à Alep, en Syrie –, l’Arabie Saoudite n’a rien à craindre, même après avoir bombardé le 8 octobre à Sana’a une cérémonie funéraire, tuant plus de 140 civils.

Les raids aériens de la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen sont déjà responsables de plus de 2 400 morts civiles, y compris des patients hospitalisés par Médecins Sans Frontières et des enfants dans une école coranique. Le Yémen, écrasé par la pauvreté et dépendant des importations pour 80% de son alimentation, est coupé de ses approvisionnements vitaux par le blocus maritime de Riyad. Plus de 1,5 million d’enfants souffrent déjà de malnutrition, dont 370 000 d’entre eux de manière critique. Les soins médicaux sont insuffisants, car l’Arabie Saoudite bombarde les usines pharmaceutiques et limite l’importation de médicaments. Les médias allemands [et français] font rarement état de la catastrophe humanitaire au Yémen, pour laquelle Riyad, l’un des principaux alliés de Berlin [et de Paris] au Moyen-Orient, est responsable. La guerre de Riyad au Yémen contre les insurgés Houthis vise également à faire reculer l’influence iranienne, servant ainsi également les intérêts de l’élite allemande [et française].

Dès le début de leur agression contre le Yémen, l’Arabie Saoudite et sa coalition militaire [1] ont recouru aux raids aériens, causant de nombreuses victimes civiles, certains ayant rapidement été considérés comme des crimes de guerre. 18 victimes civiles étaient déjà signalées après les premiers raids aériens le 25 mars 2015. Le même jour, la Maison Blanche a annoncé que le Président Barack Obama avait autorisé « la fourniture de soutien logistique et de renseignements » à la coalition saoudienne et avait établi une cellule de planification commune avec l’Arabie Saoudite pour coordonner son soutien [2]. En outre, le secrétaire d’État américain John Kerry a annoncé que l’assistance US incluait un « ciblage » militaire [3]. Cependant, cela a été rapidement réfuté officiellement – pour une bonne raison : le 14 avril, le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, s’est senti obligé de critiquer vivement les nombreuses attaques contre les civils yéménites. Au moins 364 civils avaient déjà perdu la vie depuis le début du conflit, une part considérable étant due aux raids aériens de la coalition saoudienne, selon Al Hussein. Des hôpitaux, des écoles, des mosquées et des quartiers résidentiels ont été détruits lors des raids aériens. Le Haut-commissaire a demandé des enquêtes [4].

« Compréhension totale »

Les raids aériens dirigés par les Saoudiens contre des civils et le grand nombre de victimes civiles n’ont pas empêché le gouvernement allemand d’approuver explicitement cette guerre. Le jour suivant les premiers raids aériens qui ont causé 18 victimes civiles, le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a affirmé sa « compréhension totale à l’égard des opérations saoudiennes » [5]. Le ministère des Affaires étrangères a émis plusieurs déclarations selon lesquelles les attaques de l’Arabie Saoudite contre le Yémen étaient « conformes au droit international », et qu’il n’y a « aucun doute que les opérations saoudiennes sont autorisées par le droit international » [6]. Alors que Berlin était occupé à soutenir Riyad, les organisations de défense des droits de l’homme essayaient d’évaluer la situation sur le terrain. Les 15 et 16 mai 2015, Human Rights Watch a profité d’un cessez-le-feu de cinq jours pour mener des enquêtes sur le terrain à Saada. La ville de Saada, un bastion Houthi, était l’une des régions les plus touchées par les raids aériens de Riyad dans sa guerre contre le mouvement Houthi. Entre autres, l’organisation a documenté six attaques contre des maisons résidentielles, dont l’une a tué 27 membres d’une même famille, dont 17 enfants. Les frappes aériennes ont également frappé une école, une station-service bondée et cinq marchés, pour lesquels il n’y avait aucune preuve d’activité militaire. Selon Human Rights Watch, ces attaques semblent avoir été des crimes de guerre [7].

Bloqués dans la faim

Depuis lors, des allégations sérieuses ont régulièrement été soulevées concernant la manière dont la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite mène sa guerre au Yémen. Riyad avait déjà imposé un blocus maritime le 26 mars 2015, immédiatement après les premiers bombardements, qui ont presque complètement interrompu les importations du Yémen, avec des conséquences désastreuses. Avant l’imposition du blocus, environ 80% des besoins alimentaires du pays provenaient de l’étranger, dont 90% de son blé et tout son riz [8]. Seule une petite partie de ce qui est nécessaire parvient au Yémen depuis que le blocus a été imposé. En dépit des activités désespérées des Nations Unies et de diverses organisations humanitaires, il y a un grave manque de nourriture, de carburant et de médicaments. Sur les 26 millions de Yéménites, 21,2 millions – 82% de la population – dépendent désormais de l’aide humanitaire ; 14,4 millions n’ont pas suffisamment de nourriture ; 7,6% sont touchés par de graves pénuries alimentaires ; 1,5 million d’enfants souffrent de sous-alimentation – dont 370 000 de manière critique. Récemment, l’UNICEF a sonné l’alarme. Malgré d’énormes efforts, les organisations humanitaires n’ont pu atténuer la misère que dans une mesure limitée, a annoncé l’agence. Tout doit être fait pour normaliser l’approvisionnement alimentaire et le système de santé. Bien sûr, cela présupposerait que l’Arabie Saoudite, l’un des principaux alliés [des pays occidentaux] du Moyen-Orient, lève son blocus qui dure depuis une année et demie.

Tout récemment, l’UNICEF a de nouveau dénoncé un crime de guerre évident commis par la coalition dirigée par Riyad. Le 13 août 2016 au matin, une école coranique a été touchée lors d’un bombardement sur Saada, dans le nord du pays. Au moins sept enfants, âgés de six à quatorze ans, ont été tués, les survivants blessés ayant été emmenés à l’hôpital. Quelques jours auparavant, l’UNICEF avait signalé que 1 121 enfants avaient été tués pendant la guerre. Selon les Nations Unies, 4 125 civils ont été tués dans cette guerre, dont 60% – plus de 2 400 personnes – lors de raids aériens de la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite. En août, Human Rights Watch et Amnesty International ont annoncé avoir « documenté plus de 70 attaques aériennes illégales de la coalition, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre, qui ont tué plus de 900 civils, et 19 attaques utilisant des bombes à sous-munitions internationalement interdites » [9]

Même des usines de médicaments, des centres de stockage d’aliments et des hôpitaux clairement identifiés pour lesquels Médecins sans frontières avait fourni les coordonnées GPS ont été bombardés [10]. Les données indiquent que plus d’un tiers des raids aériens menés par l’Arabie saoudite sur le Yémen ont frappé des sites civils [11]
Le récent bombardement contre un bâtiment dans lequel plus d’un millier de personnes s’étaient rassemblées pour assister à une cérémonie funéraire ajoute un autre crime de guerre saoudien à la liste, avec plus de 140 personnes tuées.

Contrairement aux crimes de guerre allégués ou réels à Alep, exploités actuellement à des fins de propagande de politique étrangère [12], Berlin, autant que possible, ferme les yeux sur les crimes de guerre imputés aux Saoudiens – pour deux raisons. La première est que contrairement aux gouvernements syrien et russe, le clan dirigeant à Riyad est considéré comme un administrateur fidèle des intérêts occidentaux au Moyen-Orient. La deuxième se trouve dans les ramifications du conflit au Yémen. Début 2015, le Président du Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi, allié des Saoudiens et considéré comme pro-occidental, a été renversé par le mouvement rebelle Houthi du Yémen du Nord, qui est considéré – même si c’est souvent exagéré – comme proche de l’Iran, et ayant clairement des positions anti-occidentales. « La perspective qu’en plus du détroit d’Ormuz, l’Iran – pays protecteur des Houthis – puisse également prendre le contrôle des détroits entre le Yémen et l’Afrique, à travers lesquels des millions de barils de pétrole sont transportés quotidiennement, a horrifié beaucoup de personnes » en Occident, a rapporté un expert allemand du Moyen-Orient en mars 2015, au début de la guerre [13]. Par conséquent, Berlin ne soulève aucune objection à l’action militaire de Riyad contre les Houthis – et donc aussi contre l’Iran.

Loin d’avoir à redouter des conséquences pour ses crimes de guerre, comme son bombardement d’une cérémonie funéraire à Sanaa, l’Arabie Saoudite continue à recevoir des équipements militaires allemands – y compris des armes qu’elle utilise au Yémen. Les négociations actuelles sur la livraison de nouveaux Eurofighters à l’armée de l’air saoudienne n’en sont que le dernier exemple.

19/10/2016

Traduit par Eve Harguindey

Transmis par Linsay



[1Au début, cinq membres du Conseil de coopération du Golfe (GCC) ont participé à la guerre au Yémen, l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le Bahreïn et le Koweït, ainsi que la Jordanie, l’Egypte, le Soudan et le Maroc.

[2Déclaration de la porte-parole du Conseil de sécurité nationale Bernadette Meehan sur la situation au Yémen. www.whitehouse.gov, 25.03.2015.

[3Saudi and Arab allies bomb Houthi positions in Yemen. www.aljazeera.com 26.03.2015.

[4Yemen : Zeid calls for investigations into civilian casualties. www.ohchr.org 14.04.2015.

[5« Die Lage ist gefährlich, nicht nur für die Golfregion ». www.bild.de 27.03.2015. See In Flammen.

[6Stellungnahmen von Sprechern des Auswärtigen Amts vor der Bundespressekonferenz. See In Flames (II).

[7Human Rights Watch : Targeting Saada. Unlawful Coalition Airstrikes on Saada City in Yemen. London, June 2015.

[8Omer Karasapan : Conflict, famine, refugees, and IDPs : A perfect storm in Yemen ? www.brookings.edu 14.04.2015.

[9UN : Create International Inquiry on Yemen. www.hrw.org 26.08.2016.

[10Priyanka Motaparthy : US Should Stop Making Excuses for Saudi Violations in Yemen. www.hrw.org 06.10.2016.

[11Ewen MacAskill, Paul Torpey : One in three Saudi air raids on Yemen hit civilian sites, data shows. www.theguardian.com 16.09.2016.

[12See Spiel mit dem Weltkrieg.

[13Rainer Hermann : Neues, altes Arabien. Frankfurter Allgemeine Zeitung 30.03.2015.



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