L’eau maltraitée dans le pays de l’eau
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Alberto Acosta, ancien ministre du gouvernement Correa avec lequel il a pris ses distances revient dans cet article sur les engagements non tenus et leur impact sur le droit à l’eau, droit qui fait l’objet d’une bataille dont nous avons abondamment parlée dans cette même rubrique.
A un an des prochaines présidentielles, ce texte sonne comme un avertissement au gouvernement s’il ne tient pas une ligne de souveraineté populaire et d’égalité des droits...
« Le droit humain à l’eau est fondamental et il est impossible d’y renoncer. L’eau constitue un patrimoine national stratégique d’usage public, inaliénable, imprescriptible, insaisissable et essentiel pour la vie ». Article 12 de la Constitution de Montecristi, 2008 [1]
L’Equateur est le pays de l’eau. Il compte quatre fois plus d’eau superficielle que la moyenne par tête mondiale. Ce n’est pas un hasard, par conséquent, si dans ce pays, avec une société toujours plus consciente de l’importance vitale de l’eau, s’élaborent les dispositions constitutionnelles les plus avancées de la planète pour sa protection et son emploi. Mais il y a aussi de graves problèmes. L’eau est mal distribuée. La contamination de l’eau augmente. Les sources d’eau sont détruites toujours plus. Et le problème est encore plus grave si nous constatons que le gouvernement du président Rafael Correa ne respecte pas les articles constitutionnels, orientés à affronter ces défis.
L’eau, un commerce pour quelques-uns et un problème pour beaucoup
La consommation d’eau-et bien sûr sa contamination-s’est accrue par l’augmentation de la population dans les dernières décennies et aussi par l’augmentation d’activités productives excessivement demanderesses du liquide vital. Dans le domaine agricole, par exemple, se concentre l’usage de l’eau toujours plus en monocultures orientées vers le marché externe, pendant que la production d’aliments pour la consommation nationale a baissé.
La population paysanne, indigène et non indigène, souvent avec des systèmes communaux d’irrigation, représente 86% des usagers de l’eau d’irrigation. Néanmoins, ce groupe accède à peine à 13% du débit. Pendant que les grands consommateurs, qui ne représentent que 1% des unités productives agricoles, concentrent 67% de l’eau.
A cela s’ajoute un accaparement élevé de la terre en peu de mains, avec un indice de Gini [2] de 0,81. Les chiffres sont implacables : 616 familles contrôlent 3,5 millions d’hectares ; 712.000 familles ont une superficie de 2,4 millions d’hectares. Une unité productive sur mille à la campagne détient plus de 640 hectares, mais concentrent 13% de la terre en production ; pendant que 70% des unités productives accèdent à 6% du total de la terre en production avec des superficies inférieures à 5 hectares.
Sur cette concentration de la terre et de l’eau s’établit la perverse iniquité sociale, base du pouvoir politique oligarchique. Par conséquent, un processus révolutionnaire sérieux doit poser la réalisation de la réforme agraire et de la redistribution de l’eau comme partie d’une révolution agraire, qui doit s’inspirer dans la construction de la souveraineté alimentaire, comme le commande la Constitution de Montecristi.
La contamination a atteint son extrême en affectant les 72 bassins hydrographiques. La perte des crachins et la déforestation croissante expliquent cette complexe réalité. Le processus d’envasement des rivières sur la Côte est plus que préoccupant surtout par l’effet de l’érosion permanente dans la Sierra et ses contreforts ; ici nous avons une autre explication des réitérées inondations sur le littoral équatorien.
Egalement n’ont pas été résolus les graves problèmes dérivés de la conduite contaminante de l’eau provoqués par l’urbanisation effrénée, par diverses activités industrielles contaminantes et sans contrôle, par l’activité pétrolière, entre beaucoup d’autres, sources du problème. Maintenant que se distingue la méga-mine, qui augmentera largement la pression contaminante sur l’eau, il est bon de se souvenir que l’activité minière existante, particulièrement artisanale et de subsistance, provoque de sévères affectations sur l’eau et l’environnement.
L’eau, entre la vie et le marché
Pour les raisons exposées, un des points sur lesquels avança le plus l’Assemblée Constituante de Montecristi, fut celui relatif au traitement de l’eau et des ressources hydriques. De fait, les succès dans ce domaine conduisirent beaucoup de personnes à se décider à voter pour la nouvelle Constitution au référendum que le peuple équatorien approuva par une large majorité.
L’affaire ne fut pas facile. Divers acteurs, au sein et hors de Montecristi, défendirent de clairs bénéfices particuliers. Ces intérêts furent soutenus dans l’Assemblée Constituante y compris par une paire d’assembléistes officialistes et un haut fonctionnaire du gouvernement.
Pour parvenir à vaincre ces positions en faveur du privé il fallut une grande participation et mobilisation de la société. La présence et l’apport de diverses organisations sociales furent décisifs.
En dernier lieu, la Constitution établit que le droit humain à l’eau est fondamental et qu’il est impossible d’y renoncer, que l’eau est un bien stratégique d’usage public, que l’eau est un patrimoine de la société et que l’eau est une composante fondamentale de la Nature, la même qui a des droits propres à exister et à maintenir ses cycles vitaux.
Les dispositions constitutionnelles sont claires. Il doit y avoir très peu de constitutions dans le monde dans lesquelles on a explicité de manière aussi détaillée la gestion de l’eau. Cela est une reconnaissance de l’importance qu’a l’eau pour la vie de tous les êtres. Sans eau il n’y a pas de vie, tout simplement.
Pour cette même raison, la priorité de l’usage de l’eau est dans l’ordre suivant :
1) pour l’être humain,
2) pour l’alimentation (souveraineté alimentaire),
3) pour assurer le cycle vital de l’eau elle-même et
4) pour l’usage productif.
La Constitution de Montecristi ne se limite pas exclusivement à empêcher la future privatisation de l’eau, mais elle est explicite à ordonner la « déprivatisation » (lisez redistribution) de l’eau, incluant la redistribution de la terre.
L’eau comme droit non accompli
Cependant, bien que la majorité du peuple équatorien ait approuvé la Constitution, le gouvernement n’exécute pas les commandements constitutionnels. Rappelons que la Constitution dans la disposition transitoire vingt-sept ordonne la redistribution de l’eau pour l’irrigation en faveur des paysans. Pour le faire, elle accorda un délai de deux ans largement dépassé.
Le plus grave est que le Secrétariat National de l’Eau (SENAGUA) a ouvert un processus pour légaliser l’usage de l’eau en marge de la loi. L’Assemblée Nationale n’a pas non plus publié la Loi sur l’eau qui devait être prête dans le délai d’un an, selon le commandement constitutionnel. En outre, pour mentionner un autre exemple des manquements, Interagua, l’entreprise qui privatisa le service d’eau de Guayaquil à l’époque néolibérale, grâce à ses protecteurs dans la direction du gouvernement, qui agirent dans l’Assemblée Constituante, maintiennent inaltérable la concession contre le commandement constitutionnel.
Clairement le gouvernement ne démontre pas d’intérêt à respecter la disposition constitutionnelle de l’article 281 : « Promouvoir des politiques redistributives qui permettent l’accès de la paysannerie à la terre, à l’eau et autres ressources productives ». Le président Correa considère que « la petite propriété rurale va à l’encontre de l’efficacité productive et de la réduction de la pauvreté...répartir une grande propriété en de nombreuses petites est répartir la pauvreté » (1er octobre 2011).
En synthèse, les milliers de systèmes communautaires d’eau pour la consommation domestique et les paysans sans terre restent abandonnés, bien qu’ils représentent plus d’un tiers de la population. L’alliance publique communautaire, prévue dans la Constitution, n’est pas partie de l’agenda officiel, alors que ce serait un moyen puissant pour que les paysans aient accès à l’eau comme à la terre pour faire une réalité de la souveraineté alimentaire. Cette même alliance pourrait assurer une eau de qualité à de nombreux habitants des villes qui ne disposent pas de ce service public.
Ce qui peut être sauvé est l’écho international qu’ont eu ces commandements constitutionnels, non respecté en Equateur. L’Assemblée Générale des Nations Unies en juillet 2010 a aussi déclaré l’accès à l’eau potable comme un droit humain.
L’eau, face à des menaces à grande échelle
Maintenant, quand s’impulse l’industrie minière à grande échelle, les menaces qui s’observent sur l’eau vont croître de manière vertigineuse.
S’il était vrai que l’industrie minière ne contamine pas l’eau, comme l’affirme le lobby minier gouvernemental-transnational, il devrait pouvoir présenter des exemples de projets miniers similaires à ceux proposés en Equateur, où l’eau n’a pas été contaminée ; il s’agit de projets dans des régions avec de similaires conditions climatiques, hydrologiques, géologiques et minéralogiques. Cela est impossible. La réalité le démontre. Il n’y a pas de moyens d’éviter la contamination massive des eaux de superficie et souterraines aux alentours de sites miniers.
Dans le monde, il n’existe pas une mine industrielle qui n’ait pas contaminé l’eau par des produits toxiques (par exemple des métaux lourds) ou par le phénomène connu comme drainage acide de mine, qui survient quand les eaux de pluie entrent en contact avec des minéraux sulfureux contenus naturellement dans les roches extraites.
En effet, il existe un haut risque que les réactions chimiques produites par le contact entre la pluie et la roche excavée provoquent une acidification inusuelle des eaux qui courent sur ces roches. Les eaux contaminées coulent dans les rivières et courants souterrains, les acidifiant. Cette contamination peut être catastrophique pour la faune et la flore aquatiques. Ce drainage acide de roche accélère la dissolution dans les eaux des métaux pesants extraits du sous-sol (comme l’arsenic, le plomb, le mercure) en général présents en quantité non négligeable dans les roches remuées par l’activité minière. Ces types de contamination sont particulièrement dévastateurs pour l’eau et peuvent détruire les écosystèmes aquatiques durant des centaines et même des milliers d’années.
Dans le cas de l’utilisation de produits toxiques, si même la nouvelle technologie permettent de récupérer un haut pourcentage des produits contaminants, les résidus rejetés dans l’environnement, spécialement dans les cours d’eau, entraînent d’énormes problèmes qui pourront durer des décennies sinon des centaines d’années. Dans le projet Fruta del Norte (Cordillère du Condor), selon les données de l’entreprise, des 90.000 tonnes de cyanure utilisés, on récupérerait 98,2% ; le 1,8% équivaudrait à 180 tonnes qui pourraient être létales ; sachons qu’un seul gramme de cyanure peut tuer 30 personnes.
Il faut souligner que les grands gisements identifiés en Equateur sont particulièrement exposés au risque de drainage acide de roche, car ce sont en majorité des dépôts hautement sulfureux. De plus, les contaminations de l’eau seront beaucoup plus graves dans des zones géographiques caractérisées par de hautes précipitations et normalement riches en biodiversité. Pour compléter ce scénario préoccupant, considérez que 12,5% des zones de crachin-source de l’eau par excellence-sont déjà en concession.
En résumé, l’activité méga-minière, accompagnée de grandes oeuvres d’infrastructure, provoque la contamination de diverse nature, et à grande échelle dans l’eau, les sols et l’air, accentuant la déforestation et marquant profondément le paysage. Pour obtenir une tonne de cuivre, on extrait entre 300 et 600 tonnes de déchets, beaucoup d’entre eux toxiques, exigeant entre 30 et 500.000 litres d’eau, selon le gisement. Pour obtenir une once d’or, il faut entre 20 et 60 tonnes de déchets et on consomme une moyenne de 20 à 25.000 litres d’eau.
En synthèse, la lutte continue
L’eau en Amérique latine, non seulement en Equateur, est menacée par des processus violents d’expropriation et de privatisation, en fonction des demandes du capital transnational, avec la complicité de gouvernements tant néolibéraux que progressistes. Ce sont ces exigences du capital qui provoquent d’épouvantables rythmes d’exploitation économique et qui expliquent la croissante contamination. En conséquence, en même temps que les entreprises transnationales, surtout chinoises, parcourent l’Amérique du Sud affamées de minéraux, augmentent aussi les protestations populaires pour affronter le galopant extractivisme qui met en danger l’eau et la vie même, une démonstration étant la Marche réussie pour l’Eau, la Vie et la Dignité de mars dernier en Equateur.
Alberto Acosta
Source : Rebelion
Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant
Alberto Acosta est un économiste équatorien. Professeur et chercheur de la FLACSO. Ministre de l’Energie et des Mines de janvier à juin 2007. Président de l’Assemblée Constituante d’octobre 2007 à juillet 2008.
[1] Constitution de l’Equateur, rédigée et approuvée par l’Assemblée Constituante à Montecristi, avant d’être approuvée par référendum le 28 septembre 2008. NDT
[2] L’indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique d’inégalités. Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite, où tous les salaires, revenus, niveaux de vie seraient égaux. A l’autre extrême, il est égal à 1, dans une situation la plus inégalitaire possible, celle où tous les salaires, revenus, niveaux de vie sauf un seraient nuls. Entre 0 et 1, l’inégalité est d’autant plus forte que l’indice de Gini est élevé. NDT
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