Ça bouge au Sénégal
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RM : Roland peux tu nous dire quelques mots sur l’évolution politique du Sénégal de l’indépendance à nos jours ?
Roland : Le Sénégal indépendant en 1960 est dès le départ la vitrine politique de la françafric, ce système néo-colonial mis en place pour remplacer l’empire colonial français d’Afrique. Le parti socialiste (PS) de Senghor/Dia est l’instrument pour liquider la fédération du Mali en 1959 et pour réprimer le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) en 1960, avant qu’en 1962 par un putsch institutionnel contre le régime parlementaire L. S. Senghor ne se débarrasse de M. Dia président du conseil pour instaurer un régime présidentiel qui perdure jusque de nos jours.
Après Senghor, Abdou Diouf qui lui succède dans la continuité du pouvoir du PS en vertu d’un article 35 quasi monarchiste révisé de la constitution, est le président des diktats libéraux du FMI et de la Banque Mondiale connus sous le nom de plan d’ajustement structurel (PAS) pour rembourser les dettes de l’Etat. Ce tournant libéral plonge le pays dans l’austérité et le désengagement de l’Etat débouche sur la dévaluation du franc cfa [1] qui va précéder les hold up que sont les bradages par les privatisations des secteurs économiques stratégiques comme l’eau, le téléphone, les chemins de fer, l’électricité, etc.
RM : Que s’est il passé au printemps dernier et quelles étaient les raisons du mécontentement ?
Roland : En 2000 le peuple par une formidable mobilisation populaire contre la fraude électorale va obtenir l’alternance politique en hissant au pouvoir le chef du parti libéral Abdoulaye Wade porté par une coalition mis en place par les partis historiques de la gauche Marxiste Léniniste Sénégalaise (PIT, LD/MPT, AND JËFF).
Dix ans après cette conquête démocratique qu’a été l’alternance, son principal bénéficiaire A. Wade s’est peu à peu débarrassé de ses alliés de l’ex-gauche et de la social-démocratie, s’est embourbé dans les scandales d’une gestion libérale, voire mafieuse des deniers publics, de corruption, de gabegie, de népotisme, de boulimie privatisant les terres urbaines et rurales et tente maintenant de se maintenir au pouvoir contre les dispositions constitutionnelles qui interdisent plus de deux mandats dans l’optique d’une dévolution monarchiste.
C’est contre son projet de « ticket présidentiel » éligible avec « 25% des votants » que les jeunes du mouvement Y EN A MARRE et l’ensemble des organisations politiques, démocratiques et populaires se sont révoltés le 23 juin dernier pour le contraindre à abandonner son funeste projet putschiste.
La situation actuelle évolue vers un bras de fer entre le pouvoir libéral monarchisant et le peuple de plus en plus organisé dans le Mouvement du 23 juin (M23) pour défendre et préserver tout le moins le droit à l’alternance démocratique aujourd’hui bafoué par son premier bénéficiaire.
RM : Quel a été le rôle et la force du mouvement communiste des années 60 à aujourd’hui ?
Roland : Le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) est né le 15 septembre 1957 dans la ville cheminote de Thiès en adoptant un manifeste fixant les objectifs de « l’indépendance nationale et de la transformation socialiste ». Ce parti Marxiste-Léniniste et panafricain prenait de fait la suite du travail politique des précurseurs communistes tels que Lamine Arfan Senghor mort en 1927 et Thiémokho Garang Kouyaté assassiné en 1942 au fort Montluçon par les pétainistes et les nazis qui occupaient la France.
Dès 1960 pour lui voler sa victoire électorale lors des élections locales, notamment à Saint Louis du Sénégal, le PAI est réprimé, interdit par le pouvoir socialiste du Sénégal néocolonial adoubé par Foccard et De Gaulle. Maître Babacar Niang révèle que « du mois de mars 1962 au mois d’octobre 1975, la juridiction d’exception sous Senghor a prononcé plus de trois cents années d’emprisonnement, plus de deux cents années de travaux forcés à temps, plusieurs condamnations à perpétuité, dont deux condamnations à mort exécutées ».
La gauche Marxiste- Léniniste panafricaniste va traverser une longue nuit de clandestinité de laquelle elle émergera divisée lors du multipartisme d’abord limité en 1974, ensuite intégral en 1981. Mais malgré la clandestinité, les persécutions, la prison, les militants de la gauche Marxiste-Léniniste panafricaniste d’obédiences différentes ont été les éléments décisifs des luttes sociales et démocratiques en 1968/69 qui vont contraindre le système semi-colonial au multipartisme et qui seront à la base de l’alternance démocratique en 2000. En somme la gauche Marxiste-Léniniste a été « faiseuse de roi » après avoir été la principale force à contraindre le colonialisme à concéder l’indépendance en 1960.
RM : Un processus d’indépendance qui n’est pas allé jusqu’au bout…
Roland : Les peuples et pays d’Asie et d’Amérique du sud colonisés par l’Occident impérialiste (Europe de l’ouest et USA) ont posé les bases politiques de leur actuel développement économique en réalisant des révolutions nationales, démocratiques et populaires lors de la phase des luttes de libération nationale entre 1945 et 1960.
En Afrique les massacres coloniaux de masse (Thiaroye en 44, Sétif/Guelma en 45, Madagascar en 47, Cameroun en 55, etc.), les assassinats et répression des leaders (Ruben Um Nyobé, Moumié, Afana, Ouandié, Lumumba, Mulélé, Sankara, etc.) et les trahisons (Senghor, Houphouët, etc) ont permis la mise en place du système néocolonial post-indépendantiste.
Il s’agit aujourd’hui pour les révolutions en cours des peuples d’Afrique et du Monde Arabe d’en finir avec les féodalités, les théocraties, les dictatures bourgeoises inféodées aux puissances impérialistes de l’UE et des USA pour rejoindre l’Asie et l’Amérique du sud dans le processus du développement économique et social transition vers le socialisme.
Cette tâche historique a été impulsée par la gauche Marxiste-Léniniste en Asie et en Amérique du sud dans la période des luttes de libération nationale entre 1945 et 1960 soutenue par l’URSS et le camp socialiste. Les quatre révolutions symboles de cette phase qui a débouché sur l’émergence des dits « pays émergents » sont : la Révolution Chinoise dirigée par le PCC en 1949, la guerre de libération nationale de Corée dirigée par le Parti du Travail de Corée, la lutte de libération nationale du Vietnam dirigée par le PCV et la révolution Cubaine dirigée par le PCC. Toutes les nouvelles expériences progressistes en Amérique du sud s’appuient sur l’exemple héroïque de Cuba socialiste.
Les impérialistes US et UE ont lancé l’agression armée en Côte d’Ivoire et en Libye avec les objectifs d’empêcher que les luttes actuelles en Afrique et dans le monde Arabe ne prennent le même chemin. Au Sénégal il faut signaler l’inquiétante nomination du général Quentin, celui là même qui était au Rwanda au moment du génocide, à la tête des forces armées françaises stationnées à Dakar et de l’ambassadeur qui était au Togo lors du coup d’état électoral par lequel le fils a succédé au père Eyadéma.
RM : Aujourd’hui ça bouge à gauche et dans le mouvement communiste, un processus de rassemblement semble en marche...
Roland : En prenant la décision historique de mettre en place la confédération des organisations de la gauche Marxiste-Léniniste et panafricaine, Yoonu Askan Wi (la voie du peuple) et Ferñent / Mouvement des Travailleurs Panafricains – Sénégal rejoint par le Rassemblement National Démocratique (RND) invitent le Rassemblement des Travailleurs Africains (RTA-S), l’UDF/Mboloo mi, le PPS, le MSU, la LD, le PIT à mutualiser leurs forces pour présenter une alternative révolutionnaire, anti-libérale, anti-impérialiste de développement national au peuple.
Ces forces rassemblées sur un programme alternatif opposé au libéralisme (PDS, CAP21, I. Seck, Macky Sall, Gadio, etc.) et au social-libéralisme (PS, AFP) peuvent rapidement offrir à une jeunesse militante déterminée à rompre avec la « génération Bul Faale [2] » un outil pour transformer la génération y en a marre en perspective émancipatrice du peuple de l’oppression impérialiste et de la bourgeoisie corrompue.
C’est là que réside toute la signification de l’adoption le 24 août 2011 de la feuille de route « POUR LA FONDATION DE LA CONFEDERATION DES PARTIS ET ORGANISATIONS DE LA GAUCHE REVOLUTIONNAIRE AU SENEGAL, CONFEDERATION DE LA GAUCHE PANAFRICANISTE DU SENEGAL ».
[1] nous reviendrons sur Rouge Midi sur cet épisode de l’histoire de ce pays et les conséquences pour le peuple
[2] Bul Faalé (t’occupes pas) du nom d’un tube d’un groupe de rap des années 90. On a appelé génération Bul Faalé ce mouvement, (dont les chefs de file étaient le lutteur Mohamed Ndaw Tyson et le footballeur El Hadji Diouf), qui exaltait la jeunesse sénégalaise à s’émanciper de manière individuelle au même moment où en France certains prônaient l’ascenseur social à la jeunesse des quartiers populaires…tout le contraire de la lutte collective en quelque sorte NDR
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