Le journalisme, un métier toujours plus dangereux
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Il n’y a jamais eu autant de médias dans le pays. Pourtant, de plus en plus de journalistes sont menacés, frappés, enlevés, et même assassinés, souvent avec la complicité des autorités
Les médias pakistanais n’ont jamais été aussi libres qu’aujourd’hui et les conditions pour pratiquer le journalisme ont rarement été meilleures : voilà le refrain que nous sert Islamabad depuis quelques années.
Mais, si l’on en juge par les statistiques, la vérité est radicalement différente. Entre le 1er janvier 2000 et le 20 novembre dernier, on a recensé pas moins de 20 assassinats de journalistes, dont un étranger, Daniel Pearl, le correspondant du Wall Street Journal.
Durant cette période, on a également enregistré 68 arrestations ou enlèvements, 77 cas de torture ou de blessures, 112 de menaces ou d’intimidation, 20 suspensions ou fermetures d’organismes de presse et au moins 24 attaques contre des bureaux - soit, au total, 318 actes de violence.
Comble du paradoxe, cet acharnement a coïncidé avec une expansion médiatique sans précédent dans le pays. On ne peut que se féliciter de l’espace accru accordé par le gouvernement aux médias privés, en particulier à la radio et à la télévision. Et rien ne permet de penser que le meurtre et le harcèlement de journalistes soient le fruit d’une politique délibérée. On est cependant en droit de se poser des questions. En effet, les autorités rechignent à nier clairement leur implication dans des affaires où leur rôle a été publiquement montré du doigt. Dans trois d’entre elles, en particulier, le peu d’empressement du gouvernement à blanchir les services de renseignements a aggravé les soupçons.
Il s’agit d’abord de l’affaire Hayatullah Khan, un journaliste du quotidien en ourdou Ausaf qui était aussi photographe pour l’AFP et dont on a retrouvé le corps criblé de balles le 16 janvier 2006. Khan avait été enlevé six mois plus tôt, après avoir contredit la version des autorités pakistanaises sur une explosion qui avait eu lieu au Nord-Waziristan [dans l’ouest du pays, à la frontière avec l’Afghanistan]. En réponse aux appels virulents des confrères de la victime, le gouvernement a mis en place un tribunal pour établir l’identité des meurtriers, mais ses conclusions n’ont pas été rendues publiques. Et pendant toute la période où l’on est resté sans nouvelles, les autorités n’ont cessé d’effectuer des déclarations contradictoires sur son sort.
La deuxième affaire est celle de Dilawar Khan Wazir, qui travaillait pour la BBC et le quotidien pakistanais Dawn avant d’être enlevé à Islamabad le 22 novembre dernier [et libéré vingt-quatre heures plus tard] par des individus non identifiés. Le fait qu’il a disparu alors qu’il se trouvait à bord d’un taxi à proximité du siège de la police, les interrogatoires qu’il a subis sur ses reportages dans les provinces tribales durant sa détention, les tortures qu’on lui a infligées, les yeux bandés et les mains liées, près d’une décharge dans une zone boisée, tout portait la marque des services de renseignements. Et la désinvolture des ministres de l’Intérieur et de l’Information face au feu roulant de questions des médias n’a guère contribué à dissiper cette impression.
Un autre enlèvement dans lequel les autorités sont soupçonnées d’avoir trempé est celui de Munir Mengal, directeur de Baloch Voice, une chaîne de télévision implantée aux Emirats arabes unis. En effet, les forces pakistanaises traquent aujourd’hui les nationalistes rebelles du Baloutchistan, qui revendiquent une plus grande part des ressources nationales. Malgré les dénégations officielles, la thèse de leur implication dans la disparition de Mengal est donc très répandue.
De plus, le gouvernement est déterminé à empêcher les journalistes d’enquêter sur les militants talibans ou proches d’Al-Qaida réfugiés dans les zones tribales. Les groupes terroristes eux-mêmes les ont ouvertement menacés et attaqués, faisant de cette région l’endroit le plus dangereux du Pakistan pour les professionnels des médias.
Les violences surviennent dans la rue, au bureau, voire à domicile. Parmi les agresseurs, on a identifié des membres du gouvernement, de l’armée, de la police, des services de renseignements, de groupes religieux, ainsi que des politiciens et des propriétaires terriens. Mais, même quand les coupables sont connus, aucune poursuite n’est engagée contre eux. Les cibles des attaques, qui se limitaient l’an dernier à des journalistes, à des reporters indépendants et à des personnels de chaînes de télévision et de radios indépendantes, se sont étendues cette année à des opérateurs du câble et de sites Internet. Les rapports fournis par l’ONG pakistanaise Intermedia montrent que 2006 a été la plus violente des six années étudiées.
Article de Adnan Rehmat paru dans Newsline du 15/03/2007
Transmis par Linsay
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