« Souvenirs d’un appelé anticolonialiste » : Jacques Tourtaux ou le refus de la guerre d’Algérie
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Notre ami Jacques Tourtaux, était parmi les invités de l’association Med-Action pour la jeunesse et la citoyenneté pour commémorer, du 18 au 21 août 2013, à Akbou, le 57e anniversaire du congrès de la Soummam. Une note de lecture de reporters lui est consacrée et quoique l’on pense des analyses de l’auteur de celle-ci, cette note n’est que justice pour ce camarade qui n’a jamais cessé son combat contre le colonialisme.
Parmi les témoins, un ancien appelé anticolonialiste, Jacques Tourtaux, témoignera à partir d’un vécu à l’intérieur de l’armée française. Simple ouvrier, simple « bidasse » qui a su résister à toutes les pressions, Tourtaux a écrit un livre étonnant, instructif, humain et sans concession dans son contenu anti-guerre et anti-colonialiste. Son livre, Souvenirs d’un appelé anticolonialiste (non distribué en Algérie) méritait une note de lecture.
« Souvenirs d’un appelé anticolonialiste » : Jacques Tourtaux ou le refus de la guerre d’Algérie
Originaire des Ardennes et issu d’un milieu très pauvre, ouvrier lesté d’un certificat d’études primaires, Jacques Tourteaux sort de l’adolescence en pleine guerre d’Algérie. Fait d’époque, son milieu ouvrier baigne dans l’identité communiste, devenue culture plus qu’appartenance organique, mélange de mémoire des luttes, d’identification sociale et d’humanisation de la misère par l’utopie d’un autre destin humain. Dans ce milieu, on adhère au parti communiste comme on accomplit sa condition sociale et comme on porte l’oriflamme.
Le témoignage de Tourtaux en est une nouvelle confirmation : il a adhéré au parti, comme on le disait, dans une sorte d’évidence qu’il ne pouvait s’agir que du parti communiste après cette seconde et terrible accoucheuse guerre mondiale. Il a adhéré comme on monte en première ligne, comme on se prend en charge, comme on devient adulte, comme on prend sa part du fardeau, comme on s’apprête au don de soi. Il écrit : « C’est tout naturellement que j’ai adhéré au Parti communiste français. » Tout naturellement. Et la suite vient tout naturellement aussi : « Avec des camarades de mon âge, en 1959, nous avons créé un cercle de l’Union des jeunesses communistes de France dont je fus le secrétaire. » D’où le lien direct avec sa réaction spontanée à son ordre de mobilisation : « A deux reprises, j’ai refusé de me présenter aux conseils de révision les 14 mars et 30 juin 1960. » Mais, justement, il baigne dans le milieu social du communisme, cela fait une sacrée différence avec l’organisation, avec l’appareil, avec le « parti ». Il écrit à un proche, pas à la direction de la cellule ou de la « fédé » : « Ma lettre était prête pour De Gaulle. Je lui écrivais mon refus de participer à cette guerre. Je ne voulais pas combattre le peuple algérien. J’ai écrit à un de mes oncles pour lui en faire part. Mon oncle, qui était cheminot, militait au PCF. Il m’a de suite répondu et déconseillé d’écrire à De Gaulle. Il disait que les sanctions étaient très fortes, que le travail des jeunes communistes était de militer au sein de leur unité contre la guerre. »
C’est donc son oncle, pas le parti, qui le guide, et ce fait à lui seul présente un intérêt extraordinaire : les principes léninistes avaient largement débordé les frontières du parti, pour devenir une culture de masse. L’oncle ouvrier cheminot discute avec son neveu ouvrier de la ligne politique, comme s’ils portaient « naturellement », comme le dit Tourtaux, la légitimité de l’appareil. Cela corrige sensiblement les approches académiques, tout en indiquant quel potentiel ce même parti s’est évertué à perdre, puisqu’il va perdre en cours de route ce même Tourteaux qui lui disputera la légitimité de l’identité communiste. Quelle perception de la guerre développaient le milieu ouvrier, le milieu communiste et enfin le parti ? La question doit déjà beaucoup à ce témoignage.
Briser la volonté, briser les hommes
Il viendra donc en Algérie, en février 1961, suivi par sa fiche qui indique ses engagements et ses choix. Première destination, la compagnie d’instruction, sorte de bataillon disciplinaire, mais plus proche de la prison et du bagne que de la mise au pas. Le récit est surprenant de ce monde clos qui livre des appelés aux pulsions perverses des « sous-offs » tortionnaires qui bastonnent les jeunes recrues à coups de manches de pioches, oblige des détenus à faire des réveils sportifs avec des chants nazis, leur font subir des sévices, tous plus vicieux les uns que les autres, sous la haute autorité d’un commandant qui les appelle à rejeter la propagande du PCF et du PCA.
Briser la volonté, briser les hommes, bien au-delà de la nécessité du redressement disciplinaire, ne pouvait se faire sans l’existence de ces malades de la torture et de la brutalité pathologique et de leurs fortes racines. La question reste posée de savoir comment l’armée française a pu livrer des conscrits français à des fascistes. Le lecteur a l’impression d’un monde illégal, fonctionnant en dehors des lois ou même de la simple humanité, et d’une sorte de « regard tourné ailleurs » de la hiérarchie militaire et civile. Un monde de l’enfer qu’aucune bonne âme parmi ces responsables ne peut regarder sans y découvrir son côté sombre, ses propres ressorts soigneusement maquillés. Du coup, s’éclairent pour un lecteur algérien quelques sources de la torture, des corvées de bois, du napalm sur les villages, des camps d’internement ou des camps de regroupement ; bref, de l’extermination de masse de notre peuple. Aussaresses et Massu étaient tout entiers dans les personnages décrits par Tourtaux, l’adjudant Birr et le commandant qui venait « habiller » le sale boulot en mettant en garde les conscrits contre la propagande communiste.
Pourtant, Tourtaux et les communistes n’étaient pas seuls. Au passage, il nous signale la présence de deux séminaristes qui refusaient comme lui de faire cette guerre absurde à notre peuple. Comment et pourquoi tout ce potentiel anti-guerre a mis si longtemps à se manifester sans jamais vraiment se cristalliser et pourquoi une minorité fasciste a pu garder la haute main sur l’armée ? Car, c’était une minorité. La résistance au putsch, perpétré dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 avril, le prouve amplement. La mémoire de Tourteaux nous permet d’avoir un panorama exceptionnel de la résistance multiforme qui s’organise au cœur de composantes techniques comme l’aviation ou parmi les bidasses avant même l’appel de De Gaulle.
Témoignage passionnant par sa précision, par lequel on découvre qu’en fait, les régiments et détachements parachutistes et les légionnaires sont les plus infectés par les mercenaires et par l’idéologie fasciste ou nazie. C’est peut-être les chapitres à lire avec le plus grand soin dans ce livre. On mesure alors pleinement les contradictions qui traversent l’armée française et que seule la méthode du « bagne » d’Oued Smar pouvait contenir au profit du pôle fasciste. On mesure tout aussi pleinement que les luttes politiques anti-guerre ont manqué de la profondeur anticoloniale de principe qui aurait aidé à isoler les factions fascistes et les factieux et empêché l’impulsion socialiste de la guerre, puis sa prolongation gaulliste. On mesure enfin combien l’engagement colonialiste des socialistes et notamment celui de Mitterrand et de Guy Mollet ont pesé du côté des futurs putschistes, mais surtout combien ils ont retardé la cristallisation ou la coalescence d’une conscience française que la guerre d’Algérie était une guerre coloniale. On voit d’un autre œil le procès Jeanson, la lettre des 121 et celle de Sartre.
Mohamed Bouhamidi le 15/08/2013
Réflexion |
Transmis par Linsay
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