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Des deux côtés de la barrière sociale

lundi 15 juillet 2013

Deux spectacles du festival Off d’Avignon, deux mondes. D’abord celui des jeunes issus de l’immigration, via « Illumination(s) », d’Ahmed Madani, interprété par des jeunes du Val Fourré. De l’autre, celui des puissants vu Ascanio Celestini, interprété par David Murgia, dans « Discours à la nation », bombe satirique.

Il n’est pas si fréquent de voir évoquer au théâtre, dans un spectacle qui ne tourne pas au pensum, la réalité des « quartiers », comme on dit dans d’autres quartiers, là où l’on considère que la savane commence dans l’au-delà du périphérique. Avec « Illumination(s) », présenté dans le Off d’Avignon, Ahmed Madani relève ce défi devant un public conquis – et il y a de quoi.

Ils sont neuf sur scène, tous issus du Val Fourré, à Mantes la Jolie, où tout n’est pas vraiment joli, joli. Ils n’étaient pas vraiment destinés à faire du théâtre. Et pourtant, ils en font grâce à la rencontre avec un créateur décidé à raconter une histoire évoquant leur statut si particulier de fils d’immigrés, nés en France, donc Français… pas tout à fait cependant, mais un peu quand même.

Ahmed Madani commence par la guerre d’Algérie avec une scène particulièrement violente autour de la torture dont a été victime son propre père. Il enchaîne en évoquant plusieurs des questions liées à l’immigration : le chômage, le ghetto, le racisme, la religion, le rejet, l’enfermement ethnique, les relations avec la police…

Il le fait sans jamais tomber dans le prêchi-prêcha ou le simplisme, sans manichéisme ni diabolisation, en arrivant à laisser surgir les contradictions sur un sujet explosif et si facilement récupérable. Il le fait enfin avec des acteurs qui témoignent d’un sens du spectacle qui en dit long sur les potentialités humaines de ces cités où la plupart des habitants se trouvent confinés, avec des possibilités d’émancipation proches du néant.

Ce spectacle est à la fois un cri d’espoir et une exigence de dignité. Par les temps qui courent, ce n’est pas rien.

Après le camp des vaincus, passons de l’autre côté de la barrière sociale, chez les vainqueurs passagers, dans le monde des puissants, des grands, des gourous du pouvoir, et de ceux qui s’en font les porte-parole.

Cela s’appelle « Discours à la nation », d’Ascanio Celestini, interprété par David Murgia. Le premier nommé est un auteur italien à l’inspiration proche de Dario Fo. Le second est un mélange de Raymond Devos et de Benoit Poelvoorde. Ce mélange débouche sur un spectacle qui explose comme un cocktail molotov balancé sur la vitrine des bons sentiments.

David Murgia parle de choses simples, présentées de façon simple, mais détournées pour en tirer une morale sarcastique à la gloire des méprisants, des dominants et des manipulateurs. Il raconte des anecdotes, des histoires banales, dont il pousse la logique absurde afin de faire éclater les fausses évidences du discours habituel. Il le fait avec un léger sourire aux lèvres, un rictus, bref la mimique des gens bien nés qui savent comment retourner ceux auxquels ils s’adressent.

Entre deux sketchs, l’acteur réaménage les quelques éléments de décor (de simples casiers à bouteilles) puis il reprend son discours-confession, accompagné d’un guitariste, Carmelo Prestigiacomo, qui lui sert de témoin muet mais régulièrement interpellé.

Féroce et drôle, provocateur et perturbant, « Discours à la nation » est une redoutable machine à défabriquer la cohérence de bien des idées toutes faites.

Rédigé par Jack Dion le 13/07/2013 source Marianne 2
http://www.marianne.net/theatre/Des-deux-cotes-de-la-barriere-sociale_a186.html

Transmis par Linsay


Jack Dion

Jack Dion, directeur adjoint de Marianne, responsable des pages « Controverse(s) ». Passionné de théâtre, je propose ici de faire partager mes coups de cœur ou mes coups de gueule, sans a priori ni esprit de chapelle, avec toute la subjectivité inhérente à cet exercice.

* « Illumination(s) ». Texte et mise en scène Ahmed Madani. Avec Boumes, Abdérahim Boutrassi, Yassine Chati, Abdelghani El Barroud, Mohamed El Ghazi, Kalifa Konate, Eric Kun-Mogne, Issam Rachyq-Ahrad, Romain Roy, Valentin Madani. Théâtre des Halles, festival Off d’Avignon jusqu’au 28 juillet (04 32 76 24 51).

* « Discours à la nation », d’Ascanio Celestini. Avec David Murgia et Carmelo Prestigiacomo (guitare). La Manufacture, festival Off d’Avignon jusqu’au 27 juillet (04 90 8512 71)

Messages

  • Dommage que le directeur adjoint de Marianne, qui s’intéresse à l’art dans les milieux populaires, n’ait pas vu (ou n’ait pas écrit sur) La parabole des Papillons, le spectacle mis en scène par Michèle Addala dans le cadre du Festival d’Avignon, pas le off mais celui que d’aucuns nomment le « in », c’est à dire le festival inventé par Jean Vilar, qui perdure depuis 1947.

    La metteuse en scène Michèle Addala, travaille depuis 30 ans avec les habitants de la cité avignonnaise de Monclar. Une cité réputée « difficile », autrement dit une cité populaire, peuplée de Français dont les parents sont souvent venus d’ailleurs, d’étrangers aussi, et voisine d’un quartier gitan, un ensemble abandonné comme tant d’autres, où le taux de chômage bat des record.

    Et pourtant c’est là que s’enracine l’aventure artistique de Michèle Addala. C’est là qu’elle fonde la compagnie Mises en scène, nourrie de rencontres et d’un travail quotidien avec la population (ateliers de pratiques et de création théâtrale, ateliers de parole, d’improvisation, de percussions corporelles). Ceux qui s’intéressent au théâtre connaissent la qualité et l’authenticité du travail de Michèle Addala et aussi les difficultés que sa compagnie a rencontré depuis des années, avant que le Festival d’Avignon ne décide cette année d’inviter cette voisine venue de « hors les murs » et de coproduire La parabole des papillons, un spectacle qui s’appuie sur des heures de témoignages enregistrés des femmes de la cité.

    La parabole des papillons était présentée tout début juillet, au grand auditorium du Pontet et l’entrée était gratuite. La salle était donc remplie, notamment de ces familles dont la vie avait contribué à la création du spectacle. Voilà qui aurait plu à Jean Vilar, lui qui, le premier, a formulé clairement l’importance du public dans le théâtre, la nécessité de le mettre au cœur du dispositif du théâtre public et de s’adresser au plus grand nombre. Voilà qui aurait sûrement justifié aussi plus d’attention de la grande presse.

    Voir en ligne : Compagnie Mises en scène

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