Le piège
par
popularité : 5%
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Les élections se sont donc terminées comme la presse (la grande, celle qui compte) l’avait prédit, dit et redit : le FN grâce à sa nouvelle dirigeante, « plus forte d’entre les forts » a ramassé la mise d’une partie que la droite avait perdue, discréditée par un président colérique et instable.
La gauche (comprenez le PS puisque c’est la seule force qui compte à leurs yeux) peut nourrir un espoir certain (pour 2012 évidemment seule élection qui compte !) à condition qu’elle se rassemble devant un chef incontesté, qu’elle cesse donc ses querelles intestines afin de vaincre une extrême droite plus menaçante que jamais.
Ça c’est ce qu’ils nous ont servi pendant des mois avant, pendant et depuis l’élection.
En prévision de la victoire future du FN (et qui donc appellerait une réaction « républicaine » sans faille) Marine Le Pen s’est retrouvée invitée quasi quotidienne des médias. On se croirait, à une lettre près, à une de ces séries pour enfants d’il y a quelques années : Marine au congrès, Marine en débat, Marine à Lampedusa, Marine et la droite, Marine et la gauche, Marine au Maroc, Marine en Israël…. Dans les régions, pour ne pas être en reste, la presse locale en a fait de même. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, sur le canton de Marseille St Barthélémy où Rouge Vif 13 se présentait, le représentant du FN, qui n’a jamais été élu, a eu droit avant le 1er tour, à 22 articles de la presse écrite et 7 passages télévisés. Si ce n’est pas de la promotion c’est quoi d’autre ?…
Pour enfoncer le clou, des sondeurs furent aussi sollicités qui aboutirent tous à la même conclusion : Marine est en position de force. Sondages tous plus contestables les uns que les autres, ce que d’autres que nous ont démontré avec assez de rigueur pour nous n’ayons pas à nous étendre sur le sujet.
Au lendemain du second tour, quelques voix peu nombreuses mettaient en cause partiellement le discours officiel sans toutefois expliquer ce qui ressemble à un vrai paradoxe : comment dans un pays qui a connu à l’automne un record de mobilisation sociale, peut-il succéder un printemps de la désaffection électorale ?
Que penser des résultats ?
Progression du FN ? Du PS ? Quel est l’élément déterminant qui ressort de ces élections ?
S’il ne convient pas de négliger l’onde de choc psychologique que peut produire l’apparente progression du FN (du moins dans les votes exprimés), une analyse approfondie des chiffres s’impose pour qui veut répondre à la question : qui progresse en France ?
Pour faire celle-ci nous nous sommes penchés sur le résultat [1] des élections depuis 30 ans et un certain 10 mai 1981 qui devait changer la vie de millions de gens. Nous avons comparé les chiffres
des 1ers tours (celui où on choisit) de toutes les élections au regard de l’abstention
des pourcentages obtenus par 4 familles politiques : PCF (et Front de gauche), PS (et divers gauche), Droite(UMP, UDF, divers droite), Extrême droite(FN, MNR, divers extrême droite), lors de toutes les élections hors municipales [2].
La droite et son extrême.
Le graphique ci-après montre l’évolution à droite en pourcentages par rapport aux exprimés aux différentes élections depuis 1981 et qui sont indiquées par la date et l’initiale (P : présidentielle, L : législative, C : cantonale, R régionale, E européenne).
A la lecture de ce graphique on ne peut dire que l’élection de 2011 marque pour le FN un progrès par rapport à des scores antérieurs. Par contre l’effondrement de la droite fait que l’écart entre elle et le FN diminue fortement.
2007/2011 est la seule période où l’on observe une progression relative du FN sur 5 élections, progression qui se fait au détriment de la droite.
La preuve s’il en fallait une que la droite qui ne cesse de se radicaliser et de rendre floue la frontière entre elle et son extrême récolte ainsi ce qu’elle a semé…intentionnellement ?
Dans une version moderne du « plutôt Hitler que le front populaire », plutôt le fascisme que la remise en cause du capitalisme ?
On observe aussi que c’est lors des européennes, qu’il y a systématiquement diminution de l’écart entre la droite et son extrême. A croire que pour l’électorat de droite (seul ?) le discours de l’extrême droite sur l’Europe est plus convaincant.
Si maintenant on observe les scores par rapports au pays réel, et donc au nombre des inscrits (en sachant que ce nombre ne prend en compte ni les français non inscrits soit environ 10% de la population, ni les étrangers), les observations sont les mêmes avec plus de netteté encore.
La perte en pourcentage des deux forces est visible. C’est même un élément essentiel depuis 30 ans : à l’exception notable de la présidentielle de 2007 qui apparait comme un évènement isolé [3], cette perte apparait clairement si on fait le total des deux forces :
Avec 41,05% des exprimés la droite et son extrême font leur plus mauvais score depuis 30 ans et c’est la même chose si on compare par rapport aux inscrits
17,85% des inscrits : un record d’impopularité. En voix, si on compare les deux élections comparables le résultat est édifiant. Alors que par rapport aux cantonales de 2004 il y avait cette année 1 million d’inscrits en plus, le droite et l’extrême droite perdent plus de 2 millions de voix (3 802 317contre 6 090 225), l’extrême droite seule perdant 140922 soit un peu plus de 9% de ses voix (1 393 644 contre 1 534 566) !
Et la gauche ?
La gauche profite-t-elle de cette débâcle ? Pas du tout comme le montrent les tableaux ci-après :
Pour le PCF, même allié au Front de gauche, on ne peut parler de progression [4] (en rouge et vert les deux dernières cantonales).
*Avec le Front de gauche
**Score avec le Front de gauche allié parfois au NPA : 3,88% des inscrits - 8,76% des votants.
Pour l’ensemble des forces de gauche non plus :
17,09% des inscrits ! Pas de quoi se réjouir ! Là aussi un des plus mauvais scores de ces 30 dernières années. La gauche perd près d’1,5 million de voix sur 2004, le PS 1 206 657 (25,92% de ses voix !), le PCF 232 304 (24,26% de ses voix) et 130402 (13,62% des voix) avec ses alliés du Front de gauche.
Avec une parité presque parfaite, la droite et la gauche ensemble totalisent à peine 35% des voix des électeurs.
Reste donc 65% d’inscrits qui ne se reconnaissent pas dans ces deux familles.
Les électeurs ont renvoyé dos à dos la gauche et la droite, renvoi dont ne profitent pas vraiment les verts qui font en 2011, moins de 4% des inscrits, sans progression notable (malgré « l’effet Japon » tant commenté par nos medias) sur leurs scores antérieurs des 10 dernières années [5]. La progression sur les exprimés (8,22% contre 4,48% en 2004) étant un trompe l’œil qui masque pour eux aussi une perte non négligeable en voix (65 209 soit un recul de 8% sur 2004 [6].
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Alors qui a gagné ?
Si on s’en tient aux cantonales, un dessin vaut mieux qu’un long discours.
Les abstentionnistes, et nous l’avons déjà dit ici, ne sont pas des pêcheurs du dimanche, mais des électeurs qui font un choix politique, celui de ne plus voter.
2011 a donc vu un nouveau record du PRV, « Parti des Refus de Vote » et c’est l’enseignement principal de cette élection. Il est faux d’avancer l’argument que ce taux record s’expliquerait par le fait que c’est la 1re fois qu’une cantonale n’est pas adossée à une autre élection. Si cet argument pouvait s’entendre en 1988, élection placée en septembre, donc juste après la période de juillet août peu propice à une campagne électorale, il ne peut s’entendre aujourd’hui puisque le cas s’est déjà produit en 1994 où la cantonale n’était couplée à aucune autre élection.
Le « parti des refus de vote » ne cesse de progresser comme le montre le tableau ci-après qui prend en compte toutes les élections hors européennes, ces dernières étant particulières et méritant une analyse spécifique.
Cette progression est particulièrement claire si on regarde les taux record d’abstention pour chacun des 6 types d’élections au suffrage universel existant en France.
Hormis là encore la présidentielle de 2007, le record d’abstention a été battu à chaque dernière élection du type concerné. La cantonale de 2011 n’est donc pas une exception mais se situe dans la norme. A chaque élection les français votent moins.
Election | Année record | taux |
---|---|---|
Européenne | 2009 | 59,37 |
Cantonale | 2011 | 56,4 |
Régionale | 2010 | 53,64 |
Législative | 2007 | 39,56 |
Municipale | 2008 | 38,95 |
Présidentielle | 2002 | 28,40 |
Le cas particulier des européennes.
Il est fréquent d’entendre dire par « les experts » désignés comme tels par les médias que les français s’intéressent moins aux européennes, car ce sont des élections lointaines, par opposition aux municipales ou aux cantonales qui sont des élections de proximité. La cantonale de 2011 montre assez que cette explication ne tient pas la route. De même le tableau ci-après montre que la question de la participation à cette élection ne peut s’expliquer par la question de la proximité. A deux reprises la participation a été plus importante non pas parce qu’il s’agissait d’un référendum et qu’il suffisait de répondre par OUI ou par NON, mais plus sûrement parce que les deux fois les électeurs ont eu le sentiment que leur vote était utile et qu’il posait une question de choix de société.
Quelques réflexions nationales…
Il y a à profusion dans notre pays développé, l’un des plus riches du monde, donneur en chef de leçon de démocratie sur toute la planète, des politologues, des observateurs avertis, des chroniqueurs en tous genres, qui, au vu de ces chiffres qu’ils connaissent, en toute logique, auraient du si ce n’est tirer des conclusions péremptoires au moins poser quelques questions qui s’imposaient.
Si les habitants de France après avoir battu des records de mobilisation ont battu des records d’abstention n’est ce pas tout simplement parce qu’ils ne trouvent pas de réponse politique à leurs aspirations ?
Si on s’en tient aux cantonales en quoi une gestion de gauche d’un canton, d’un département, est-elle radicalement différente d’une gestion de droite ? En quoi peut-elle être un point d’appui pour le combat contre un capitalisme que 72% des français rejettent ?
Croit-on qu’il peut y avoir un RSA de gauche ?
Plutôt que de nous expliquer dès aujourd’hui que la seule alternative qui nous reste pour l’avenir (qui passe forcément par 2012 selon eux) c’est de choisir entre Strauss-Kahn ou Le Pen, entre la dictature des marchés ou la dictature nationale, ce qui est de toute façon un non choix économique et social, ne faut il pas analyser ce refus de vote des électeurs comme un refus de tomber dans ce piège qui risque de nous conduire d’avoir un jour à combattre autrement que par les urnes un fascisme que d’autres auront préféré réhabiliter plutôt que de remettre en cause leurs choix politiques ?
De même celles et ceux, médias, sondeurs ou « politologues avertis » qui ne cessent de traiter le FN comme un parti comme les autres portent aussi une lourde responsabilité dans cette confusion entre le débat démocratique et la tribune donnée à un parti fasciste, confusion qui se retrouve dans la tendance à la passation des voix de la droite à son extrême.
Lourde responsabilité pour les libertés.
Ne risque-t-on pas de se retrouver, toutes proportions gardées, dans une « situation à la tunisienne » avec un futur hyperprésident élu à une très grande majorité… par une minorité de votants dans un pays qui ne croit plus à l’alternative du moins par les urnes ?
A la sortie de ces élections (et des précédentes) ne peut on pas se dire que pour une grande partie de la population, au-delà de l’abstention, ce qui grandit c’est l’idée même de révolution ?
…Et locales
Dans le département des Bouches du Rhône, Rouge Vif a été la seule force politique à critiquer sur le fond les choix politiques du conseil général. Elle l’a fait dans un département vérolé par les affaires, où le symbole de l’affairisme, des liens entre la mafia et la « gôche » et du clientélisme vient d’être réélu président du conseil général sans qu’une seule voix ne manque à l’appel.
Notre intention était de faire reculer l’abstention sur le canton. Nous nous sommes présentés aux gens (plus de 800 personnes rencontrées en porte à porte) en expliquant nos candidatures par le fait qu’en tant que communistes nous remettons en cause les choix de ce département et donc notre refus d’appartenir à sa majorité.
Dans les circonstances actuelles notre score de 5% est plus qu’honorable, mais même si nous sommes les seuls à « gauche » à progresser en pourcentage sur le canton, force est de constater que nous n’avons pas réussi à faire reculer l’abstention de manière significative, en particulier dans les cités populaires. Cela tient à plusieurs raisons parmi lesquelles un manque de visibilité nationale de ce courant communiste sans compromission et à notre activité trop faible en temps ordinaire dans ce canton.
Pourtant nous savons bien que nombre des électeurs qui ont voté pour nous font partie de celles et ceux qui ne seraient pas allés voter sans notre présence ou, pour reprendre les mots d’une jeune participante à notre assemblée qui a suivi le 1er tour, sont passés d’un « vote par dépit à un vote de conviction ».
L’accueil extraordinaire que nous avons reçu, la richesse des débats que nous avons eus, s’ils ne se reflètent pas encore dans les urnes à la hauteur où on aurait pu l’espérer, sont autant d’encouragements à continuer et amplifier notre action en intégrant les nouvelles et nouveaux adhérent-e-s qui ont décidé de nous rejoindre. En juin Rouge Vif 13 tiendra son 1er congrès.
Comme le dit notre déclaration d’après 1er tour : le combat continue…
[1] sources ministère de l’intérieur www.interieur.gouv.fr et www.france-politique.fr
[2] élections où les listes d’union au 1er tour ne permettent pas de différencier les 4 familles politiques choisies
[3] lire à ce propos notre édito de l’époque qui apparait aujourd’hui comme prémonitoire
[4] Le score du seul PCF aux régionales de 2004 et 2010 ne peut être pris en compte à cause du nombre important de liste d’union au 1er tour
[5] entre 1,5 et 4% des inscrits
[6] 818 201 voix aux cantonales de 2004, 752 992 voix en 2011 toutes formations écologistes confondues
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