A Malte, les camps de réfugiés ne règlent rien
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Alors que des centaines de migrants ont débarqué ces derniers jours sur l’île italienne de Lampedusa et que les pouvoirs publics italiens annoncent 24 000 arrestations d’étrangers en situation irrégulière pour l’année 2008, à Malte, pays membre de l’UE tout proche de la Sicile, les autorités font face à un afflux toujours plus nombreux, d’immigrants en détresse venus de la Méditerranée. L’accueil y est particulièrement difficle comme le montre ce reportage publié dans le journal britannique « The Guardian ».
Au deuxième jour de la traversée entre les côtes libyennes et européennes, Richard Josiah reçut l’ordre de passer par-dessus bord les corps émaciés de deux femmes somaliennes. En plein hiver, les eaux glacées de la Méditerranée avaient de quoi décourager, mais il n’y avait pas à discuter. « Tu ne peux pas laisser des cadavres pourrir à côté de toi », lui dit un homme d’une trentaine d’années et qui venait de passer dix-huit mois dans un centre de détention de Malte. « Elles étaient déjà faibles et malades au moment d’embarquer. Je me rappelle leurs visages. »
Josiah faisait partie d’un groupe de 55 immigrés qui avait payé entre 1 000 et 1 200 dollars à des passeurs libyens pour faire la traversée sur deux esquifs de 10 mètres dans l’espoir d’atteindre l’Italie. Après trois jours de dérive, les bateaux ont été interceptés par une patrouille de l’Union européenne et tous les passagers envoyés à Malte, cette île qui se situe, avec celle de Lampedusa, aux avant-postes de la lutte contre l’immigration clandestine.
Depuis 2002, le gouvernement maltais a traité 11 500 cas de réfugiés politiques ou économiques, ce qui équivaudrait à 1,7 million en France, en Italie ou au Royaume-Uni. Aujourd’hui, la tension est palpable. Les inscriptions hostiles aux immigrés ont recouvert les murs de grès de la capitale, La Valette, ancienne ville fortifiée du XVIe siècle. Les Africains se plaignent souvent d’être victimes du racisme, et une grande œuvre de charité des jésuites a été visée par des incendies volontaires en raison de son soutien affiché aux migrants.
« Un terrifiant sentiment de xénophobie est en train de se développer ici, et je pense que le gouvernement porte une part de responsabilité », explique Neil Falzon, représentant local du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). « Il donne l’impression que les Maltais ne peuvent pas gérer ce phénomène. En réalité, ils n’ont pas le choix. Il y a déjà une communauté africaine installée sur l’île ; simplement, elle ne vit pas la même vie que le reste de la société. Le gouvernement devrait s’occuper de leur intégration en leur offrant du travail, des écoles et des maisons, au lieu de participer à cette hystérie nationale. »
Malte est le seul pays membre de l’Union européenne à placer automatiquement tous les immigrés clandestins en détention pour une durée légale maximale de dix-huit mois. Près de 2 000 personnes sont actuellement emprisonnées dans des camps délabrés. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a fait part de son inquiétude concernant d’éventuelles violations de la convention de Genève, et plusieurs organisations non gouvernementales appellent le gouvernement maltais à se montrer moins sévère envers les migrants.
Près de la moitié des 4 000 immigrés ayant été libérés de ces centres de détention vivent dans des camps de fortune, ouverts et insalubres, constituant de fait des ghettos noirs. Ils acceptent les emplois les plus mal payés, que refusent désormais les Maltais, de plus en plus diplômés, et travaillent comme portiers d’hôtel, éboueurs ou ouvriers dans le bâtiment ou en usine. Depuis huit ans que Malte est devenu un point de passage des flux migratoires, l’ascenseur social ne semble guère fonctionner pour la communauté africaine.
« Ce sera une véritable catastrophe sociale », déclare le père Joseph Cassar, membre du Jesuit Refugee Service, une ONG œuvrant en faveur des réfugiés. « Je crains que d’ici cinq ans nous n’assistions à l’apparition de ghettos, de troubles sociaux et à une montée de l’extrême droite. »
De vieux barreaux enfoncent leur rouille le long des murs autrefois blancs de Marsa, une ancienne école délabrée transformée en centre ouvert pour migrants. Plus de 1 200 personnes s’y relaient pour dormir sur des lits superposés et se partager des sanitaires abjects. Les bâtiments sont divisés par ethnies, entre Somaliens, Soudanais et Africains de l’Ouest. Pour les plus chanceux, Marsa n’est qu’un point de passage avant de trouver un emploi régulier leur permettant de trouver un logement plus décent. Pour les autres, Marsa est le symbole de leur désillusion : ils sont libres, mais vivent en marge de la société européenne. Selon les responsables du centre, chaque mois, au moins un migrant tente de se suicider.
Aidan Jones
The Guardian le 02/01/2009
Transmis par Linsay
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