La haute route de l’Everest (III)

samedi 31 juillet 2010
par  Charles Hoareau
popularité : 3%

Namche

Le deuxième jour est celui de la montée vers Namche, appelé par les Népalais, Namche Bazar, pour bien signifier la vocation commerçante de cette petite ville où l’on vient de tout le Khumbu pour se ravitailler. C’est aussi le lieu de passage obligé pour les randonneurs ou les himalayistes qui vont vers les sommets du Khumbu, l’Everest en particulier. Au fait, savez-vous quel est le vrai nom de cette montagne, la plus haute du monde ? Sagarmatha pour les Népalais, Chomolungma pour les tibétains.

Le nom d’Everest vient d’un anglais qui, au 18e siècle, ne l’ayant même pas montée, a décidé de donner son nom à cette montagne. Imaginez un peu qu’en France un malien en 1812 ait décidé de donner à notre plus haut sommet son nom et que d’autres africains en visite sur notre sol l’aient ensuite imité.

Le Mont Blanc s’appellerait alors le mont Abderrahmane CISSE, les Grandes Jorasses les Aminata Diallo et les Drus pointes Ait Ould Ahmed. Je ne suis pas bien sûr que nos édiles apprécieraient, la population locale non plus, c’est pourtant ce qui se passe pour l’Everest que nous appellerons donc désormais, à partir de cette ligne, de son vrai nom le mont Sagarmatha.

La montée vers Namche se fait par un chemin semblable à celui de la veille, tantôt empierré, tantôt chemin de terre tassée par les milliers de pas des hommes. Les porteurs, avec leurs dokos disparates et chargés partent devant formant une colonne d’un esthétisme certain. A leur suite notre petite caravane humaine se met lentement en route. Nous traversons les villages népalais souvent bâtis en bois, matériau le plus disponible et le plus pratique à cette altitude. A la différence des chalets des Alpes, ici le bois des bicoques n’est ni verni, ni vraiment raboté. Les planches (ou parfois les troncs) rouges qui font les murs sont brutes et grossièrement assemblées. Les maisons, à la verticalité improbable, donnent l’impression de pouvoir s’écrouler à tout moment, mais bon elles tiennent…

Souvent les façades donnant sur le chemin qui traverse le village, sont largement ouvertes au regard. Il s’agit alors de maisons, dont la pièce commune est temporairement transformée en boutique où le voyageur peut faire quelques emplettes. Des portes fenêtres dont on a enlevées le volet, donnent à voir un comptoir et des étagères remplies de paquets et de bouteilles de toutes sortes. Le riz, les galettes, le sucre et le thé y côtoient l’eau minérale, les sodas et l’inévitable coca, sans parler de la bière de l’Himalaya, production d’une vallée voisine qui soutient la comparaison avec nos bières ordinaires. Assise au pied du comptoir d’une de ces échoppes une petite fille toute habillée de rouge contemple les passants pendant qu’une poule rousse, à l’air grave semble surveiller la route du haut du comptoir qu’elle a pris comme perchoir.

Plus loin, le long d’une falaise tourmentée, haute de plusieurs dizaines de mètres, une cascade, telle un immense voile de tulle blanc agité par le vent, vient se jeter, en sautant de rochers en rochers, dans une grande vasque au fond tapissé de galets lisses et réguliers et dont l’eau limpide donne envie de se baigner malgré la température fraîche de ces lieux.
Nous rentrons à nouveau dans la forêt, au détour d’un lacet, un homme, émissaire de son village, attend près d’une tente. Il collecte des fonds pour la poursuite de l’empierrement de la route. En l’absence d’Etat c’est la seule solution qui reste aux sherpas.

(…)Le sentier continue de monter dans la vallée qui se fait plus encaissée.. Les flancs aux nuances de verts du plus sombre au plus clair se rapprochent désormais. Nous arrivons à l’entrée du parc de Sagarmatha, marquée par un portique de pierres blanches taillées surmonté d’un toit de tôle rouge. Une frise richement peinte d’or, de bleu outremer et de vermillon en orne le fronton. A l’intérieur du portique qui ne fait guère plus de quelques mètres de large, deux rangées de moulins à prières carmin encastrés dans les murs latéraux donnent au passant l’occasion de montrer qu’il n’oublie pas son devoir de prières.

En avant du portique, sur le côté du chemin, un bâtiment abrite le poste de garde. Devant lui un espace de terre battue, garni de bancs sommaires, accueille les touristes qui attendent pour verser leur taxe en échangeant propos et plaisanteries dans un anglais aux accents venus de différents coins du monde.

Insensible à tout ce bruit et à la foule qui en est la cause, un peu à l’écart du tumulte, sur de vieilles planches brunâtres qui lui servent d’établi, un sherpa, engoncé dans une veste élimée au gris défraîchi qui a dû être élégante autrefois dans un autre pays, passe sa vieille varlope sur une volige naguère tordue et que l’outil domestique, d’un geste régulier et sûr, faisant jaillir, à chaque mouvement, des guirlandes de copeaux de bois clair qui viennent s’enturbanner autour de notre artiste qui s’ignore, avant de se laisser tomber à terre dans un tapis de boucles dorées.

(…)Depuis notre départ la rivière s’est par moment rapprochée jusqu’à venir à la hauteur du chemin …à moins que ce ne soit l’inverse et de ce fait, lors d’une traversée, nous pouvons contempler dans un petit réduit un moulin à farine mû par la force du torrent.

Nous nous éloignons d’elle à nouveau. Encore deux passerelles d’une centaine de mètres de long dont les filins balancent bien haut au-dessus de la rivière, laissant définitivement derrière nous la dernière forêt, nous arrivons dans la capitale sherpa.

Namche, village de 3000 habitants, est bâti, sur des arcs de cercles concentriques superposés, adossés au flanc de la montagne comme si leurs habitants avaient voulu construire des maisons avec vue imprenable sur la vallée. Le centre de ces arcs est, en bas du village, un large terre-plein, autour et au-dessus duquel s’organisent les demi-cercles supérieurs. Entre le bas et le haut du village il y a bien 150 mètres de dénivelé que les villageois montent et descendent en permanence tout au long de la journée. Ici on ne fait pas « un tour » du village mais une « montée - descente » de la rue principale et de ses arcs de cercles latéraux où les boutiques les plus diverses s’offrent aux yeux des passants dont certains trouvent là, rien qu’en faisant leurs courses, un lieu idéal d’entraînement pour leurs ascensions futures.

Du haut du village on a l’impression de dominer un immense théâtre antique aux gradins bleus, ce bleu caractéristique des toits de tôle des maisons du Khumbu. Le théâtre Namche est entouré de verdure, de ce vert sombre des forêts népalaises qui fait encore plus ressortir le bleu ciel des toitures. L’entrée des artistes se fait à l’arrière par le Bhote Koshi, le torrent qui coule en contrebas entre les montagnes. L’arène est un terre-plein semblable à une grande palette badigeonnée de multiples couleurs. Le rouge, le jaune, l’orange s’y mêlent et s’y entrecroisent d’où émergent des pièces de tissu d’un nouveau ton de bleu, le bleu des tentes du marché tibétain, équivalent népalais de nos puces, où les locaux viennent acheter couvertures bariolées, pantalons, vestes…La palette de couleurs s’ouvre chaque matin pour occuper tout l’espace, de ses tons et de ses sons. Puis lorsque la nuit s’annonce, le silence peu à peu s’impose, la palette se ferme, pour mieux revenir le lendemain encore plus vive, plus diverse et plus bruyante.

A Namche on trouve étonnamment de tout : du matériel pour la montagne bien moins cher qu’en France (mais cependant plus cher qu’à Katmandou), des piles de toutes sortes, des cartes mémoire pour appareil photo numérique, mais aussi des matériaux de construction, du ravitaillement aisément transportable, un bureau de change, une poste, un cybercafé, des bars... C’est la station de montagne des Alpes, les yacks en plus, les téléskis et les immeubles en moins…

A partir de maintenant commence pour nous ce que l’on appelle la marche d’approche et d’acclimatation. Pour nous habituer à l’altitude et au manque d’oxygène, après Namché où nous passerons deux nuits, nous dormirons chaque jour 400 mètres plus haut que la veille et dans la journée nous monterons au moins aussi haut que l’altitude prévue pour notre gîte du lendemain. Donc suivant ce principe si le lundi notre lodge est à 4000 mètres d’altitude, le mardi nous monterons à 4800 mètres puis redescendrons pour dormir à 4400 mètres et ainsi de suite. En altitude la polyglobulie, le phénomène sanguin qui permet de compenser le manque d’oxygène, ne démarre qu’au bout de six jours : il faut donc en tenir compte pour une expédition de ce type. Sans acclimatation suffisante et progressive des accidents graves dus au mal aigu des montagnes sont possibles. D’où l’importance de respecter ces paliers. C’est d’ailleurs en ayant aussi cela en tête que nous faisons une escapade vers deux villages voisins situés juste au-dessus de Namche.

Khumjung et Khunde

(…) Les derniers arbres d’avant Namche ont maintenant laissé la place à une végétation aux couleurs d’automne, tondue de près par les premiers vrais yacks que nous rencontrons. Bruns ou noirs, à la robe tachetée ou unie, animaux massifs à la laine épaisse et longue, les yacks avancent paisiblement, avec ou sans charge, en dandinant doucement la lyre faite des deux belles cornes hautes et galbées qui ornent leur tête. Comme ils ont très souvent des clochettes à leur cou, le tintement de ces dernières ajoute à la beauté de leur passage lent et majestueux. Plus nous montons plus la rocaille est présente laissant présager des paysages minéraux qui nous attendent les jours suivants. . Au détour d’un collet nous découvrons Khumjung, village posé au cœur d’un petit cirque de montagnes où la neige est encore rare. La couche de nuages laisse passer quelques flaques de soleil qui viennent inonder ici un champ, là quelques habitations, plus loin des morceaux de prairies ocre et rouille, ailleurs un énorme ballot de paille posé sur deux pieds qui le déplacent lentement.

L’arrivée à Khumjung, se fait par un large chemin plat, divisé en deux par un long monument de la hauteur d’un homme et constitué de centaines de plaques de pierres mises côte à côte et incrustées de prières bouddhistes : un chörten. Les côtés du chemin sont bordés de ces murets de pierres sèches que l’on voit dans tout le Khumbu, jamais bien haut, ils délimitent les parcelles familiales tout en laissant largement la place au regard. Tout près de nous, une rangée de femmes, par coups de bêche patients et répétés, fait lentement reculer le vert qui recouvre leur champ, faisant apparaître, choc après choc, un nouveau morceau d’une terre marron, grasse et humide. Sur le côté des enfants, encore trop petits pour participer aux travaux des champs jouent en piaillant.

La scène fait penser au temps où chez nous dans les campagnes, venait la période des travaux collectifs, qu’il s’agisse de la tue cochon, de la moisson ou du ramassage des pommes de terre.

Quand les patates avaient été arrachées par l’homme, chef de famille à qui revenait ce labeur, d’abord il y a bien longtemps avec un cheval de trait, puis plus tard avec un tracteur, par familles entières le village se rendait aux champs. Les hommes jeunes, avançant en première ligne, dégageaient les patates des pierres et des mottes de terre encore collées à leur peau et les triaient, laissant derrière eux des rangées de trois tas distinguant, selon une ancestrale unité de mesure très empirique, les « grosses, les moyennes et les petites ». La rangée des femmes suivait. Armées chacune de deux caisses elles nous laissaient à nous, les enfants, le soin, entre courses, disputes et éclats de rires, de ramasser les « petites » qui serviraient d’aliment de base aux cochons.
A l’ombre du cerisier du bout du champ les bébés dans leur landau signalaient par leurs cris l’heure de la pause libératrice.

Plus tard, le travail a été effectué par des espagnols qui à seulement quatre hommes costauds et rapides, grâce à une paye au rendement ne laissant guère de place aux pauses et aux rires, ont réussi à égaler les performances dues à notre grand nombre. Aujourd’hui, les espagnols « étant devenus trop chers », on fait venir tout exprès pour la saison, des marocains que l’on va chercher chez eux grâce à l’OMI.

L’OMI, Office des Migrations Internationales (et des droits très approximatifs de l’homme), fait bien les choses puisqu’il s’assure que ces hommes sont bien « attachés » (sic !) à un employeur précis, que leur titre de séjour expire bien à la fin du travail pour lequel on les a fait venir et qu’ils respectent à la lettre les conditions prévues par le contrat OMI, s’ils veulent avoir le droit de revenir l’année d’après.
Et le village ne se rassemble plus.

L’homme travaille seul avec des hommes avec qui il n’a aucun lien et dont il se désole souvent qu’ils parlent arabe et prient un dieu dont la télé lui dit qu’il est bizarre et sanguinaire…pendant que son fils se morfond au chômage en ville…

Ici au Népal les villages se rassemblent encore…

A Khumjung nous découvrons une coopérative de femmes. Celles-ci vendent toutes sortes d’objets fabriqués avec de la laine de Yack des bonnets, des gants, des tapis… Evidemment, nous en achetons et voyons-là une occasion de reparler de la marche mondiale des femmes…

Ici, comme en Afrique, les femmes s’affairent aux tâches les plus diverses y compris celles que dans nos pays occidentaux si bien évolués (c’est bien connu !) nous commençons à nous dire qu’il faudrait ne pas les réserver aux hommes.

Nous avons vu des femmes refaire le pavage des rues, porter dans des dokos de volumineuses quantités de foin, ramasser des bouses de yacks pour en faire des galettes plates que l’on colle sur des murs de pierres dont elles se détacheront toutes seules quand elles seront sèches prêtes à servir de combustible, cultiver la terre, traire les dris [1], gérer des lodges ou tenir des boutiques…Ont-elles pour autant conquis l’égalité ? Rien n’est moins sûr surtout si l’on prend connaissance des rapports sur les trafics de femmes et d’enfants au Népal ou sur les différences qui persistent tant dans l’accès aux responsabilités que dans l’accès au droit. En fait ici, dans un des pays les plus pauvres du monde, le statut des femmes est indissociable de leur caste et de leur statut social. La pauvreté ne laisse guère le choix et l’émancipation semble un luxe qu’elles ne peuvent guère s’offrir.

Dans la coopérative nous prenons du temps pour admirer le fruit du travail de ces femmes témoignant de leur patience et de leur obstination manufacturières. Et en plus cela fera de très jolis et utiles cadeaux pour nos amies féministes marseillaises.

Khunde n’est pas très loin, derrière un petit col, dans un creux de la montagne et à l’abri du vent comme Khumjung. Après le repas, nous visitons un monastère où, dans une salle aux couleurs vives et aux statues écarlates, le moine, suite à nos dons, nous fait successivement voir un des multiples livres de prières très anciens en forme de rectangle très allongé et à la couverture en bois et … un scalp du yéti gardé dans un coffre à reliques ! Authenticité garantie !

C’est aussi à Namche que j’apprends mes premiers mots népalais et enseigne à Pemba et Hang Helu leurs premiers mots de français, ceux qui sont indispensables dans la vie quotidienne : Fou = boola, voleur = dagarra, rire = asne.

Je leur apprends bien sûr aussi fada et autres mots culturels. C’est en conclusion de ce riche échange linguistique que Hang Helu me donne le nom qui va me rester tout le long de la randonnée : badje = vieux. Comme il me dit que c’est à cause de la barbe et non à cause de mon grand âge, je suis rassuré. Il me demande en retour de l’appeler Tsoira qui veut dire fils mais que l’on pourrait aussi traduire dans le cas présent par fiston. Je ne crois pas me faire un film en mesurant l’affection que représente une telle demande

Je crois que spontanément - et comment peut-il en être autrement ? – on ne peut avoir que de l’affection pour ces gens pauvres à la vie si dure et qui sont d’une attention, d’un dévouement à notre égard qui est si extraordinaire qu’il nous gêne par moments. Ici comme en Afrique l’hospitalité n’est pas un vain mot, elle est même élevée au rang suprême.
Quand je pense à la manière dont sont « accueillis » en France les étrangers ou même les français que l’on appelle les « issus de » et je ne parle même pas des sans-papiers…

Bon ceci étant dit j’ai donc pris aujourd’hui ma première leçon de népalais. Pour les insultes et autres mots grossiers nous verrons plus tard.

Voir les photos de cette étape : cliquer ici


[1femelle du yack



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur