La haute route de l’Everest (II)

Carnet de voyage d’un naïf
samedi 24 juillet 2010
par  Charles Hoareau
popularité : 4%

octobre 2007

Il n’y a pas de route pour rejoindre la vallée de l’Everest en partant de Katmandou. Soit on passe par des sentiers et cela prend 7 jours de marche, soit on utilise les vols intérieurs de Yéti Air line qui en 3/4h mouvementés nous mènent à Lukla, village situé à 2800m d’altitude et porte du pays sherpa…

Envol pour Lukla

(…) Autant à notre arrivée l’aéroport international de Katmandu était désert, autant l’aéroport national grouille de monde. A notre descente du bus des népalais se proposent de façon insistante pour être nos porteurs jusqu’au hall. Ce sont des situations qui se reproduisent souvent et chacun gère comme il peut, des situations qui mettent à nu notre position d’occidentaux riches par rapport à un peuple démuni quêtant par un service, la vente d’un objet ou simplement la mendicité quelques subsides. Ici ce n’est pas la colonisation qui a faussé les relations entre les hommes mais la différence de revenus des habitants des pays riches et des pays pauvres.

La salle d’embarquement de l’aéroport est remplie pêle-mêle d’alpinistes et de randonneurs de tous les pays - riches - du monde, de népalais rendant visite à leur famille par un avion qui leur fait économiser sept jours de marche [1] ou une journée de bus dans des routes de montagnes éprouvantes pour les nerfs pour celles et ceux qui vont à Pokhara, point de départ vers les Annapurna, d’employés d’aéroport qui s’affairent tranquillement en tous sens, mais aussi de bidons bleus, de sacs de riz, de bagages de toutes sortes et de toutes couleurs. (…)

Vol après vol, un homme vient crier les destinations et les compagnies, c’est ici ce qui remplace avantageusement la douce voix sirupeuse des hauts parleurs précédée des ding dong caractéristiques entendus dans les aéroports occidentaux.

Nous montons dans un minibus après êtres sortis les « gents » d’un côté et les « ladies » de l’autre et nous voilà à rouler sur le tarmac en direction de notre avion de la Yeti Air au logo en forme de plante de pied ou plutôt de patte.

A notre descente du bus c’est le choc ! Un « petit avion jouet » nous attend, un matatu [2] avec deux ailes et deux réacteurs dans lequel nous montons par un marche pied de 3 degrés pour nous retrouver assis sur de vieux fauteuils que l’on dirait récupérés sur les bus de Katmandou et que l’on atteint en se baissant pour ne pas se cogner la tête. On a la vue directe sur le cockpit et son pilote qui tient au-dessus de lui une poignée dont j’hésite à dire si elle manœuvre un siège éjectable ou sert simplement à se tenir en cas de secousses. Un fou rire irrésistible nous prend et les réflexions fusent qui rajoutent encore à l’hilarité générale. « Vous croyez que les essuie-glaces - qui semblent effectivement des antiquités - se manœuvrent à la main comme sur la vieille micheline Ajaccio/Bastia » ?
« Au moins fermez la porte de la cabine qu’on ne voit pas le chauffeur ! »

L’hilarité atteint des sommets quand l’hôtesse, car Yéti Air même pour un si court vol dans un si petit appareil a affecté une charmante hôtesse en tenue traditionnelle népalaise ce qui rajoute encore à sa grâce, quand cette jeune et jolie demoiselle donc, passe en se courbant dans les rangs pour proposer un bonbon à la menthe… et du coton pour se boucher les oreille !!

Olivier [3] s’assied à l’arrière, peut-être à cause de son statut ou peut-être pour être à côté de l’hôtesse. Si le matatu volant doit s’écraser au moins que notre guide puisse se réfugier dans des bras agréables, accueillants et salvateurs…

A son démarrage l’avion nous surprend par l’impression de force et de puissance qu’il donne malgré sa taille. Le vol Katmandou / Lukla dure 45 minutes, juste assez de temps pour que l’appareil monte à 4000 mètres et redescende à 2800 mètres, altitude du village népalais. Rapidement nous vous trouvons au-dessus des champs… mais au-dessous du sommet des montagnes et l’avion va donc voler au milieu d’elles. C’est bien la première fois qu’en avion, pour regarder le sol on lève la tête ! A l’avant, deux japonaises qui ont dû acheter leur carte du Népal dans un magasin de farces et attrapes croient sans arrêt voir sur leur gauche l’Everest alors que celui-ci est sur notre droite et surtout est invisible du vol…

Nous n’avons pas senti l’amorce de la petite descente mais par contre nous voyons la montagne et les arbres se rapprocher à toute allure. Le pilote tire sur la poignée mystère et nous nous trouvons à passer par une brèche et, celle-ci franchie, face à une piste, enfin je ne sais si le mot convient bien, pour désigner la langue de bitume, étroite et courte comme une impasse de Katmandou, fermée par un immense mur de roche grise qui parait nous foncer dessus.

Avec une maîtrise incroyable, le pilote tire sur la poignée, l’avion se pose sans secousses, ralentit et tourne à 90 degrés…juste avant la paroi rocheuse. Nous sommes arrivés. Personne ne peut retenir ses applaudissements en se demandant comment il a fait. On vérifiera ensuite que l’impasse fait 100 mètres de long et 4 à 5 mètres de large ...

Tout compte fait, une fois à terre je me dis que j’aurais bien fait de prendre du coton. Cela m’aurait évité les réflexions de mes compagnons de vol du style « T’as vu il monte à 4000 mètres ! », « T’as vu comme il passe près des arbres », « tu te rends compte qu’en plus il navigue à vue car il n’y a pas de tour de contrôle à l’arrivée ! » et la pire « Mais où il va se poser ? Il fonce droit sur la montagne !!! »

Nous descendons sur un espace bitumé qui fait penser à une ancienne cour de récréation de l’école de Lukla transformée en tarmac et nous sortons. Sur un chemin en terre qui borde l’aéroport derrière une ficelle tendue à 20 cm du sol, des népalais aux habits sales et dépenaillés, attendent qu’un des passagers achète leurs services qu’ils devront monnayer. La conquête de l’Everest aujourd’hui c’est cela aussi, des hommes sans statut qui cherchent sans aucune garantie à vendre leur force de travail journalière. Nous n’avons pas besoin d’eux puisque Allibert [4] a déjà formé l’équipe qui nous accompagnera. Celle-ci nous attend au lodge [5] qui nous accueille. En passant devant ces hommes qui portent sur leur front la misère que l’afflux massif de touristes bien plus fortunés qu’eux n’a pas réussi à faire disparaître, quand elle ne l’a pas aggravée, je ne peux m’empêcher de me demander à quoi ils pensent en nous voyant. Il y a 100 ans l’écart entre pays riches et pays pauvres était de un à trois, aujourd’hui il est de un à quatre vingt ! Dans un pays comme le Népal cela saute aux et ne semble pas prêt de s’arranger. Dans ces conditions que se passe t-il dans leurs tête ? Quel regard ont-ils sur nous et sur la répartition des richesses dans le monde ? Peut-être un élément de réponse à ces questions est-il en partie dans une autre surprise qui nous attend quelques mètres plus loin ?

Au cœur de Lukla, face au poste de police, se dresse un bâtiment imposant sur lequel flotte un grand drapeau rouge avec la faucille et le marteau et sur le mur duquel est collée une affiche portant les portraits de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao !! J’avais bien sûr entendu parler de la guérilla maoïste du Népal, qui a d’ailleurs depuis 2 ans cessé la lutte armée mais de là à penser qu’elle soit aussi présente… [6] Cette présence nous aurons l’occasion de la vérifier à plusieurs reprises sur notre parcours, slogans peints sur les roches, affiches et drapeaux accrochés à des maisons, manif en Une du « Katmandou Post »…

Les marxistes ne s’en sont jamais pris aux touristes conscients qu’ils sont de la manne financière que cela représente mais en même temps cet étalage de différences de richesses peut-il être durablement supportable ? Pour chaque sommet, à l’entrée de chaque parc, il y a une taxe à payer. La taxe de l’Everest est de 10 000 euros par personne !! Au-delà de l’utilisation de cet argent par l’un des gouvernements les plus corrompus du monde, comment humainement accepter de dépenser une telle somme dans un pays où les gens dans bien des endroits vivent comme au Moyen Age !? Et que peut penser un népalais témoin de la ruée vers l’or du tourisme ?

Des organisateurs de voyages, conscients de ce problème, amoureux de la nature et respectueux des gens essaient de trouver des réponses. Bien sûr, celles-ci sont partielles et imparfaites mais au moins à leur niveau ils tentent quelque chose à l’exact inverse de ce que font les dirigeants de la banque mondiale et du FMI. Si déjà il y a deux ans, pour un voyage en Afrique, nous avions choisi le voyagiste Allibert, c’est parce qu’en plus d’un discours humaniste il y avait des actes que l’on ne peut que saluer et que l’on a pu vérifier.

Nous avions gravi le Mont Kenya qui est dans le pays du même nom et le Kilimandjaro qui est en Tanzanie. Ce dernier pays est souvent présenté comme un pays maoïste - ce qui ne veut absolument rien dire en l’espèce - tout simplement parce que l’Etat a une part de son économie qui est planifiée et qu’il protège ses salariés. A l’inverse au Kenya, pays « démocratique » aligné sur le modèle anglo-saxon, le libéralisme est roi et l’offre et la demande jouent à plein.

Au-delà du fait qu’aujourd’hui nombre d’économistes, y compris partisans du libéralisme sont obligés de constater que le Kenya s’effondre économiquement alors que la Tanzanie est en position de presque devenir un modèle de réussite [7] nous avons pu mesurer concrètement les répercussions de ces choix et le rôle du voyagiste.

Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, en Tanzanie, la charge des porteurs est limitée à 15 kg. Chaque matin et chaque soir les gardes du parc du Kilimandjaro vérifient si le sac des porteurs répond bien à cette obligation.

Au Kenya, il n’y a aucune limite mais Allibert a choisi d’y appliquer la législation tanzanienne ce qui a pour conséquence de faire travailler plus de gens, dans des conditions décentes, quitte à ce que le voyagiste supporte ou fasse supporter un coût plus élevé que ses concurrents.

Au Kenya nous avons vu des porteurs d’autres expéditions, porter des charges considérables tout simplement pour faire économiser de l’argent à l’ascensionniste !...De plus Allibert, comme d’autres voyagistes trop peu nombreux, forme des équipes locales, soutient des microprojets de développement…

Bien sûr les esprits chagrins pourront toujours dire que c’est une question d’affichage pour eux (mais entre nous c’est un affichage que j’apprécie) ou que cela ne va pas changer le monde. Ils pourront dire aussi que ce ne sont que des gouttes d’eau, mais j’aime à penser que ces gouttes finiront par former des rivières, qu’elles irriguent l’humanité, qu’elles sont le fait de gens généreux qui essaient à leur manière, là où ils sont, de faire des choses qui vont dans le sens progrès humain. Cette position s’est encore renforcée depuis 2 ans, puisque devant la croissance continue de ce marché du tourisme et de la randonnée, des esprits bien intentionnés ont proposé à nombre de voyagistes des apports d’argent sous condition de rachats et de restructurations, opérations où les banques jouent un rôle primordial. Allibert, petite entreprise familiale fondée au départ par 3 amoureux de la montagne a refusé l’apport de capitaux et tient à son éthique.

A la sortie du village de Lukla, nous découvrons le lodge où nous attend l’équipe de porteurs et de sherpas qui vont nous accompagner. Contrairement à ce que l’usage a retenu, les sherpas sont loin d’être tous porteurs et vice-versa. Les sherpas sont le peuple du massif du Mont Everest. Jadis nomades, ils se sont sédentarisés avec l’apparition de la culture de la pomme de terre, légume qui est devenu une spécialité locale. Ils représentent près de 5% de la population du Népal. Habitants des montagnes dans des villages qui s’étagent entre 2500 et 4600 mètres d’altitude, ce sont eux qui servent dans leur immense majorité de guides locaux. Les porteurs eux, appartiennent la plupart du temps à d’autres communautés et gagnent leur vie en transportant de village en village tout ce dont les hommes ont besoin.

Pour en revenir au poids, la législation népalaise prévoit en principe un maximum de 30 kg par porteur, ce poids peut paraître excessif mais dans la vie courante, hors tourisme, pour leur activité propre les hommes portent bien plus que cela.

En fait, comme il n’y a aucun contrôle, à part des voyagistes trop peu nombreux, personne ne respecte la loi.

Pire se pratique encore la paie au poids avec les conséquences que l’on imagine dans un pays où il n’y a ni route, ni aucun moyen de transport autre que les hommes ou les yacks. Hommes ou yacks portent en fait le même poids à savoir un maximum de 80 kg. Et l’on croise en permanence tout au long des chemins empierrés du pays sherpa des hommes portant des fardeaux impressionnants. [8]

Il y a d’ailleurs toute une réflexion à avoir - que dans leur majorité les anglo-saxons n’ont pas du tout - sur le salaire à verser à un sherpa, à son aide, au cuisinier, aux porteurs. Payer ces gens en salaires ou en pourboires de façon démesurée peut avoir des conséquences graves pour l’économie locale en poussant de fait toute une population à abandonner son activité première au profit d’une saisonnalité forcément aléatoire. Cela a été particulièrement visible dans les années où la baisse du nombre de touristes mondiaux a été particulièrement sensible suite aux attentats du 11 septembre. Nombre de népalais qui avaient tout quitté (bêtes et champs) pour ne vivre que du tourisme l’ont vérifié durement.

Pour l’heure, loin de ces considérations nous faisons connaissance avec Hang Helu, le sirdar (ou chef d’équipe), Pemba Chirri sherpa, Passam Benji - fait rare à souligner - femme sherpa et épouse de Hang Helu, Hem le cuisinier et 7 porteurs dont on a du mal à retenir et prononcer les noms, ce qui nous vaut notre premier fou rire partagé dans le jardin du lodge, devant lequel flotte… un drapeau rouge !

(…) Notre randonnée durera 18 jours et va nous amener à traverser le Solu Khumbu [9] région sherpa du massif de l’Everest, frontalière avec le Tibet.

L’Himalaya, massif immense va de la Chine au Nord Est à l’Inde au sud-ouest et comporte 14 sommets de plus de 8000 mètres. Sur ces 14 sommets, 9 sont au Népal et 4 dont l’Everest, sont dans le Solu Khumbu. Cela dit en long sur la région !

Celle-ci comporte 4 vallées : la vallée du NANGPALA, celle de GOKYO, celle de KHUMBU et celle de CHHUKHUNG., vallées que nous allons traverser, si nous y arrivons, d’ouest en est en passant par 3 cols tous entre 5400 et 5500 mètres. Le Renjo, le Cho La et le Kongma La.
Entre les 2 derniers cols, il est prévu de faire un sommet, le Kala Patthar d’où, à près de 6000 mètres, on a une vue splendide sur la face ouest de l’Everest. Après avoir passé le Kongma La, notre dernier col nous redescendrons dans la vallée de Chhukhung en ayant ainsi fait une immense boucle à travers tout le Solu Khumbu. Nos deux premières étapes, nous mènerons à Namche, capitale du pays sherpa, qui est au confluent de ces 4 vallées.

Sans nous attarder, après un thé de bienvenue, nous quittons Lukla. (…)

Dans une vallée brumeuse, nous surplombons en permanence un torrent d’un volume, d’une largeur et d’une force inconnus par nous jusqu’alors.

En chemin aussi nous croisons nos premiers yacks que nous trouvons plus petits que ce que nous les imaginions. L’explication nous sera donnée par Olivier, « les yacks, les vrais vivent au-dessus de 3500 mètres et ne supportent guère de descendre en dessous. Pour les altitudes inférieures, les népalais utilisent des bêtes qui sont issues de croisements entre yacks et vaches, les dzos, ce qui explique leur taille et leur pelage moindres. »

Notre sentier en balcon, nous laisse admirer, entre des passages en forêt, une immense et profonde ouverture entre les flancs des montagnes encore verts à cette saison. Par moments, l’ouverture se resserre, se fait goulot et défilé qu’il faut franchir à l’ombre de parois verticales imposantes.

Nous passons à plusieurs reprises au-dessus du torrent, au moyen de longues passerelles métalliques ou en bois, enjambant plusieurs dizaines de mètres au-dessus, une eau bouillonnante et blanche.

Puis la montagne s’ouvre à nouveau, la vallée s’offre à nos yeux dans toute sa splendeur et son immensité que le soleil souligne en perçant la brume qui reste accrochée sur les cimes devinées. Parfois, nous apercevons pendant de courts instants, très loin là-bas, au-dessus de la vallée, un immense sommet enneigé et nous comprenons alors que nous sommes entrés dans une toute autre dimension.

S’il faut plus d’une vie pour parcourir les Alpes il faut plus de 10 vies pour parcourir l’Himalaya.

Voir les photos : cliquer ici


[1il n’y a pas de route carrossable entre Katmandou et Lukla

[2Un matatu au Kenya ou en Tanzanie, comme un « car rapide » au Sénégal, est une fourgonnette aménagée qui permet de « stocker » et transporter une trentaine de personnes : en d’autres termes c’est un bus urbain version boite à sardines.

[3L’accompagnateur français du groupe

[4L’organisateur du voyage

[5Lodge, mot anglais que l’on peut traduire par gîte où le confort est en principe un peu plus élaboré que dans un hut, équivalent de nos refuges de montagne.

[6Depuis, après une sortie du gouvernement due au fait que le roi n’avait pas tenu ses promesses d’élection, le parlement a adopté fin décembre 2007 le principe de l’abolition de la monarchie. Les maoïstes étaient dans le gouvernement provisoire et ont gagné les élections en avril 2008

[7voir articles dans Rouge Midi dans les sous-rubriques consacrées à ces deux pays

[8Toutes ces questions sur le statut des porteurs étaient en 2007 portées par le parti communiste népalais. Leur statut a-t-il changé aujourd’hui ? Si un lecteur ou une lectrice a la réponse…

[9prononcer le Solo koumbou



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur