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Trayvon Martin : les USA ne sont pas sortis du Far West
dimanche 28 juillet 2013, par
Crime raciste, liquidation logique d’un individu suspect voire agressif (selon la défense) ou "légitime défense" ? En tous cas crime légitimé par le verdict.
Et là est le problème.
Tout d’abord un rappel des faits _ Le 26 février 2012, Trayvon, afro-américain de 17 ans, rentrait chez son père après être allé acheter des sucreries dans une épicerie voisine. Zimmerman, vigile de la cité le croise. Il le trouve louche, le suit en voiture et de son véhicule appelle la police qui lui dit de ne pas intervenir. Pendant ce temps Trayvon au téléphone avec son amie lui dit qu’il est suivi par quelqu’un. Après avoir raccroché, et malgré les conseils de la police, Zimmerman sort du véhicule. Une dispute s’ensuit. Le reste de l’histoire repose essentiellement sur les dires de Zimmerman. La dispute se serait transformée en bagarre entre Trayvon non armé et Zimmerman qui l’était. Zimmerman aurait été plaqué au sol et c’est pour se dégager que Zimmerman a tiré à bout portant sur Trayvon. Dans un premier temps Zimmerman, après avoir été entendu, est relâché sans être inculpé ce qui entrainera une vague de protestation aux Etats-Unis. Il ne sera formellement inculpé que le 29 mai de meurtre non prémédité...et acquitté le 13 juillet 2013 |
Si Zimmerman a été acquitté c’est, selon la "justice" américaine, que le crime "n’avait pas un caractère raciste" mais était la réponse "normale" à un comportement agressif pour un individu en état de "légitime défense".
Trayvon aurait-il été tué s’il avait été blanc ? Difficile à dire mais dans ce cas la réponse de la justice américaine est claire : quelle que soit la couleur de la peau on a le droit de tirer à bout portant sur un jeune sans arme. Même si on occulte la question du racisme et que l’on prend pour argent comptant le seul récit énoncé par le meurtrier, ce que s’est attaché à faire le tribunal, le crime légal est donc reconnu. Tu me menaces et me donne un coup de poing, je te tue et je suis relaxé sauf si...
Sauf si je suis une femme noire et battue comme Marissa Alexander qui s’était plainte auprès des autorités à plusieurs reprises de cet état de fait de la part d’un mari reconnu comme violent par la justice et, se sentant menacée à nouveau par lui, écope de 20 ans de prison pour avoir tiré un coup de fusil en l’air pour l’effrayer sans blesser personne.
Dans ces conditions dire que la question raciale n’a pas pesé dans le cas de Trayvon apparait comme illusoire....surtout quand on sait que c’est la même procureure, Angela Corey, qui a supervisé les deux affaires !
Pap Ndiaye, professeur d’histoire nord-américaine à Sciences Po,explique dans l’entretien reproduit ci-dessous que "Tout a été organisé pour obtenir l’acquittement de George Zimmerman"
Pourquoi l’acquittement de George Zimmerman suscite-il une telle émotion aux Etats-Unis ? _ C’est l’ensemble de cette affaire judiciaire qui a suscité une forte émotion depuis un an et demi : d’abord le meurtre du jeune Trayvon Martin ; ensuite l’acquittement de son meurtrier. Le sentiment d’injustice est très vif, particulièrement chez les Noirs américains. Il vient leur rappeler d’autres affaires, caractérisées par l’acquittement d’accusés ayant tué ou violenté des Noirs par des jurys composés d’Américains blancs. Depuis le 26 février 2012, tout le système policier et judiciaire a été organisé pour obtenir l’acquittement de George Zimmerman. L’émotion vient du sentiment que rien ne change, que les institutions américaines sont encore structurellement biaisées en défaveur des Afro-Américains. Y compris la Cour suprême, qui vient d’annuler certaines dispositions de la loi des droits civiques de 1965. L’élection de Barack Obama semblait tourner une page aux Etats-Unis. N’a-t-elle été que l’arbre qui cache la forêt pour les Noirs américains ? L’élection de Barack Obama n’a malheureusement rien changé à la situation des Afro-Américains. Elle leur a quand même donné un sentiment de fierté, ce qui n’est pas rien. Ils conservent un attachement personnel fort à Obama, attachement lié au symbole et à la dignité avec laquelle il incarne la fonction présidentielle. Mais les données socio-économiques montrent que la situation des Noirs américains s’est plutôt dégradée depuis 2008. Cela moins en raison d’un effet direct de la politique d’Obama qu’en raison de la crise économique qui a très lourdement affecté les minorités, sans qu’Obama fasse grand chose pour elles. En outre, Obama, en raison de son identité, a éprouvé les pires difficultés pour s’adresser directement au monde noir, tant il a craint d’être considéré comme le "président des Noirs". Cela l’a amené à être d’une grande prudence sur les sujets de racisme ou de discrimination, par contraste avec un Bill Clinton plus audacieux sur le sujet, à une ou deux exceptions près, comme lorsque Obama a dit ce mot sans doute spontané : "Trayvon Martin aurait pu être mon fils". [1] La justice américaine est-elle toujours biaisée en défaveur des Noirs ? Les Afro-Américains sont huit fois plus nombreux que les Blancs en prison La justice américaine condamne plus lourdement les Noirs. Près de la moitié des condamnés à mort sont noirs ; les Afro-Américains sont huit fois plus nombreux en proportion que les Blancs en prison, et on pourrait multiplier les statistiques de ce genre. Cela ne s’explique pas seulement par des facteurs socio-économiques (la pauvreté, les défaillances du système éducatif public), mais aussi par une justice, qui, en tendance, a la main plus lourde pour les non-Blancs, et est plus indulgente lorsqu’un Blanc est accusé de violence à l’encontre d’un Noir. Les ministres de la justice américains (attorney generals) ont reconnu les biais racistes de la justice américaine, y compris John Ashcroft du gouvernement Bush et l’actuel attorney general Eric Holder. Le projet de loi, "End Racial Profiling Act"’ dite ERPA, en discussion au Congrès, vise à réduire ces biais dans le système judiciaire en les qualifiant comme des crimes, et en obligeant le système à rendre des comptes sur ses pratiques. |
Le News York Times, dans un article paru à la veille du verdict, constatait lui que si "La question raciale a été dès le début le sujet majeur dans la mort de Trayvon Martin (...) dans la salle d’audience (...) elle n’est présente qu’en arrière-plan, à peine mentionnée mais impossible à ignorer." Et le journal de poursuivre :
"Pour les Africains-Américains de Sanford comme de tout le pays, la mort de M. Martin, 17 ans, noir et non armé, s’inscrit dans l’histoire des Etats-Unis et ravive la conviction que la justice ne sert qu’une partie de la population. Les leaders noirs affirment que si M. Martin avait abattu M. Zimmerman dans des circonstances similaires, l’affaire aurait suivi une voie bien différente : il aurait promptement été arrêté par la police de Sanford et accusé de meurtre, sans le bénéfice du doute.
(...)
Pourtant, la question raciale n’a qu’occasionnellement ponctué les débats dans cette salle d’audience du Seminole County. Le juge a fait clairement savoir que les déclarations à ce sujet seraient strictement limitées et que le terme de "profilage racial" [racial profiling] ne serait pas autorisé. Le fait d’évoquer ouvertement la question raciale n’aurait d’ailleurs peut-être pas aidé l’accusation. (...) M. Zimmerman est accusé de meurtre et d’avoir tué par malveillance, haine ou rancune – mais nul dans la salle ne dit clairement que la race ou la haine raciale ont joué un rôle dans l’affaire.
La question raciale a tout de même fait son apparition dès le premier jour d’audience. Le procureur John Guy a déclaré que M. Zimmerman avait "ciblé" M. Martin et l’avait pourchassé parce qu’il soupçonnait cet adolescent noir de "préparer un mauvais coup", termes que l’accusé a employés quand il a appelé la police cette nuit-là. Le procureur a évoqué la frustration manifeste de l’accusé lors de cet appel et cité des propos méprisants qu’il avait tenus sur les cambrioleurs potentiels qui semblaient "toujours s’en sortir".
La question de la race est revenue quand le jury a entendu quatre autres appels téléphoniques de M. Zimmerman à la police signalant d’autres personnes suspectes dans le quartier, toutes noires. Elle a de nouveau fait son apparition, d’une façon inversée, quand Rachel Jeantel, 19 ans, qui s’entretenait avec M. Martin au téléphone peu avant qu’il soit abattu, est venue à la barre : M. Martin lui a dit que M. Zimmerman le suivait et qualifié celui-ci de "petit Blanc zarbi"."
Le journal rappelle que "La loi de Floride autorise l’usage de la force en cas où une grave atteinte à la personne est à craindre et l’accusation doit prouver au-delà du doute raisonnable que M. Zimmerman n’a pas agi en état de légitime défense." Et le journal de conclure "l’Amérique postraciale que certains espéraient après l’élection du premier président noir à la Maison-Blanche est encore à venir."
Dans le Gardian du 14 juillet, Gary Younge, journaliste installé aux USA, est plus direct et plus incisif :
Qu’on se le dise, aux Etats-Unis, en juillet 2013, il est toujours légal de pourchasser et d’abattre un jeune homme noir désarmé qui rentre chez lui, simplement parce que son air ne vous plaît pas(...) l’acquittement de George Zimmerman, sous la présidence d’Obama, a au moins le mérite d’être clair. Car les faits n’ont pas été contestés : le 26 février 2012, Trayvon Martin rentrait chez lui tranquillement, simplement “armé” d’une cannette de thé glacé et d’un paquet de Skittles. Le prenant pour un criminel, George Zimmerman, armé de son pistolet 9 millimètres, l’a pris en chasse. Trayvon lui a résisté. Ils se sont battus. Zimmerman l’a tué. Qui a crié ? Qui était le plus fort ? Qui a appelé ? Qui, quand et pourquoi ? Toutes ces questions ne sont que des détails destinés à alimenter les chaînes d’information continue. Ecartez-les et il ne reste que la vérité, à savoir que Trayvon Martin serait encore vivant si George Zimmerman ne l’avait pas pourchassé et abattu. Un ordre social violent Aurait-il pu survivre ? |
Et les américains, hormis ceux qui manifestent, que disent-ils de l’affaire ?
Selon un sondage paru dans le Washington Post si "86 % des Africains-Américains désapprouvent l’acquittement de George Zimmerman," ils sont seulement 31 % des Blancs. A l’inverse, 51 % des Blancs approuvent le verdict, et le chiffre atteint même 70 % parmi ceux qui sont des sympathisants républicains. Un tiers des Blancs interrogés jugent même qu’il était justifié de tirer sur Trayvon Martin contre un tiers qui jugent que c’était injustifié.
Plus largement, 86 % des Africains-Américains estiment que les Noirs et les autres minorités sont victimes d’un traitement inégalitaire devant la justice. Seuls 41 % des Blancs sont du même avis."
Au vu de tout cela la fameuse citation d’Albert Einstein prend toute sa force :
"Les États-Unis d’Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence, sans jamais avoir connu la civilisation. "
[1] Et par la suite quand il a déclaré postérieurement à cet entretien :" il y a 35 ans j’aurais pu être Trayvon Martin" NDR