Indispensable Afrique : Un enjeu mondial
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« Notre problème en Afrique, ce sont les différentes ethnies qui ne parlent pas la même langue : nous avons la Banque mondiale, la coopération française, le Fonds monétaire international, l’Usaid... » Cette boutade, qui circule au sud du Sahara, résume bien le paradoxe d’une Afrique qui attire les regards sans exprimer ses vues.
Réservoir de matières premières unique en son genre, le continent joue un rôle majeur dans l’économie de la planète. Il suscite la convoitise des pays en expansion, comme la Chine, et l’appétit de multinationales qui, malgré la crise, y réalisent de juteux bénéfices. De même, la lutte contre le terrorisme et la nécessité de sécuriser les approvisionnements énergétiques le placent sur la carte géostratégique des grandes puissances. En quelques années, l’Afrique est ainsi devenue un élément indispensable du jeu mondial de l’après-guerre froide.
Pourtant, cinquante ans après la vague d’indépendance de 1960, les rapports du continent noir avec le reste du monde demeurent marqués par d’implacables logiques de domination. Les institutions financières internationales (IFI) et les Etats bailleurs de fonds (France, Union européenne, etc.) utilisent deux armes redoutables pour orienter le cours des choses : l’argent (aide financière, refus d’annuler une dette aussi asphyxiante qu’inique) et le droit (définition de normes juridiques au travers de traités et d’institutions comme l’Organisation mondiale du commerce, OMC).
Ainsi, malgré le trésor que constituent les ressources de son sol, l’Afrique peine à affirmer ses intérêts propres. En outre, l’émergence de dirigeants pouvant desserrer l’étau international se trouve entravée par les ingérences, directes ou indirectes, des anciens pays colonisateurs. La France, notamment, soutient financièrement, diplomatiquement ou militairement des régimes prévaricateurs (Tchad, Gabon) au mépris de la volonté des populations locales — ce qui ne l’empêchera pas, en 2010, de fêter pompeusement une « année de l’Afrique » à l’occasion de l’anniversaire des indépendances de 1960.
Mais, au-delà des manœuvres occidentales, les élites locales se montrent elles-mêmes incapables de proposer une vision de l’intérêt commun. Internationalisées, acquises à l’idéologie néo-libérale, souvent déconnectées des préoccupations populaires, elles ne peuvent (ou ne veulent) pas utiliser les atouts de leurs pays pour tenter de changer les rapports de forces mondiaux. « Il n’existe pas de vision africaine de la mondialisation », déplore ainsi l’historien congolais Elikia M’Bokolo [1].
Bon élève des IFI, le continent noir est le plus ouvert au libre-échange, faisant apparaître, tel un miroir grossissant, les traits caractéristiques de l’ordre économique mondialisé. En effet, les masques tombent, en Afrique, plus vite qu’ailleurs : le libre jeu du marché s’y traduit en famines et en inégalités mortelles (44 % de la population subsaharienne vit avec moins de 1 dollar par jour) ; des Etats faibles ou complices laissent les multinationales exploiter sans vergogne des salariés locaux aux droits microscopiques ; la « concurrence libre et non faussée » se sublime en une véritable guerre, dont l’est de la République démocratique du Congo (RDC), avec ses matières premières et ses rebelles armés, demeure le symbole.
Au fond, l’Afrique est l’entropie de notre monde, l’unité de mesure du chaos social et humain qui le caractérise. Elle nous apprend beaucoup sur nous-mêmes. En cela aussi, elle est indispensable.
Cependant, alors que la crise financière jette le doute sur le libéralisme économique, le champ des possibles politiques semble s’ouvrir. Les peuples protestent (grèves, manifestations, dynamique du monde associatif, etc.) tandis que les pouvoirs, issus de la démocratisation des années 1990, tendent à se crisper. Coups d’Etat (Mauritanie, Guinée), détournements des élections (Gabon, Ouganda), manipulations constitutionnelles destinées à pérenniser des pouvoirs impopulaires (Niger, Burkina Faso, Congo-Brazzaville, etc.) demeurent fréquents.
En outre, la démographie contribue à modifier les perspectives. Dans la plupart des pays, près de la moitié de la population a moins de 15 ans. Souvent précarisées et sans perspectives, ces nouvelles générations cherchent leur place. Dans les campagnes en crise, les ghettos urbains ou sur les campus paupérisés, elles inventent des références culturelles, alimentant de nouvelles formes de contestation. Dans cet univers mouvant, la tentation de la violence s’installe comme une donnée sociale, un défi pour des populations en quête d’un avenir meilleur.
Quel mouvement, quel dirigeant sera capable de mettre à profit l’énergie populaire et les atouts du continent afin que celui-ci devienne vraiment acteur de son destin ? Après des siècles de domination, l’Afrique saura-t-elle devenir indispensable à elle-même ?
Sur le blog d’Anne-Cécile Robert
Transmis par Linsay.
[1] Elikia M’Bokolo, « L’Afrique doit produire sa propre vision de la mondialisation », Africultures, n° 54, Paris, 2003.
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