Que pensent les Cubains du retrait de Fidel ?
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Un étudiant en communication de Québec, Salvador Calderon, fils québécois d’immigrants salvadoriens, m’a envoyé quelques questions afin d’en publier les réponses dans son journal universitaire sur les derniers évènements à Cuba après la décision de Fidel. Compte tenu du fait qu’un peu partout, on s’interroge sur la portée de l’évènement dans l’île, je crois utile de faire circuler ce matériel. JG
1. Quelle est l’ambiance dans les rues de la Havane depuis que Fidel Castro a annoncé son retrait ?
L’ambiance est celle de la vie de tous les jours. Les Cubains n’ont pas d’angoisse, rassure-toi. Ce qui est amusant, c’est de voir comment, à l’extérieur, les médias s’excitent et ne comprennent rien au fait que Cuba ne réponde pas à leurs innombrables pronostics. C’est comme une météo annonçant une tempête de neige alors que l’on ne constate qu’un ciel dégagé. Il existe une sorte d’hystérie médiatique autour de Cuba qui, vu de l’intérieur, ne correspond à rien du tout. On voudrait que les gens se précipitent dans la rue ou quoi ? Mais rien de tel à La Havane. On a vu hier à la télé les émeutes sur le Kosovo avec une nuée de flics qui tapaient sur les gens. On voit chaque jour des scènes de désolation en Irak ou en Afghanistan. Les grands médias du monde industrialisé auraient intérêt à s’interroger davantage sur les causes profondes des vraies tragédies de l’heure. Celles causées par les appétits des multinationales qu’ils adulent.
2. Comment les Cubains perçoivent-ils cette décision ?
Comme un geste logique qui fait suite à une longue période pendant laquelle chacun a dû conclure qu’en raison de ses graves problèmes de santé, Fidel allait choisir de laisser à d’autres l’administration des affaires de l’État. C’est comme voir son grand-père, à la santé déclinante, prendre sa retraite, tout en conservant une activité à la mesure de ses forces. Sans plus. Les gens, en général, éprouvent une sorte de soulagement mêlé de tristesse.
3. Que représente Fidel Castro pour la majorité des Cubains ?
Les Cubains, malgré les contraintes de la vie quotidienne dans un pays assiégé par la plus grande puissance de la planète, savent parfaitement que la personnalité de Fidel et ses idées ont marqué et continuent à marquer les grands courants politiques de notre époque. Cuba a comme leader un homme d’une dimension qui dépasse de beaucoup celle d’une île des Caraïbes sans grandes ressources. Fidel a su résister à dix administrations américaines successives qui ont tout fait pour tenter d’éliminer celui qui leur a arraché une partie de cette Amérique latine tant exploitée et tant méprisée.
4. Est-ce que vous pensez que la révolution cubaine est menacée par le départ de Fidel et le vieillissement de toute cette génération de combattants de la Sierra ?
Attention, Fidel n’est pas mort... loin de là. Et même s’il l’était, il demeurerait la référence de beaucoup de Cubains qui ont grandi avec lui. Sa génération devra progressivement s’effacer, c’est mathématique. De nouveaux dirigeants prendront alors la place. La nature de la Révolution dépendra alors de leur perception des intérêts de la nation, des solutions qu’ils choisiront d’apporter à ses problèmes, mais ils demeureront fondamentalement fidèles, sans mauvais jeu de mots, à la nécessité d’assurer la souveraineté du pays face au géant qui a toujours rêvé de l’annexer, et au socialisme qui donne à tous la santé, l’éducation, le logement, le travail...
5. Les Cubains craignent-ils une intervention américaine ?
C’est certain. La menace américaine est ici une réalité depuis la fin du XIXe siècle, quand les USA ont eu le culot de voler leur victoire aux Cubains enfin parvenus à se débarrasser de l’Espagne. Ils ont ensuite imposé une succession de gouvernements corrompus qui se sont constamment pliés à leurs exigences. Qu’on pense seulement à l’existence de Guantanamo où l’on a eu l’effronterie d’installer un camp de concentration. À l’invasion ratée de la Baie des Cochons, à la création par la CIA de groupes terroristes qui demeurent parfaitement tolérés à Miami, à la crise des missiles. Mais c’est Bush qui a battu tous les records en termes de menaces et de financement d’une opposition préfabriquée par ses services de renseignements. Et en termes d’arrogance.
6. On voit dans les médias que Cuba est depuis quelques semaines en plein débat sur l’avenir de la Révolution. Quels changements souhaite la population cubaine ?
Contrairement à ce qu’impose comme concept la presse internationale, littéralement soumise à la rhétorique américaine, ce sont des changements d’ordre pratique que souhaite la population cubaine. Elle aspire à la disparition de règles conçues à l’époque de la guerre froide ou qui ne correspondent plus aux exigences de la vie d’aujourd’hui. Par exemple, les restrictions sur les ventes de voitures entre propriétaires, sur le libre accès à l’hébergement à l’hôtel, sont devenus des obstacles ennuyeux qui n’ont plus aucune raison d’être, de l’aveu même de nombreux dirigeants. C’est Raul Castro qui, en juillet, a lancé un appel à une sorte de bilan de tout ce qui s’appelle ’irritant" et a proposé de faire progressivement un grand ménage. Derrière toute règle injustifiée se cachent des illégalités, a-t-il alors dit.
Il a aussi fait allusion à des problèmes ’structurels qui doivent être résolus pour un fonctionnement efficace de l’appareil d’État dans lequel une bureaucratie souvent lourde crée une inertie agaçante.
Une chose est certaine, la machine de propagande américaine, qui utilise avec efficacité les grandes agences de presse internationales, impose l’idée qu’avec le départ de Fidel Castro doit commencer une transition’ menant à l’effondrement du socialisme, de la souveraineté de l’île et... attention au message subliminal, à une éventuelle annexion de Cuba. C’est le vieux rêve d’un empire qui n’a jamais compris que cette parcelle de terrain, juste au sud de la Floride, ne soit toujours pas tombée dans la gueule du loup.
Par Jean-Guy Allard repris sur le site de Michel Collon le 26/02/2008
Transmis par Linsay
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