Les chinois nous prennent ils nos emplois ?
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La croissance économique rapide de la Chine est, contrairement à ce que disent certains, une bénédiction pour l’économie mondiale. L’économie chinoise est une locomotive de l’économie des autres pays. Le tableau montre la croissance du produit national brut (le PNB, les biens et services produits en un an) en Chine, en Europe, au Japon, aux États-Unis et en Amérique latine.
Croissance du produit national brut (en %)1
années / 2002 / 2003
États-Unis / 2,4 / 3,0
Europe / 1,0 / 0,8
Japon /- 0,3 / 2,4
Amérique latine /- 0,2 / 1,3
Chine / 8,3 / 9,3
La Chine se détache clairement du peloton. Un chercheur du Fonds monétaire international (FMI) conclut une épaisse étude sur l’économie chinoise en ces termes : « En 2001-2003, la Chine était à la base de 24 % de la croissance économique mondiale2. »
Cette croissance rapide implique que la Chine importe de plus en plus de produits d’autres pays et exporte de plus en plus de produits locaux. Voici les chiffres d’importation et d’exportation de la Chine les six dernières années :
Évolution des importations et exportations chinoises (en milliards de dollars)3
Exportations de la Chine /Importations vers la Chine
1999 / 194 / 158
2000 / 249 / 214
2001 / 266 / 232
2002 / 325 / 281
2003 / 438 / 394
2004 / 593 / 561
En octobre 2004, le Fonds monétaire international a organisé un forum sur l’évolution de l’économie et du commerce chinois. Le vice-directeur du FMI Steven Dunaway y a déclaré : « La Chine n’a pas seulement des exportations en croissance rapide mais surtout des importations en croissance rapide. C’est d’une grande importance pour toute l’économie mondiale4. »
Rubens Ricupero le secrétaire général de l’Unctad (l’organisation du commerce des Nations Unies) a dit que « par ses exportations en forte croissance, la Chine est un moteur dans le nouveau paysage mondial de l’économie5. »
En d’autres mots, la Chine achète de plus en plus de biens et services à l’étranger. Stephen Roach, l’économiste en chef de la banque d’investissements Morgan Stanley, donne les chiffres suivants : « En 2003, la Chine était responsable de 43 % de la croissance des exportations du Japon. La Corée doit à la Chine 45 % de la croissance de ses exportations. La croissance des exportations de l’Allemagne dépend pour 28 % de la Chine.
En 2003, la Chine a consommé 25 à 30 % des matériaux industriels comme l’aluminium, l’acier, le fer, le charbon. La Chine a utilisé 40 % de tout le ciment du monde6. » Des avions de Chine, 90 % sont construits par Boeing (États-Unis) ou Airbus (Europe). Tout cela assure des millions d’emplois dans le reste du monde.
La Chine inonde l’Europe ?
Oui, oui, disent certains politiciens de l’Union européenne, c’est vrai que la Chine achète beaucoup à l’étranger, « mais la Chine exporte aussi de plus en plus. Ces produits chinois inondent notre marché et détruisent l’emploi chez nous. »
Ceux qui disent cela dépassent les bornes. Car, malgré la croissance spectaculaire de la Chine ces dix dernières années, elle reste un acteur secondaire dans le commerce mondial. Des pays plus petits comme l’Allemagne et les États-Unis sont nettement plus forts. Voici la part de différents pays dans le commerce mondial :
Part dans le commerce mondial en 2003 (en %)7
Chine 5,8
Allemagne 9,2
Japon 6,4
États-Unis 10,4
L’Allemagne, qui compte 82 millions d’habitants, a une part de 9,2 % dans le commerce mondial. Nettement plus que la Chine où habitent 1,3 milliard de gens.
De l’idée d’ « inondation » par des produits chinois, il ne reste rien quand on regarde la part des importations en provenance de Chine dans le total des importations de l’Union européenne. De tout ce que l’Union a importé de biens et services en 2000, 6,2 % seulement venait de Chine et cela n’avait pas beaucoup augmenté trois ans après (6,9 % pour être précis)8. Difficile d’appeler cela une « inondation ».
1 Stephen Roach, Global rebalancing : implications for China, Morgan Stanley, New York, octobre 2004, p. 8. • 2 Eswar Prasad, China’s growth and integration into the world economy, International Monetary Fund, Occasional Paper, Washington, 2004, p. 1. • 3 David Burton en Anthony Boote, Staff Report for the 2004 Article IV Consultation, FMI, Washington, p. 31, table : China, balance of payments. • 4 Steven Dunaway, Toespraak op het forum China in the global economy, prospects and challenges, FMI, Washington, 19 octobre 2004. • 5 Cité par Yu Shujun, « State of the market », Beijing Review, 40/2004. • 6 Stephen Roach, Allocution au forum China in the global economy, prospects and challenges, FMI, Washington, 19 octobre 2004. • 7 Thomas Rumbaugh et Nicholas Blancher, China : international trade and WTO accession, FMI, document de travail 04/36, Washington, mars 2004, p. 15, table : Share in world exports. • 8 Ibidem, table : Market share in major export markets.
Les patrons du textile mènent une campagne tapageuse contre la Chine
Les patrons européens du textile mènent une véritable campagne de propagande contre la Chine. Ils parlent même de « péril jaune ». Contrairement à leurs habitudes, ils sont très préoccupés par l’emploi aujourd’hui : « les produits chinois du textile menacent les emplois européens », disent-ils.
Et, dans le même souffle, ils ajoutent : « les Chinois subsidient leurs exportations vers l’Europe tout en protégeant leur marché interne, ce n’est pas honnête ! »
Commençons par ces subsides. Beaucoup de patrons européens accusent l’État chinois de soutenir ses entreprises textiles en prenant à sa charge une partie du prix de revient. Ce subside prendrait des formes diverses : les entreprises devraient payer leur électricité moins cher, elles bénéficieraient de réductions d’impôt, elles recevraient une prime par tonne exportée et ainsi de suite.
Stefaan Waeyenberge dirige une filiale de la multinationale belge Bekaert Textiles dans la ville chinoise de Wuxi. Il rejette les racontars de ses collègues patrons : « Je n’arrive pas à les convaincre de ce que ces subsides au textile chinois n’existent pas. Les exportateurs chinois payent 17 % de TVA et ils peuvent en récupérer 13. Ils paient donc une taxe à l’exportation de 4 %. Mais en Europe on entretient cette légende1. » Donc : au lieu de recevoir des subsides de l’État, les entreprises chinoises paient une taxe à l’exportation !
Les patrons ont encore inventé une autre légende. Ils disent que l’État chinois perçoit un impôt élevé sur les produits qu’ils veulent importer en Chine, une taxe à l’importation donc. Cela aussi, c’est un mensonge. En 1982, la Chine percevait une taxe à l’importation de 55 % en moyenne. Depuis, cette taxe n’a fait que diminuer. En 2000, elle n’était plus que de 16 %. En 2004, 10,4 %. Et le 1er janvier 2005, les Chinois ont ramené la taxe à l’importation à 9,9 %2. C’est particulièrement bas : en Inde, cette taxe est de 21 %.
Limitation des exportations chinoises
La Chine ne protège donc pas son marché intérieur. Les patrons européens et américains ont inventé cette histoire parce qu’eux-mêmes protègent leur marché. En octobre 2004, le gouvernement Bush a instauré des tarifs d’importation sur les chaussettes, sur les sorties de bain et sur toute une série de produits textiles chinois.
Jusqu’ici, l’Union européenne procède autrement : elle élève des barrières techniques et écologiques. Les produits importés doivent avoir telle ou telle étiquette, doivent être emballés de telle ou telle manière, doivent causer le moins de dommage à l’environnement dans leur production3. Ce sont des normes que l’Union européenne n’impose même pas à ses propres États membres. Ceux-ci peuvent exporter vers un autre État membre sans s’en préoccuper ! Le but de ces normes est donc évident : protéger le marché européen des produits chinois et venant d’autres pays du tiers-monde.
À quelle évolution doit-on s’attendre ?
Le 1er janvier de cette année, les quotas d’importation de vêtements et de textiles ont été supprimés. Ces quotas sont les quantités que l’Europe avait fixées pour protéger son marché intérieur. Les Européens disaient : « Nous acceptons l’entrée d’autant et pas un fil ou un bouton de plus ; plus que ça, nous fermons purement et simplement la frontière. » En 1993, il y a eu un accord de commerce connu sous le nom d’Uruguay-round. Le tiers-monde a pu imposer la suppression des quotas pour le 1er janvier 2005, en échange bien sûr de lourdes concessions dans d’autres domaines. Maintenant, les patrons du textile crient vengeance : ils ne pourront pas survivre à l’inondation du marché par les vêtements et textiles chinois, disent-ils.
Les patrons européens de textile ne sont pas des plus honnêtes. Pour commencer : 35 % de l’exportation de textile chinois est le fait de multinationales occidentales et pas chinoises4. Les patrons européens sont donc menacés en grande partie par... des patrons européens !
Et quelle sera la part de la Chine et d’autres pays exportateurs en Europe après la fin du quota ?
L’Organisation mondiale du commerce a fait une étude là-dessus. Elle écrit que la Chine a maintenant une part de 10 % du marché européen du textile et que cette part va monter à 12 % en quelques années5. La part de la Chine dans le marché européen du vêtement va augmenter de 18 à 29 %6.
Dans le textile, l’augmentation de la part de la Chine est minime. Dans le secteur des vêtements, la progression de la Chine sera plus grande, mais encore bien en dessous des « prévisions » de Febeltex, par exemple, l’association patronale du textile qui avance le scénario catastrophe de « l’écroulement total » de notre économie.
Ces dernières années, la Chine a acheté à l’étranger quelque 50.000 métiers à tisser. Un grand nombre de ces machines venaient de Picanol à Ypres. Quand ils vendent ces machines, les patrons se frottent les mains, mais si la Chine les utilise, ils protestent ! L’ironie de l’histoire est que Picanol a payé 880 millions de francs à son directeur Jan Coene pour à peine trois ans de travail. Où était la préoccupation pour l’emploi ?
Les Chinois fabriquent des produits compétitifs, c’est sûr. Cela vient-il en premier lieu des bas salaires chinois ? Je ne le pense pas, dit l’industriel Stefaan Waeyenberge de Wuxi en Chine, « les salaires représentent au plus 10 % du prix de revient total du textile chinois. »
D’où cela vient-il alors ? Waeyenberge : « Les entreprises chinoises n’exigent pas un return de 15 % de leur capital7. »
Par contre, les patrons et investisseurs européens exigent bien un profit annuel de 15 euros pour chaque centaine d’euros de capital investi.
Si les chinois se contentent d’un return de 4 ou 5 %, ils peuvent déverser des produits moins chers sur le marché. Le problème des secteurs du textile et des vêtements en Europe est donc en premier lieu la conséquence de la soif de profit des patrons européens. La campagne contre la Chine ne sert qu’à masquer cette vérité élémentaire...
1. Cité dans Eric Bruyland, « Neen, ze worden niet gesubsidieerd », Trends, 25 novembre 2004, p. 69. • 2. Thomas Rumbaugh et Nicholas Blancher, China : international trade and WTO accession, FMI, document de travail 04/36, Washington, mars 2004, p. 18, table : China : tariffs. • 3. Wu Zongzhi, « Le déséquilibre commercial entre la Chine et ses grands partenaires commerciaux », Beijing Information, 46/2004. • 4. Ibidem. • 5. Hildegunn Kyvik Nordas, « The global textile and clothing industry post the agreement on textiles and clothing », World Trade Organisation, Discussion Paper 5, Genève, 2004, p. 27, figure 7. • 6. Ibidem, p. 28, figure 8. • 7. Cité dans Eric Bruyland, op. cit., p. 68-69.
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