Les ébranlements en profondeur vus par les principaux partis politiques (11)

mercredi 4 juillet 2012
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En apparence, les élections, qu’elles soient législatives ou présidentielles, sont peu favorables au déploiement, par les partis politiques, de leurs analyses fondamentales de la société. Une élection est centrée sur la vie de tous les jours. Cinq ans sont vite passés. Les électeurs, quand ils votent, ne se prononcent pas pour quand ils seront morts. C’est pourquoi, quand on a un peu réfléchi à ce qui se passe dans les profondeurs de la société, on est parfois déçu par les débats électoraux.

Cette impression n’est pas justifiée. Il y a toujours du fondamental dans les élections. Mais ce fondamental revêt la forme d’un « fondamental de proximité ». Je reprends ici l’expression utilisée par Michèle Picard, maire de Vénissieux, dans son intervention du 10 juin 2012 (« Les français attendent des réponses concrètes et de proximité »), site de « Réveil communiste » (15/06). Ainsi, dans la partie intellectualisée de la vie politique, y aurait-il le « fondamental scientifique », de formulation scientifique, et « le fondamental de proximité », de formulation plus idéologique. Ce dernier serait une image simplifiée, mais opérationnelle auprès du grand nombre, de sa matrice d’origine. C’est lui qui subirait l’épreuve du feu électoral.
La distinction me paraît utile. Après ces élections, on peut s’interroger sur « les fondamentaux » de son propre camp. Comment ont-ils résisté au débat général ? Quelles comparaisons avec les fondamentaux des autres camps ? Quelles éventuelles faiblesses ?

Ce texte est un début d’analyse. Son ambition est de faire une présentation succincte des principaux fondamentaux de proximité que l’on peut repérer en France aujourd’hui de façon à les comparer. A partir de ce rappel, j’établirai quelques tableaux prenant appui sur l’ensemble, puis j’amorcerai une première conclusion sur deux points :

- 1) Quelle peut être, dans la masse des électeurs français, la problématique des changements en cours ?

- 2) Comment le programme de « l’humain d’abord » prend-il place dans cet ensemble ?

On peut repérer cinq fondamentaux de proximité dans l’ambiance encore fraîche de la dernière campagne électorale. J’en ai repris seulement quatre, laissant de côté celui du MODEM, pour des raisons de temps principalement. Je vais les examiner séparément, m’efforçant de dégager la sociologie sous-jacente à chacune de ces représentations ainsi que leur façon de concevoir le travail, les forces techniques de production, les rapports sociaux. Chaque fondamental est pensé comme orthogonal à tous les autres et il est vrai que chacun est doté de fortes particularités.

Le Fondamental de Proximité de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP).

Le fondamental propre à ce mouvement politique est ainsi exprimé dans son programme pour 2012 : « Un nouveau monde est en train de naître…Il s’agit d’ouvrir un nouveau chemin pour la France ». Ce nouveau monde est celui de la mondialisation. Mais « les Français peuvent gagner dans la mondialisation…La solution consiste à produire plus et à dépenser moins, à mettre la priorité sur l’éducation et l’innovation ». C’est à ces conditions que sera protégé « l’avenir de nos enfants ».

Cette représentation du monde est sans mystère. Elle dispose d’un appui logistique (d’un fondamental scientifique) considérable puisqu’elle est nourrie par les théories et les études élaborées dans les Etats nationaux ou dans les organisations internationales par des équipes nombreuses. Ces théories sont destinées à favoriser la mondialisation capitaliste. Les forces sociales qui en sont motrices sont les grandes entreprises, industrielles et financières (banques, compagnies d’assurances, fonds de pension, entreprises financières diverses), qui, partout, se mondialisent. La population attachée à ce système est celle des propriétaires et gestionnaires de ces entreprises (le Grand Capital). Il faut y joindre les populations parasitaires tournant autour et vivant sur la bête, comme les « Golden Boys » des marchés financiers et les technocraties des organisations internationales.

Cela dit, ces théories, dont la structure générale est simple, donnent lieu, dans les différents pays à des interprétations adaptées. Lors des précédentes élections présidentielles, N. Sarkozy avait séduit non seulement des prolos découvrant « qu’ils pourraient gagner plus en travaillant plus », mais encore un certain nombre de jeunes gens, se rêvant en Rastignac de la Finance et gagnant en une soirée des montagnes d’or ainsi que des tonnes de belles filles ou de beaux mecs. La crise en cours révèle la vanité de ces espérances.

Un résumé du fondamental exprimé par l’UMP pourrait être « L’entreprise capitaliste mondialisée d’abord ». Cette formulation n’est évidemment pas celle que retient le programme de l’UMP, qui fait une large place aux PME, qui s’adresse aux Français, et non à une catégorie particulière tout en prenant soin de mentionner « les classes moyennes ». Je ne pense pas, cependant, tronquer ce programme en le résumant comme je le fais, puisqu’il vise à « aider nos entreprises à profiter du dynamisme de la croissance mondiale » tout en cherchant à rendre « la mondialisation équitable ».

Ce fondamental est directement issu de la crise structurelle de rentabilité du capitalisme, vécue autour des années 1970. Le processus l’ayant engendré est désormais bien connu. Je l’avais étudié, en même temps que d’autres, notamment dans l’ouvrage « Lire le capitalisme contemporain, essai sur la société du 21e siècle » [1] ou dans La Pensée, bien avant 2007. Pour une analyse très succincte du phénomène, je renvoie à mon petit ouvrage sur « La révolution de notre temps » [2].

En deux mots, pour faire face à la crise, extrêmement grave, de suraccumulation du capital et de rentabilité propre à cette période, les grandes entreprises capitalistes se sont d’abord concentrées et réorganisées, puis elles se sont européanisées, asiatisées, latinisées, bref redéployées dans l’espace mondial, mondialisées, tout en battant politiquement les mouvements contestataires, syndicaux en premier lieu, de leurs propres pays. Elles ont, cela va de soi, réorganisé l’appareil d’Etat à leur avantage et continuent de le faire.

Pour ce qui concerne la classe capitaliste mondialisée d’origine européenne, elle a en plus mis en place l’Union européenne façon « grand capital ». Elle envisage aujourd’hui d’industrialiser effectivement l’Europe.

Depuis les années 1990, en France, la ligne politique générale a été progressivement tracée pour cette classe sociale. Après quelques hésitations, elle a finalement rejoint « la perspective Sarkozy ». Ce dernier a neutralisé ce qu’il y avait de légitimiste dans la droite française et il a contribué à en mondialiser et à en américaniser la fraction orléaniste. La ligne qu’il défend reconnaît les limites de puissance de l’impérialisme français et organise le rangement explicite de ce dernier sous la protection totale de l’impérialisme américain, avec l’espoir de faire prévaloir, à l’égard de ce dernier, une autre forme de soumission que celle pratiquée par le Grand Capital britannique.
On peut définir cette ligne comme étant celle d’une extrême droite parlementaire. Le concept d’extrême-droite parlementaire signifie que ses chefs, ses membres, sont prêts, à tout moment, à forcer la légalité républicaine, en particulier parlementaire, à leur avantage, voire à en sortir, pour surmonter les contradictions politiques auxquelles ils ont à faire face.

En effet, la tension étant de plus en plus forte entre la nécessité du recours au plan national pour l’obtention du pouvoir politique et la réalité du pouvoir économique, qui est mondiale, le déploiement européanisé ou mondialisé du Capital se transforme au plan des institutions en extrême-droite. La tentation autoritaire y est de plus en plus présente. C’est ce qui fut fait, en France, par exemple, en 2005. En outre, le rôle de la Présidence de la République a été survalorisé en permanence au détriment du Parlement. Cela dit, la droite française est loin d’être entièrement gagnée à cette idéologie autoritaire.

Pour en terminer sur ce point, je dirai que Sarkozy, au-delà de ses défauts personnels, est un « fonctionnaire du Capital » et il n’est que cela. Les jugements moraux à son égard ne sont pas pertinents, même si cet homme est, comme l’aurait peut-être dit Hegel, adéquat à son concept.

Le Fondamental de Proximité du Front National (FN).

De prime abord, les fondamentaux du FN se situent à l’opposé de ceux de l’UMP. Contre la mondialisation capitaliste considérée par l’extrême-droite parlementaire comme le berceau de la nouvelle vie des sociétés, est dressée par le Front national une conception particulière de la Nation primordiale et une extrême-droite nationaliste et populaire. La traduction politique de cette conception peut être résumée par la formule : « La France et les Français d’abord ».

Le fondamental de proximité exprimé par ce parti politique est en partie de l’ordre de l’imaginaire. La France du FN est une France de petites et moyennes entreprises, une France d’artisans et de compagnons, accessoirement d’ouvriers industriels. Cette représentation du monde rappelle l’univers proudhonien, récemment réintroduit par Danielle Bleitrach pour analyser les déviations de notre époque. A cette France profonde, il faudrait à nouveau « un Etat fort » qui l’aide à surmonter les contradictions auxquelles elle est confrontée.

La gravité de la crise actuelle proviendrait de ce que cette France éternelle serait mise en danger de l’extérieur par les deux maux violents que seraient l’immigration et l’Europe.

L’immigration est, selon le FN, le mal principal. Cela se perçoit de plusieurs manières dans son programme. En voici quelques illustrations. Ainsi y est-il écrit que « C’est dans le domaine de l’immigration que Nicolas Sarkozy a le plus durement trahi les Français… ». Personnellement, je situe la « trahison des Français » par Sarkozy à d’autres niveaux. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une trahison mais d’une politique conforme à des intérêts de classe. Cela dit, cette phrase me paraît significative de l’idéologie du FN.

Le rôle supposé de l’immigration apparaît ensuite dans le chiffrage réalisé par ce parti. Les économies envisagées sur « l’immigration sauvage » représenteraient 41 milliards d’euros sur 5 ans, soit la moitié du financement des dépenses qu’il préconise pour opérer le redressement national. C’est énorme. En contrepoint, les mesures de justice fiscale et de suppression des privilèges fiscaux donnent lieu à une élaboration très discrète.

Enfin, on peut penser que, sur les 25 milliards d’économie que le FN prétend pouvoir réaliser en contrôlant les dépenses de sécurité sociale, une grande partie proviendrait de l’immigration.

Mais l’immigration n’est pas, d’après le FN, le seul mal dont souffrirait la France. L’Union européenne est l’autre mal. Le programme de ce parti contient une charge virulente contre l’Europe. « L’euro et l’ouverture à une concurrence déloyale ont détruit des millions d’emplois industriels spécialement en France…La BCE n’a pas le droit de prêter aux Etats, mais elle prête, à un taux dérisoire, aux banques qui reprêtent, beaucoup plus cher, aux Etats…L’Union européenne, asservie par sa dette et par l’euro, est un instrument au service d’une idéologie ultra-libérale mondialiste et des intérêts du secteur financier… ».

Mon propos n’est pas ici de faire l’analyse du Front national pour savoir s’il relève ou non de l’idéologie bonapartiste (ce que je crois). Je dirai seulement que, selon moi, c’est un parti d’extrême-droite nationaliste populaire en voie de maturation.

Tout en cherchant à s’enraciner dans les institutions de la République, il véhicule, de manière contradictoire, une idéologie de l’Etat fort, antirépublicaine. Or cette dernière, disjointe d’une analyse des classes de la société et de leurs antagonismes, risque de conduire à l’antiparlementarisme. Car un Etat fort de ce type peut être appelé à résoudre les contradictions de classes au nom de la Nation éternelle. L’idéologie des couches populaires qui accordent leur confiance au Front national relève souvent d’ailleurs du « tous pourris », lui-même alimenté par l’expérience de l’impuissance de la politique.

Ce parti est donc un parti de neutralisation de ces couches relativement à toute tentation révolutionnaire de leur part. C’est aussi le parti de leur stockage pour d’autres aventures, en liaison cette fois avec l’extrême-droite des beaux quartiers, par suite de leur apprentissage progressif des « bienfaits » de la lutte anti-salariale.
Ces deux extrême-droites forment objectivement système. Toutes deux reposent sur une défiance croissante à l’égard des institutions républicaines. Mais étant toutes deux caractérisées par l’adhésion ouverte au système capitaliste, toutes deux peuvent faire alliance à un moment ou un autre, même si elles entretiennent aujourd’hui des rapports frictionnels.

En ce qui concerne ses fondamentaux, le Front national se prévaut d’un fondamental scientifique, alimenté en son temps par la pensée de Maurice Allais, et d’un fondamental de proximité dont je viens de donner quelques éléments descriptifs.

Je le résume à nouveau. C’est un fondamental de défense de la France éternelle, une France d’artisans et de compagnons, qui serait attaquée par ces deux « facteurs exogènes » que sont l’immigration et l’Europe. Le progrès technique (les forces productives matérielles) a peu à voir avec cette analyse. Il en est de même des rapports sociaux de production et de leur agent principal, la classe du capital mondialisé. Le capital y est dénoncé mais en tant que « gros » : « le puissant lobby des banques d’affaires », « les pratiques abusives de la grande distribution ». Le FN ne se lance pas dans la critique du système capitaliste. Il défend les petits contre les gros.

L’Union européenne, de son côté, bien que critiquée avec virulence, est supposée être l’affaire des « européistes » et non celle des agents du Grand capital, comme Giscard d’Estaing par exemple. Le travail est perçu en fonction de la nationalité des travailleurs et non en fonction de leur qualification ou des responsabilités nouvelles que le progrès technique leur conférerait.

L’afflux de l’immigration, enfin, n’est pas analysé comme le résultat de la mondialisation capitaliste. Pour un marxiste, l’immigration n’est pas à l’origine de la crise traversée par la société française. C’est la mondialisation capitaliste qui engendre la crise générale de la société française et notamment l’accroissement de l’immigration. Car tous les pays sont frappés par la mondialisation du Capital. La population des pays les plus pauvres ne trouve pas d’autre issue pour survivre que de rejoindre des pays plus riches.

L’accroissement de l’immigration, l’une des formes actuelles du « choc des civilisations » dans le cadre de la mondialisation capitaliste, est un facteur de crise. Mais ce n’est pas uniquement un facteur de crise, c’est aussi un apport, et quand c’est un facteur de crise, c’est un facteur de crise parmi d’autres, de l’ordre des conséquences et non de l’ordre des causes premières. On n’a pas besoin du Front national pour le traiter sérieusement au plan politique ou social. La méconnaissance volontaire, par exemple, des travaux dirigés par André Gerin reflète la dégénérescence actuelle de l’idéologie des élites communistes [3] . Mais cela n’a rien à voir avec le Front national.

Le fondamental de proximité des communistes et plus généralement des radicaux (Front de gauche).

Le principal mérite de Jean-Luc Mélenchon, récemment promu « chef charismatique de la gauche radicale », fut d’être, dans le premier acte de la dernière pièce électorale, un bon acteur au bon moment. Par la suite, ses qualités charismatiques se sont estompées. Cette situation peut définir une ambition mais ne définit pas une ligne politique ou une analyse particulière.

Le fondamental de proximité du Front de gauche fut, pour l’essentiel, élaboré par le Parti communiste (programme partagé) et, à ma connaissance, sauf peut-être en ce qui concerne la politique de l’énergie, n’a pas reçu d’inflexion importante de la part de ses partenaires. Ces derniers sont des radicaux rangés au côté des communistes, à l’ombre de ce qui reste de l’image de marque et de l’organisation du PCF. Dans les maisons en ruine on peut, pendant l’été, trouver des endroits exquis, des endroits de calme et de fraîcheur. La toiture va tomber mais qu’importe, pour le moment il ne pleut pas.

Le fondamental de proximité du Front de gauche prend appui sur un fondamental scientifique, de référence marxiste (la révolution informationnelle), élaboré sous le couvert de la section économique du PCF. Alors que ce fondamental scientifique comporte un important sous-bassement technique, tant au plan de la technologie proprement dite (les ordinateurs et l’informatique) que de la technique économique (les concepts), son interprétation de proximité est à la fois anthropologique et politique : « l’humain d’abord ».

Ce fondamental de proximité est conçu comme orthogonal tant aux fondamentaux de l’UMP, centrés sur la grande entreprise mondialisée qu’aux fondamentaux du FN, centrés sur la France éternelle et primordiale.

L’humain d’abord met en scène « l’homme total » contre les rapports capitalistes en leur degré actuel de maturité. L’humain d’abord, ce sont tous les humains, de quelque nationalité qu’ils soient. Dans une certaine mesure, la thématique de l’humain d’abord reprend la thématique chrétienne de la prédominance de l’être (l’humain) sur l’avoir (la richesse, la finance).

Selon la problématique de « l’humain d’abord », les malheurs de notre temps auraient pour origine « la domination sans partage du capital financier sur le monde… Affrontons la finance et nous retrouverons un avenir ». Contrairement à la thématique véhiculée par le Manifeste communiste de Marx et Engels (1848), ce n’est pas le développement des forces productives matérielles qui commanderait que fussent établis de nouveaux rapports sociaux de production, de consommation et d’échange, comme de nouveaux rapports politiques. C’est le développement ravageur et mondialisé des rapports sociaux capitalistes sous leur forme financière qui nécessiterait que fussent instaurés partout et rapidement de nouveaux rapports économiques et politiques.

La conquête généralisée du pouvoir serait effectuée par « le peuple ». « Place au peuple » et « Prenez le pouvoir » fonctionnent dans ce document comme les clairons de la révolte, que dis-je, de la révolution, celle-ci consistant à développer sans limite la nouvelle force de production que serait l’homme. « La richesse d’un pays réside dans la capacité de ses hommes et de ses femmes à s’associer librement et à créer, à inventer ». Puis le document précise que « l’humain d’abord n’exprime pas simplement une préférence morale, il dit aussi notre stratégie contre la crise ».

Mis en regard de son fondamental scientifique d’origine, il ressort que le contenu du fondamental de proximité de « l’humain d’abord » diffère de celui exprimé par la phrase des années 1930 : « L’homme est le capital le plus précieux » [4] . Au cours de ces années, l’homme, le travailleur, était dominé par le capital matériel. Il n’en était pas moins le facteur subjectif de la production. « Les cadres décident de tout » développait Staline dans ce discours. L’homme était donc le « capital le plus précieux » par effet du socialisme, qui avait accumulé des équipements mais manquait de compétences pour les faire tourner.

Aujourd’hui (c’est du moins mon interprétation), l’homme, le travailleur, serait non seulement le facteur subjectif de la production (ce qu’il est toujours, par définition), mais également son facteur dominant. Miser sur « l’humain d’abord » consisterait donc à miser tout à la fois sur le facteur subjectif et sur ce qu’il y aurait désormais « de plus important » que le capital matériel dans la production contemporaine.

Pour terminer ma description de ce fondamental de proximité, je retiens quatre points.

- a) Le premier concerne l’immédiat. « L’humain d’abord » consiste à répondre en urgence à un certain nombre de besoins considérés comme fondamentaux. Puis, se saisissant de la satisfaction politique supposée devoir résulter de ces premières mesures, il en résulterait une accumulation de type « boule de neige » des exigences populaires ainsi que des mesures relatives à « l’humain d’abord ». C’est en quoi la stratégie de « l’humain d’abord » est considérée par ses concepteurs comme une stratégie dynamique. « L’humain d’abord » contiendrait le principe de son propre développement (de la force productive principale à la politique puis de la politique à la force productive principale et ainsi de suite).

- b) Le deuxième a trait à l’importance de l’Etat pour la reconquête et l’extension des services publics (logement, santé, médicament, information et culture, eau, gaz, électricité…) sans parler du rôle dévolu au pôle public financier qu’un gouvernement Front de gauche mettrait immédiatement en place si les électeurs lui donnaient la majorité. Dans tous les domaines évoqués, l’idée est d’arracher le pouvoir aux forces du capital et de le remettre à la nation ainsi qu’aux citoyens. Le concept dominant est celui de service public.

- c) Le troisième point s’énonce comme suit : « Il faut réinventer la gauche ». Exception faite des capitalistes du capitalisme mondialisé, le fondamental de proximité du FG s’adresse au peuple en général et non à telle ou telle classe sociale particulière, même si la particularité des mesures préconisées (par exemple la politique industrielle, ou la titularisation des vacataires dans la fonction publique) concerne telle classe sociale plutôt que telle autre.
Le fondamental de proximité du FG est donc cohérent avec l’idée selon laquelle le Parti communiste n’est plus la forme politique efficiente du combat révolutionnaire contemporain. Il existe, dans le fondamental scientifique sur lequel ce fondamental de proximité prend appui, une explication théorique de ce choix. La révolution informationnelle tendrait à homogénéiser toutes les classes salariées.

- d) Enfin, je crois important de noter que le fondamental de proximité du FG n’est pas territorialisé. Cet aspect de l’analyse est aussi une conséquence, me semble-t-il, de la théorie de la révolution informationnelle. L’information passe les frontières et les efface. Le combat politique doit être mené simultanément à tous les niveaux possibles de territoire, régional, national, européen, mondial. Aucune hiérarchie n’est établie entre ces divers niveaux.

Les membres du FG en France se pensent comme les animateurs d’un grand FG européen, d’un grand FG mondial (les luttes sociales en Amérique latine ou dans les pays du Maghreb). Ils (elles) estiment pouvoir, à eux seuls, révolutionner l’Union européenne, par lutte en France et par effet d’exemple. Les dirigeants du FG se pensent sans doute comme « les Tunisiens du monde ».

Car cette contre-révolution qu’est la mondialisation capitaliste (la finance), et la révolution informationnelle qu’elle développerait à son insu, engendreraient son contraire, la révolution « des peuples » sous des formes éloignées des projets et des luttes menées par les organisations révolutionnaires classiques, quoique sous des formes cette fois efficace.

Comme chacun le sait, « les indignés » d’Amérique ont obtenu de grand succès, tout comme « les perturbés » du Zimbawé ou « les effrontés » de Moldavie. Sans parler, cela va de soi, des énormes conquêtes sociales réalisées par « les enrhumés » allemands, ou par les partisans de Die Linke. En revanche, les communistes de ces pays se feraient massacrer comme des prunes et n’obtiendraient rien, c’est bien connu.

Le fondamental de proximité du FG est donc révélateur d’un mélange que ses concepteurs voudraient explosif mais qui, si l’on en croit les derniers résultats électoraux n’a produit que de l’hydrogène sulfuré. Je reprends le concept avancé par André Gerin pour désigner le mouvement du FG. C’est un néo-réformisme [5].

Le fondamental de proximité de la social-démocratie française

Il serait évidemment possible, pour faire bref, de dire que le fondamental de proximité du Parti socialiste est « le pouvoir politique d’abord ». Mais, à mon avis, ce jugement ne rendrait pas compte de la réalité.

Pour dégager quelques idées relatives à ce programme de proximité, je m’appuie principalement sur le document du PS, rendu public en Avril-Mai 2011 et sur la version qu’on en trouve sur le « net ». L’idée qui le résume de la manière la plus exacte est, je crois, l’idée de justice. Il n’y a pas, il n’y a plus derrière le fondamental de proximité du PS d’idéologie spécifique et structurante, comme pouvait l’être celle de Jaurès. Il y a des travaux et des études, mais il n’y a pas de pensée socialiste authentifiée comme telle.

Sans doute trouve-t-on dans ce programme un clin d’œil relatif à l’œuvre de Camus, le penseur de l’absurde et de la révolte, pas celui de la révolution : « il faut retrouver un certain accord de la terre et du pied » [6] . Sans doute y retrouve-t-on la thématique chrétienne de l’humain d’abord : « Le système néolibéral est incapable de placer l’humain avant les biens, la fin avant les moyens ». Mais il n’y a plus de pensée socialiste de référence. « Regarder le monde…c’est prendre acte de l’échec du collectivisme et du naufrage du libéralisme pour enfin changer ». D’autant que les problèmes sont nouveaux, inédits. Le seul élément théorique et pratique que j’ai retrouvé dans ce document est la conception allemande de l’économie sociale de marché. «  Le capitalisme financier, loin des compromis de l’économie sociale de marché (souligné par moi, JCD), est redevenu une fabrique à inégalités et à brutalités… ».

Il en est a fortiori de même pour le programme présidentiel. Le programme socialiste est alors métamorphosé en programme Hollande, et il n’a certainement pas été question de la transformer en livret philosophique. Dans un entretien, Michel Sapin, l’un des principaux personnages en charge du projet socialiste pour les présidentielles, déclare l’avoir soumis à un certain nombre de hauts fonctionnaires de Bercy ou de macro-économistes. La recherche de la technicité économique tend à remplacer chez les socialistes français la réflexion socialiste proprement dite. L’esprit de Mendès-France et le souci de la République moderne l’emporte désormais, dans ce parti, sur l’esprit de Jaurès et la préoccupation de la République sociale.

Cela dit, on aurait tort, je crois, de sous-estimer la capacité littérairement attractive du programme socialiste. C’est un fondamental de proximité qui, certes, fut l’objet de plusieurs versions, mais qui, ne prenant pas appui sur un fondamental scientifique extérieur et antérieur, comme dans le cas du FG, est conduit à reposer sur une rédaction immédiatement de bon niveau.

Essayons de voir comment la social-démocratie française pense la société et en analyse les difficultés.

Je vais dire d’abord quelques mots d’ordre méthodologique. Il n’est pas certain que les électeurs y prêtent une grande attention. Je crois cependant utile de souligner ce point. La conception que les socialistes ont de la société n’est pas très différente de son équivalent dans la pensée conservatrice. Ce qui distingue la social-démocratie du conservatisme n’est pas l’analyse de la société mais le traitement de ses problèmes. Ainsi est-il écrit que « le débat entre la droite et nous ne porte pas sur la nécessité de renforcer la compétitivité de l’économie française et européenne, mais bien sur la manière d’y parvenir ». J’ai relevé une autre phrase dans ce programme. Elle porte sur le risque. C’est un écho donné aux théories de Knight, un économiste du début du 20e siècle. On peut lire : « Sans risque, pas d’innovation, pas d’entreprises, pas de projet, pas de vie. Le risque doit aller de pair avec la responsabilité. C’est ce que les banques ont oublié… ». Le reproche adressé au système bancaire est donc celui de « l’oubli ». Ce n’est pas celui de son existence en tant que système bancaire et financier intrinsèque à la mondialisation capitaliste.

Ce sur quoi les socialistes insistent, au-delà du risque selon eux nécessaire à la manifestation de la vie, est la responsabilité. Le capitalisme est bon, mais il doit être pratiqué de manière raisonnable, par des agents responsables. Je ne cherche pas, en ce moment, à juger l’idéologie socialiste telle que je la perçois dans le programme socialiste de 2012. Je cherche simplement à la décrire. Mais je la trouve très proche des discours de Sarkozy devant les instances internationales, destinés à fustiger, sur le mode langagier, les errements du capitalisme financier mondialisé.

La pensée social-démocrate ne m’apparaît pas comme une pensée structurelle mais comme une pensée morale en même temps qu’une pensée d’accompagnement de la structure. « …A l’échelle globale, la finance doit être maîtrisée, le libre-échange encadré, les monnaies stabilisées ».

Par conséquent, ce qu’il faut faire pour résoudre les présentes difficultés, c’est changer de modèle de développement. Le problème n’est pas le capitalisme, c’est « le sarkozysme ». Il faut agir contre « le capitalisme de parti unique ou de mafia ». Les socialistes ne critiquent pas un système mais un modèle, « le modèle fondé sur la devise « financiarisation, déréglementation, privatisation » ». Je note au passage combien cette notion de modèle est proche de celle de logique, fortement appréciée par un certain nombre de communistes.
Après ce commentaire méthodologique, les questions soulevées sont, dans le cadre de l’idéologie socialiste, celles des problèmes affectant la société. Quels sont-ils ? Quelles en sont les effets ? Comment faudrait-il les traiter autrement que ne l’a fait l’équipe Sarkozy ? Je présente six points.

- 1 Le premier est que le monde serait désormais multipolaire. La Chine et l’Amérique (la Chinamérique) en sont la tête. « Rangeons nos vieilles mappemondes, elles ne disent plus le monde actuel ». Il ressort de la rédaction de cette partie du programme une certaine hostilité à l’égard de la Chine. C’est un aspect que je crois très discutable. Du moins cette partie a-t-elle le mérite d’exister et de prendre place au début du document socialiste. Par contraste, le programme du Front de gauche ne contient aucune mention de ce type. Le fondamental de proximité de cette formation est amputé de l’un des traits majeurs de la révolution de notre temps.

En quelques années, de très grands pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, aujourd’hui la Russie, s’affirment comme parties prenantes de la vie économique et politique du monde. C’est une révolution. La réalité n’est pas « les forces productives » ou « les rapports sociaux de production et de consommation », mais la dialectique des deux avec des relations parfois différentes d’une époque historique à l’autre, d’une zone géographique à l’autre.

La notion de Chinamérique, utilisée par les rédacteurs socialistes, en est le reflet même si cette notion journalistique vise principalement à dédouaner les socialistes d’une partie de leurs responsabilités dans la dégradation de la situation européenne. S’il existe des mouvements extrémistes en Europe, ce serait « la faute aux chinois ».

- 2 Mon deuxième point a trait à ce qui, selon les socialistes, se passe dans ce monde nouveau. Plusieurs phénomènes seraient à noter. Tout d’abord, l’Etat-nation ne serait plus le cadre des solutions, comme il l’était autrefois. Ensuite, les ressources naturelles ne seraient pas inépuisables. Enfin, la politique menée dans ce nouveau contexte par l’équipe Sarkozy aurait été désastreuse, la finance ayant précédé l’économie et la tendance ayant été celle du low-cost des solutions et non celle de leur qualité (sociale, économique, environnementale) et de leur performance. Il conviendrait donc de trouver et de mettre en œuvre de nouvelles formes d’action, et cela dans un nouveau cadre territorial.

- 3 Le troisième point est relatif à ces nouvelles formes d’action. D’une part, « dans un monde qui va de l’avant, il faut rester compétitifs ». Sur ce point, les socialistes sont d’accord avec les partis de droite. Le problème à résoudre ne serait pas celui, par exemple, de la socialisation croissante des forces productives et de leur contradiction, également croissante, avec les rapports capitalistes de production.
Le problème à résoudre serait celui de la compétitivité. Mais simultanément, il s’agirait de changer les méthodes et les objectifs. « Du début à la fin, la crise est celle du partage de la richesse ».

Pour faire face aux nouveaux défis, le sarkozisme a encouragé les riches à devenir plus riches encore. Il en aurait d’une part résulté de nombreux déficits, pas seulement celui du budget de l’Etat, mais celui de « l’innovation, de l’emploi, de la justice, de la démocratie » en même temps que la réduction du rayonnement de la France. D’autre part, il en aurait résulté la méconnaissance des exigences de notre temps, en particulier celle de « l’urgence écologique et la nécessité de la transition énergétique ». « L’idée majeure, le fil rouge de notre projet (souligné par moi, JCD) c’est la recherche de la vraie performance qui est, pour nous, économique, sociale et environnementale ». Dans ce cadre, « …notre filière nucléaire, contrôlée publiquement, devra être réorientée progressivement… ».

-  4 Le quatrième point est celui des techniques et des savoir-faire. Plusieurs aspects sont évoqués. Je ne détaille pas souhaitant simplement mentionner la présence de cette référence technologique avec un certain nombre d’implications explicites sur la recherche, sur la formation, sur le travail universitaire, sur l’enregistrement budgétaire de ces dépenses.

- 5 Le cinquième point important est, me semble-t-il, le cadre territorial dans lequel doit être apportée « la réponse nouvelle » proposée par les socialistes. Il s’agit certes de la France, mais surtout, me semble-t-il, de l’Europe qui « …a toutes les cartes en main pour proposer au monde le modèle qui la fera rebondir ». Traiter de ce cadre est pour eux un exercice difficile en raison de leur implication totale, comme celle de leur famille politique, dans l’évolution libérale de l’Europe.

Bien qu’ils se défaussent sur les « libéraux européens » et sur les pays émergents pour expliquer la dégradation de la situation économique et financière européenne, il leur faut bien admettre que « la famille socialiste européenne » porte une part de responsabilité dans cette évolution.

D’où, de ci, de là, des éléments de critique, par exemple « …Les gouvernements libéraux ont affaibli la protection et le pouvoir d’achat, avec en Europe, la passivité de certains dirigeants sociaux- démocrates… ». Il est également indiqué que l’Europe doit avoir une limite. Elle ne doit plus être seulement un marché en extension constante animé par les seules règles de la concurrence. Il est mentionné, de façon légère, que le traité de Maastricht (et dans ce traité, la nature et le rôle de la BCE) ne fut pas exempt d’erreurs. Cela étant dit, l’axe européen de la stratégie mitterrandienne demeure, avec son centrage explicite sur le cœur « franco-allemand ».

-  6 Je retiens un sixième point pour décrire le fondamental de proximité de ce programme et la sociologie qui lui est sous-jacente. Certes, les socialistes se déclarent sensibles « aux fins de mois difficiles de 15 millions de Français » à la peine. Mais leur concept majeur n’est pas celui de misère. C’est celui de déclassement. Ils retiennent le terme que le statisticien Louis Chauvel [7] avait avancé, il a quelques années déjà (2006), pour décrire la façon dont, selon lui, évoluait la situation sociale de ces classes introuvables et partout présentes que sont les classes moyennes. Après une crise, ces dernières avaient de plus en plus de mal « à se refaire ». Désormais, elles ne le pourraient plus. Le terme de classes moyennes est plusieurs fois mentionné dans le programme du PS, et les socialistes se revendiquent de cette représentativité.

J’avais, au début de cette partie relative aux socialistes proposé un résumé de leur fondamental de proximité, comme je l’ai fait pour les autres partis politiques, tout en indiquant que ce résumé initial n’était pas sérieux. Je suis convaincu qu’un certain nombre des indications ou propositions contenues dans ce programme ne seront pas tenues ou se traduiront par des résultats limités. Quand il est écrit, par exemple, que « …la France mènera une lutte acharnée (souligné par nous JCD) pour la suppression des paradis fiscaux », cela prête à sourire. Plus exactement, cela me fait sourire.

Cela étant dit, on ne saurait sous-estimer l’impact d’un tel programme et de la vision simplifiée du monde et de ses difficultés qui en ressort. J’en ai négligé de nombreux aspects, comme pour les autres programmes ici évoqués. Mais je le crois efficace et subtil, relativement aux populations auxquelles il s’adresse. Pour résumer le programme du PS, je propose de retenir « Justice et écologie d’abord ».

Quelques tableaux

Un résumé de ce qui précède

Je vais d’abord résumer à l’aide de deux tableaux ce que j’ai dit dans les pages précédentes. Ensuite, je confronterai ces « résultats » à des statistiques électorales récentes pour voir ce que l’on peut en déduire.

Résumé des différentes thématiques de proximité
Partis Thématiques
UMP L’entreprise mondialisée d’abord
FN Les Français d’abord
FG L’humain d’abord
PS La Justice et l’écologie d’abord

Les tableaux ci-dessus sont certainement discutables et modifiables. Je crois, cependant, qu’il peut être utile, pour la réflexion, d’en retenir le principe. Je crois, par exemple, que ce qui discrimine fortement les grands partis politiques n’est pas tant leur positions globales relatives à la recherche ou à l’école. Certes avec des différences, tous sont pour la recherche scientifique, la formation, l’école, etc. Il en est de même en ce qui concerne la conception qu’ils ont de l’Etat. Je crois que cette conception est fortement corrélée à leur approche territoriale : quel est le territoire pertinent d’action que se donne chaque grand parti politique ?

Au total, les éléments discriminants seraient :
- 1) La sociologie sous-jacente, étant entendu que tous s’adressent aux Français.
- 2) Le territoire pertinent pour la mise en place du « monde nouveau » de chacun.
- 3) En ce qui concerne les forces productives matérielles et humaines, tous les partis (évidemment avec leurs particularités) sont en faveur de leur développement.
- 4) A la marge du développement des forces productives, prend place le nucléaire, qui est je crois, discriminant, en même temps que corrélé à l’effort de recherche ou à l’industrialisation.
- 5) La variable Etat m’apparaît comme une variable significative (elle a un sens, comme par exemple l’Etat fort du FN). Mais elle est, selon moi, corrélée à la perception du territoire pertinent.

Il faudrait, c’est certain, améliorer considérablement cette approche et la doubler d’enquêtes ou du recours à des enquêtes existantes d’opinion. Je n’ai pas cherché (je n’ai pas eu le temps) de voir ce que le vaste travail de Guy Michelat et Michel Simon pouvait apporter à ce propos[Cette enquête, très importante par son ampleur et ses résultats cumulés, peut être notamment consultée sur le site de la Fondation Gabriel Péri.]][ .

Je crois cependant que ce travail, aussi simpliste soit-il, souligne trois faiblesses (en fait quatre) du fondamental de proximité du FG. Je ne fais pas allusion au caractère démagogique ou non des promesses. On peut considérer que ce caractère excessif est quasiment inévitable. Il n’en est pas de même en ce qui concerne les trois points que je souligne ; A mon avis, ils ont pesé négativement dans les choix, notamment au moment des législatives. Ces trois faiblesses sont :

- 1) Le concept de « peuple ».
- 2) L’imprécision de l’ancrage territorial (selon moi un effet secondaire mal venu de la notion de révolution informationnelle).
- 3) « L’hésitation » relative au nucléaire. Il me semble qu’existe une différence de fond entre « consulter » et « hésiter ». Le programme du FG consulte parce que ses rédacteurs hésitent. C’est mieux que rien, bien sûr. Mais ça ne fait pas l’affaire.

A ces trois faiblesses majeures s’en ajoute une quatrième, que la théorie de la révolution informationnelle ne comble pas. C’est la réponse à la question suivante : « Notre époque est-elle celle où le socialisme prend enfin forme ou sommes-nous toujours dans l’époque du capitalisme dominant ? ».

Je pense que les dirigeants communistes actuels ont non seulement perdu toute confiance dans la forme « parti révolutionnaire », dans son utilité et son efficacité. Je pense qu’ils ont également perdu toute confiance dans l’idée de socialisme. Cela ne veut plus rien dire pour elles et pour eux, si ce n’est un vague baratin selon lequel le communisme, ce serait la contradiction résolue au jour le jour.

Rapide confrontation de ce qui précède avec les résultats électoraux des présidentielles et des législatives de 2007 et 2012

Je vais tout d’abord rappeler les résultats électoraux des présidentielles de 2007 et 2012 (premier tour) en me posant la question suivante : A supposer qu’existe « un français moyen » ou « une française moyenne », qu’a-t-il, qu’a-t-elle dans la tête ? Certes, il n’existe pas de « français moyen ». Mais cette représentation simplifiée permet, selon moi, de situer les points majeurs de l’argumentation politique.

Tableau 3 : Les résultats globaux des présidentielles de 2007 et 2012 (premier tour)
% des exprimés UMP FN Modem FG PS Absten (%) Exprim (millions)
2007 31.2 10.4 18.6 8.7 (a) 25.9 16.2 36,719
2012 27.2 17.9 9.1 11.1 28.6 20.5 35,883
Différentiel -4.0 +7.5 -9.5 +2.4 +2.7 +4.3 -0,836

(a) Bové, Besancenot, Buffet, Laguiller

J’utilise le tableau 3
- 1) d’une part pour rappeler (mais il n’en est pas besoin) que l’opération FG a eu pour effet de rassembler la gauche de la gauche. Mais c’est une stratégie électorale dont le résultat tend vers une limite avoisinant 10%. Cela pouvait être anticipé avant l’élection présidentielle. Cette dernière en donne la confirmation.
- 2) d’autre part, pour décrire « le français moyen » (FM) relativement aux fondamentaux de proximité. A mon avis, le FM est pour un tiers (peut-être plus) mondialiste et pour la très grande majorité « européaniste » ou « européiste ». L’anti FM (1 électeur sur 7) est un électeur FN.

L’intérêt de ce point est, selon moi, de souligner l’ampleur de la tâche de toute critique sévère de l’Europe actuelle. Elle doit, notamment :
- Se démarquer de la critique FN de l’Europe,
- Montrer comment sortir de l’Europe mondialiste,

Dégager les grandes lignes, économique, politique, culturelle d’un projet européen socialiste (pas au sens PS du terme),
Réfléchir aux limites géographiques d’un tel projet
Penser l’articulation dynamique entre les nations existantes et un projet de ce type.

Les élections législatives sont plus complexes à traiter que les présidentielles. Il faut totaliser des voix dispersées sur des candidats divers, etc. J’ai repris les totalisations effectuées par Laurent de Boissieu pour France-politique.fr. Mais le total en ligne n’est pas égal à 100% (97,2%). En ce qui concerne 2012, j’ai repris les totalisations figurant dans Wikipedia.

Tableau 4:Les résultats globaux des législatives de 2007 et 2012 (premier tour)
% des exprimés UMP FN Modem FG (a) PS (b) Abst(%) Exprimés (Millions)
2007 45.5 4.7 7.8 8.1 31.1 39.6 26,026
2012 34.7 13.6 1.8 6.9 39.9 42.8 25,952
Différentiel -10.8 +8.9 -6.0 -1.2 +8.8 +3.2 -0, 074

(a) Communistes +extrême-gauche.
(b) Au PS et apparentés, j’ai ajouté les verts (3,3%).

Le tableau 4 montre que la stratégie FG n’a, globalement, pas tenu la route. Elle a pu s’exprimer pour totaliser des voix au premier tour des présidentielles sur un candidat « charismatique ». Mais le phénomène des élections législatives est différent. Les électeurs ont pu voter Mélenchon à la présidentielle et moins voter pour des candidats à la députation se réclamant du FG, c’est-à-dire, implicitement, de Mélenchon.

Les électeurs ont peut-être indiqué qu’ils ne confondaient pas le candidat (en l’occurrence une image de court terme) et le parti politique, une image qui doit s’imposer dans le long terme.
Puisque mon point de départ était le fondamental de proximité du FG comparé à celui des autres formations, je rappelle les 4 faiblesses que j’ai déjà indiquées :

Il n’est, désormais plus question du socialisme dans les programmes communistes, alors que nous sommes à une époque de grande socialisation de la vie courante et des forces productives. Les communistes devraient être ceux et celles qui savent parler le mieux du socialisme et du travail, car ce sont les deux pôles majeurs de leurs préoccupations politiques.

La territorialisation propre au fondamental du FG me semble avoir été très floue, illisible.

Le peuple est une notion en l’occurrence inconsistante, une notion de prof d’histoire du secondaire.

Hésiter sur le nucléaire revient à hésiter sur la caractéristique majeure de notre époque qui est une époque scientifique.

Jean Claude Delaunay


[1Le Temps des cerises, 2007

[2Note de la Fondation Gabriel Péri, 2012, p. 41 et sq.

[3Je rappelle que, par exemple, en décembre 2009, Guéant voulut lancer le débat politique intérieur sur le thème de « l’identité nationale ». Ce fut immédiatement, dans la gauche soixante-huitarde, des cris proférés à son égard : « Honte à Guéant ! Honte à Guéant ! », ou quelque chose comme ça.

Cela ne me dérange pas du tout. Guéant sait ce qu’il fait. C’est un vieux renard politique. Il est bon que, de temps en temps, il sente le vent du boulet. Mais le plus amusant de tout est que cette gauche soixante-huitarde demanda la fin du débat. « Il faut clore le débat, il faut clore le débat ! ». Personnellement, cela m’a fait marrer pour trois raisons.

La première est que la notion d’identité nationale peut très bien être discutée avec des arguments scientifiques et précisée dans ce contexte. Je ne vois pas en quoi cette notion serait, en soi, une infamie conceptuelle.

La deuxième est que Guéant offrait aux communistes une occasion en or de combattre ses idées. Comment l’un des représentants éminents de la classe sociale qui détruit littéralement la nation française en détruisant ses entreprises pouvait-il se targuer de défendre l’identité nationale française, si ce n’est pour des raisons politiciennes ? Il est vrai que l’entrée dans ce débat eût supposé, de la part des dirigeants communistes une claire conception de ce qu’est la nation française et de ce qu’en fait le capitalisme financier mondialisé Bernique ! Les dirigeants communistes français ramassent désormais dans Libération leurs explications théoriques du monde contemporain.

La troisième raison est qu’il est époustouflant, de la part de dirigeants communistes, de demander l’interdiction d’un débat. Indépendamment du fait que nous sommes déjà plombés dans l’opinion courante par « le socialisme réel », où le débat n’a jamais atteint, que je sache, des sommets de dimension himalayesque, les communistes ne refusent jamais le débat. Ce devrait être un principe de base. Mais Marie-George Buffet, par exemple, demandait « la fin du débat ».

[4Joseph Staline, « L’homme est le Capital le plus précieux », discours prononcé au Palais du Kremlin à l’occasion de la promotion des élèves de l’Académie de l’Armée rouge, (4 Mai 1935). Je rappelle ce discours uniquement à titre d’incidente, car je ne suis pas en train de faire l’histoire de l’URSS. Mais c’est un discours connu et significatif d’une époque productive, indépendamment de son contexte politique. Il prend place au début de la période que les historiens appellent « les Grandes purges » ou « la Grande Terreur » et qui fut marquée par de nombreuses exécutions.

[5A. Gerin, L’avenir du PCF : changer de stratégie (8 juin 2012) et autres documents publiés sur le site de Réveil communiste

[6Albert Camus (1913-1960) est un grand auteur, que l’on ne saurait réduire à une dimension politique. Le fait que son nom et une citation (extraite de son Calligula) figurent dans le programme socialiste, n’est pas innocent. Mais pourquoi pas

[7Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, Paris, 2006.



Commentaires

jeudi 5 juillet 2012 à 16h29

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